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Le mythe de la dissuasion nucléaire israélienne

Israël ne pourrait larguer une bombe nucléaire dans la région sans se mettre en danger. Cette mascarade ne fait que détourner l’attention du vrai problème, celui du vol colonial
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’exprime au sujet du programme nucléaire iranien, en avril 2018 (AFP)
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’exprime au sujet du programme nucléaire iranien, en avril 2018 (AFP)

Une fois de plus, la perspective d’un accord sur le nucléaire avec l’Iran – un premier round de négociations s’est tenu à Vienne les deux premières semaines d’avril – a mobilisé les sionistes de Tel Aviv à Washington, déterminés à entretenir l’idée montée de toutes pièces selon laquelle l’Iran est l’ennemi numéro un de la paix mondiale.

Le régime iranien au pouvoir n’est pas tout à fait un don de Dieu à l’humanité, mais malgré toutes ses atrocités, il fait partie d’un puzzle régional plus vaste d’atrocités, dans lequel l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Israël, l’Europe, les États-Unis, la Russie et même la Chine ont chacun eu un rôle à jouer.

Quoi qu’il se passe en Iran, il s’agit d’un groupe d’Iraniens qui règne sur d’autres, non pas d’un régime colonial européen qui occupe la patrie d’un autre peuple. 

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La reprise des négociations sous forme de jeu du chat et de la souris entre les États-Unis et l’Iran autour de l’accord sur le nucléaire démantelé a une fois de plus attiré l’attention du monde entier sur cet énorme et étrange tabou.

Aucune opération israélienne de hasbara (terme utilisé par Israël pour décrire sa diplomatie publique, considérée comme de la propagande par certains) à visage découvert ne peut dissimuler l’arsenal nucléaire surdimensionné d’Israël qui regarde le monde en face, tandis que ses agents de propagande, menés par l’AIPAC et d’autres organisations sionistes aux États-Unis et en Europe, poussent en faveur de la poursuite des sanctions économiques paralysantes imposées à plus de 80 millions d’Iraniens en guise de sanction contre leurs dirigeants – au mépris de la raison et du bon sens.

Le résultat est prévisible : chaque série de sanctions rend le régime iranien encore plus belliqueux pendant que la multitude d’habitants qu’il dirige désespère davantage, victimes de leur propre État mais aussi de l’alliance israélo-saoudienne et de ses lobbies en Europe et aux États-Unis.  

Mais ce tabou requiert notre attention. Israël dispose d’un arsenal d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive, qu’il a utilisées ou menace d’utiliser pour protéger son État-garnison.

Tricherie et tromperie

L’Iran n’a pas l’arme nucléaire et est signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Les administrations américaines successives, sionistes convaincues ou effrayées par les sionistes, prétendent être muettes, sourdes et aveugles à ces faits simples.  

L’Iran ne devrait jamais avoir l’arme nucléaire, pas plus qu’Israël ou tout autre État. 

Nous avons besoin d’un monde dénucléarisé et de régions dénucléarisées, en particulier celles où une colonie européenne est devenue un outil pour favoriser les intérêts impériaux des États-Unis et de leurs alliés.  

Nous avons besoin d’un monde dénucléarisé et de régions dénucléarisées, en particulier celles où une colonie européenne est devenue un outil pour favoriser les intérêts impériaux des États-Unis et de leurs alliés

Tout ce qui concerne l’arsenal nucléaire israélien fonctionne grâce à des sophismes, à la tricherie et à la tromperie. 

Selon le Center for Arms Control and Non-Proliferation, « dans une note déclassifiée de juillet 1969 adressée au président Richard Nixon, le secrétaire d’État Henry Kissinger a clairement indiqué qu’en achetant l’avion Phantom américain, Israël s’engageait à ‘’ne pas être le premier pays à introduire des armes nucléaires au Proche-Orient’’. Toutefois, on pense aujourd’hui qu’Israël a interprété le terme ‘’introduire’’ comme un droit de ‘’posséder des armes nucléaires tant qu’ils ne les testaient pas, ne les déployaient pas et ne les rendaient pas publiques’’. » 

Un simple mot – « introduire » – est ainsi détourné pour masquer le fait que l’engagement d’Israël à ne pas être le premier État doté d’armes nucléaires au Moyen-Orient était sans valeur.

Une hypocrisie suprême

La Nuclear Threat Initiative se penche également sur la question : « Situé dans une région sous haute tension, Israël possède des capacités militaires conventionnelles avancées et entretient depuis plusieurs décennies une politique d’opacité […] au sujet de ses programmes d’armes de destruction massive. Si les experts s’accordent généralement à dire qu’Israël possède des armes nucléaires, il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus parmi les sources ouvertes au sujet du statut des programmes d’armes chimiques ou biologiques offensives d’Israël. »  

Il s’agit là d’une tautologie. Bien sûr qu’Israël est situé dans une région sous haute tension ; il est l’une des principales raisons de cette situation.

Cela ne signifie pas que l’Iran, l’Arabie saoudite, la Syrie et les autres pays de la région incarnent la paix et la sérénité, mais cette entreprise coloniale est ce qu’elle est : un État-garnison créé par les Européens et soutenu par les Américains pour protéger et favoriser leurs propres intérêts néfastes.  

Le président iranien Hassan Rohani s’exprime à Téhéran, le 7 avril 2021 (présidence iranienne/AFP)
Le président iranien Hassan Rohani s’exprime à Téhéran, le 7 avril 2021 (présidence iranienne/AFP)

L’hypocrisie suprême des sponsors américains et européens d’Israël n’est pas un secret. 

Comme l’a expliqué Julian Borger au Guardian en 2014, « Israël vole des secrets nucléaires et fabrique secrètement des bombes depuis les années 1950. Et les gouvernements occidentaux, y compris la Grande-Bretagne et les États-Unis, ferment les yeux. Mais comment pouvons-nous espérer voir l’Iran freiner ses ambitions nucléaires si les Israéliens ne veulent pas avouer leurs torts ? »  

Le fait qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire n’est pas un secret d’État. Selon la Federation of American Scientists, neuf pays possèdent des armes nucléaires : le Royaume-Uni, la Chine, la France, les États-Unis, la Russie, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. Le Royaume-Uni et la France craignent la Russie, tandis que la Chine, la Russie et les États-Unis ambitionnent de dominer le monde.

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L’Inde et le Pakistan se craignent mutuellement, tandis que la Corée du Nord se protège contre les États-Unis.

Quid d’Israël ? En quoi ce pays est-il lié à cela ? Où se trouve exactement l’ennemi des Israéliens ? Les Palestiniens vivent parmi eux. Les bombes atomiques d’Israël sont-elles destinées à l’Égypte, à la Syrie, à la Turquie ou à l’Iran ? 

Combien de millions de personnes veulent-ils assassiner pour détourner l’attention du vrai problème : le vol des terres palestiniennes ? Tout cela est une imposture, à moins que l’on observe le mythe de leur « dissuasion » nucléaire sous un angle totalement différent.  

La vérité sur les armes nucléaires d’Israël étant connue du monde entier, son arsenal nucléaire est projeté comme un outil de « dissuasion » lui permettant de subsister. 

Une aura d’indestructibilité

Mais en réalité, l’arsenal nucléaire d’Israël n’est un outil de dissuasion pour aucun de ses voisins, dans la mesure où il ne pourrait larguer une bombe nucléaire dans la région sans se mettre en danger. 

Mais le fait de posséder l’arme nucléaire confère à Israël une aura d’indestructibilité, qu’il utilise pour intimider les dirigeants arabes les plus déments afin qu’ils passent outre le vol de la Palestine.

C’est donc la menace – et non la probabilité imminente – d’une frappe nucléaire qui fait les affaires d’Israël. Israël et l’Iran sont tous deux pleinement conscients de cette fausse menace ; le jeu auquel ils se livrent est un écran de fumée.  

La dissuasion nucléaire israélienne n’est qu’un coup de bluff et les pays de la région devraient voir les choses ainsi

En faisant de l’Iran son ennemi numéro un, Israël camoufle la question palestinienne. En s’engageant dans cette mascarade, l’Iran justifie la progression de sa rivalité régionale avec l’Arabie saoudite.    

La dissuasion nucléaire israélienne n’est qu’un coup de bluff et les pays de la région devraient voir les choses ainsi.

Certes, Israël dispose d’armes nucléaires qu’il ne veut pas voir chez les autres, mais ce sont des bombes inutiles qui ne dissuadent rien ni personne. 

Israël ne pourrait les larguer sur Damas, Beyrouth, Bagdad, Téhéran ou Le Caire sans provoquer une calamité régionale et environnementale qui mettrait en danger ses propres habitants.  

Israël cherche à détourner l’attention de la véritable menace existentielle qui l’inquiète : l’autodétermination nationale palestinienne, qu’il ne peut nier, rejeter ou solutionner.  

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Pour justifier l’hypocrisie suprême des États-Unis et de l’UE, les analystes américains et israéliens inventent des histoires à dormir debout selon lesquelles les États-Unis ont d’abord refusé de laisser les Israéliens d’acquérir, avant que la France ne leur vienne en aide puis que les États-Unis ne cèdent à contrecœur. Toutes ces histoires à rallonge et idiotes n’ont qu’un but : justifier cette hypocrisie suprême.  

Les États-Unis et leurs alliés européens sont les seuls bénéficiaires de l’arsenal nucléaire d’Israël. Celui-ci est totalement inutile contre les Palestiniens, ainsi que contre les autres pays arabes ou l’Iran. Il sert avant tout les États-Unis et leur configuration mondiale de bases militaires. 

L’Iran ne devrait jamais avoir l’arme nucléaire – mais les États-Unis, Israël et leurs alliés arabes et européens ne sont pas les mieux placés pour lancer des accusations ou jeter la première pierre.

Hamid Dabashi est professeur d’études iraniennes et de littérature comparée, récipiendaire de la chaire Hagop Kevorkian, à l’université de Columbia à New York. Parmi ses derniers ouvrages figurent Reversing the Colonial Gaze: Persian Travelers Abroad (Cambridge University Press, 2020), The Emperor is Naked: On the Inevitable Demise of the Nation-State (Zed, 2020) et On Edward Said: Remembrance of Things Past (Haymarket Books, 2020).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Hamid Dabashi is Hagop Kevorkian Professor of Iranian Studies and Comparative Literature at Columbia University in the City of New York, where he teaches Comparative Literature, World Cinema, and Postcolonial Theory. His latest books include The Future of Two Illusions: Islam after the West (2022); The Last Muslim Intellectual: The Life and Legacy of Jalal Al-e Ahmad (2021); Reversing the Colonial Gaze: Persian Travelers Abroad (2020), and The Emperor is Naked: On the Inevitable Demise of the Nation-State (2020). His books and essays have been translated into many languages.
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