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Guerre contre Gaza : Israël en pleine débâcle dans la bataille de l’image

Dès le 7 octobre, Israël s’est engagé dans une course à l’image, en utilisant fake news et terreur. Mais la communication ne peut pas tout face à la brutalité de la guerre et des horreurs que subissent les Palestiniens au quotidien
Dimanche 19 novembre, les 31 bébés prématurés qui se trouvaient encore dans l’hôpital al-Chifa de Gaza ont été évacués vers l’Égypte. L’annonce de la mort de plusieurs prématurés dans le même hôpital la semaine dernière, à la suite de l’arrêt des couveuses, avait provoqué un véritable choc (Reuters)
Dimanche 19 novembre, les 31 bébés prématurés qui se trouvaient encore dans l’hôpital al-Chifa de Gaza ont été évacués vers l’Égypte. L’annonce de la mort de plusieurs prématurés dans le même hôpital la semaine dernière, à la suite de l’arrêt des couveuses, avait provoqué un véritable choc (Reuters)

Israël a failli rééditer le coup des bébés déconnectés de leurs couveuses. Rappelez-vous cet épisode marquant de la guerre du Golfe (1990-1991) : une toute jeune fille, innocente, racontait, devant les caméras de télévision du monde entier, comment les militaires irakiens débranchaient des bébés de leurs couveuses dans les hôpitaux de Koweït City, juste après l’invasion du Koweït par l’armée irakienne, en 1990.

La vidéo avait profondément ému l’opinion internationale. Elle a installé, pour longtemps, cette image de militaires irakiens brutaux, criminels, impitoyables, n’hésitant pas à s’attaquer à des bébés.

Ce n’est que des mois plus tard, une fois l’armée irakienne écrasée, que la vérité s’était imposée avec certitude : cette vidéo était un coup de com’ réalisé par une agence spécialisée. La jeune fille qui s’exprimait était la fille d’un diplomate koweïtien, et la scène dont elle parlait n’avait jamais eu lieu.

L’armée israélienne a misé sur un terrain décisif sur lequel elle excelle : contrôler la communication et imposer sa propre narration de l’événement

Mais la vidéo a eu un impact immense. Elle a contribué à dire, pour un temps, qui était le bon et qui était le méchant, à désigner le criminel et la victime.

Dans un conflit où les décisions étaient prises à un rythme effréné, et où une image en chassait une autre, il était impossible de rattraper une séquence choc de cette ampleur, particulièrement dans le monde d’avant les réseaux sociaux.

Au lendemain de l’attaque du Hamas, le 7 octobre, Israël a tenté de rééditer le même coup. Pour tenter de détourner le regard des défaillances en série du système de défense israélien (défaillance totale du renseignement, dispositif de sécurité insignifiant et inefficace, temps de riposte trop long, réponse inadaptée, incapacité de l’armée et de différents corps de sécurité à faire face en temps opportun, etc.), l’armée israélienne a misé sur un terrain décisif sur lequel elle excelle : contrôler la communication et imposer sa propre narration de l’événement.

C’est une stratégie connue et étudiée par les communicateurs du monde entier : il s’agit, en période de crise ou de conflit, d’être le premier à imposer des thèmes, des mots, des symboles, des images, qui vont marquer le conflit, lui donner du sens, en choisissant des images fortes, émouvantes, puissamment connotées, susceptibles de marquer durablement l’opinion publique. Leur authenticité compte peu. Seul leur effet a de l’importance.

Série de flops

Israël s’est engagé dans cette course à l’image dès le 7 octobre, sans jamais abandonner, malgré une série de flops.

Le premier coup d’éclat, qui s’avérera plus tard une fake news, a placé la barre très haut : les combattants du Hamas qui ont attaqué Israël le 7 octobre auraient décapité 40 bébés israéliens ! Ils auraient aussi brûlé un bébé israélien dans un four. L’information fait le tour du monde, et elle est reprise en boucle par les plus grands médias de la planète, sans vérification de la source ni authentification sérieuse de l’information.

Selon un journaliste israélien, il n’y a aucune preuve de décapitation de bébés par le Hamas
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Cependant, même lorsque le mensonge est avéré, la rumeur continue à être abondamment utilisée à des fins de propagande.

Ainsi, un mois après le 7 octobre, le quotidien français Le Monde publie, sans aucune réserve, une tribune de Patrick Klugman, ancien président de l’Union des étudiants juifs de France, qui reprend l’histoire des bébés décapités comme un fait établi.

En parallèle, une autre règle est imposée par les communicateurs israéliens : traiter systématiquement le mouvement palestinien Hamas de « terroriste », et demander avec insistance, à tout commentateur ou analyste, de le condamner avant de donner son point de vue ou son analyse de la situation.

Les intervieweurs sont ravis quand leurs invités « dénoncent les terroristes du Hamas qui massacrent des civils innocents, violent des femmes et kidnappent des enfants ».

Cette règle est curieusement adoptée par une majorité de médias et d’influenceurs occidentaux. À tel point que l’ancienne représentante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, Leïla Shahid, invitée par une chaîne de télévision française, interrogée sur ce point avec insistance, finit par répondre, excédée, qu’il lui appartient à elle de dire ce qu’elle veut, pas ce qu’on lui dicte !

Dans leur aveuglement, les propagandistes pro-israéliens ne se rendent même plus compte de ce qui représente l’accusation la plus grave : celle de « terroriste » ou celle d’auteur de crime contre l’humanité ?

Le leader de La France insoumise (LFI, gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon, est cloué au pilori pour avoir refusé d’utiliser le mot terroriste en parlant du Hamas. Pourtant, il a parlé de « crime de guerre », et il a repris l’argumentaire d’Amnesty International selon lequel le mot terroriste n’a pas de valeur juridique.

Ce mot « n’est pas reconnu par le droit international », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, précisant que de nombreux militants des droits de l’homme sont précisément poursuivis et parfois placés en détention et condamnés pour « terrorisme » !

Dans leur aveuglement, les propagandistes pro-israéliens ne se rendent même plus compte de ce qui représente l’accusation la plus grave : celle de « terroriste » ou celle d’auteur de crime contre l’humanité ?

Quand les bombardements sur Gaza se sont intensifiés, les Israéliens se sont trouvés confrontés à une nouvelle difficulté.

L’opinion internationale s’est émue du nombre de civils tués, en majorité des femmes et des enfants. Il y a aussi les hôpitaux bombardés, les infrastructures détruites, l’eau et l’électricité coupées, ce qui, au regard des conventions internationales, est considéré comme des crimes de guerre.

Inventer des éléments de langage

 Israël est contraint d’improviser des réponses à des situations inédites, d’inventer des éléments de langage supposés adaptés à chaque nouvelle situation.

Les civils tués ? Ils sont « complices du Hamas ». Ou bien, il s’agit de dommages collatéraux, ils sont tués accidentellement, à la différence du Hamas qui s’attaque délibérément aux civils. Les hôpitaux bombardés ? Ils abritent des tunnels du Hamas. Les ambulances visées par des tirs ? Elles transportent des hommes armés.

Cette course effrénée à la communication se termine parfois par des horreurs, comme cette polémiste française, Céline Pina, qui affirme que les enfants palestiniens tués « ne mourront pas en ayant l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre », alors que les enfants israéliens tués ont emporté, « comme dernière image, une image d’inhumanité, d’atrocité et de mépris de ce qu’ils sont ».

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Quand cette communication bafouille, l’aide d’amis puissants et d’une multitude d’influenceurs devient nécessaire. Même le président américain Joe Biden a été mis à contribution.

L’enjeu était important : il fallait discréditer le ministère de la Santé palestinien, qui est devenu un acteur central de la crise, en donnant régulièrement le chiffre des victimes de la guerre et en alertant sur la dégradation de la situation humanitaire à Gaza.

Le président Biden a ainsi affirmé, le 24 octobre, qu’il n’avait « aucune confiance dans les chiffres utilisés par les Palestiniens », et a cautionné la version israélienne selon laquelle le Hamas se servait de l’hôpital al-Chifa comme base militaire.

Dans la foulée, nombre d’influenceurs pro-israéliens se sont engagés dans cette campagne visant à mettre en doute la fiabilité du ministère palestinien de la Santé, « une source qui a fait ses preuves » et qui a rarement été prise en défaut sur ce terrain.

Michel Goya, qui se présente comme historien militaire, et qui a déjà prédit à plusieurs reprises une victoire décisive de Kyiv et une débâcle imminente de l’armée russe en Ukraine, a lui aussi publié une longue étude pour mettre en doute le nombre de victimes palestiniennes. La partie palestinienne a répondu de manière cinglante : elle a publié une liste actualisée des victimes dans un grand journal américain.

Mais la communication ne peut pas tout face à la brutalité de la guerre et des horreurs que subissent les Palestiniens au quotidien.

Un savant mélange des genres incite à confondre Palestiniens, nazis, islamisme, banlieues des grandes villes européennes, émigration, islam, antisémitisme

Une situation qui a poussé les plus grandes ONG, comme Médecins sans frontières (MSF) et Amnesty International, à adopter des attitudes tranchées, et le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à dire : « Je suis profondément troublé par la situation horrible et les pertes de vies dramatiques dans plusieurs hôpitaux à Gaza. J’appelle à un cessez-le-feu humanitaire immédiat, au nom de l’humanité. »

Cette réaction en chaîne a clairement montré que la situation commençait à échapper à Israël, qui sort alors l’arme ultime : l’antisémitisme.

Le thème, avec tout son poids et sa symbolique, est remis en selle, et constitue désormais l’événement supposé supplanter la guerre à Gaza. Un savant mélange des genres incite à confondre Palestiniens, nazis, islamisme, banlieues des grandes villes européennes, émigration, islam, antisémitisme.

Un cocktail étonnant, qui a débouché, le 12 novembre, sur un fait totalement inédit, une première dans l’histoire de l’Europe : une manifestation durant laquelle des militants pro-israéliens ont défilé à Paris aux côtés de dirigeants d’une extrême droite historiquement antisémite, pétainiste et xénophobe.

Ce qui confirme que la propagande, c’est comme la guerre. On sait quand elle commence, mais pas où elle se termine, ni où elle mène.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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