Un message dangereux : l’Occident rend possible le tsunami de violence d’Israël contre les Palestiniens
Il est de plus en plus clair que Gaza a payé le prix d’une campagne militaire israélienne en Cisjordanie occupée qui a peu à voir avec elle.
Dans un déchaînement de violence, Israël a inversé sa stratégie consistant à diviser les Palestiniens en différents camps (ce qu’il fait depuis des décennies). Il les contraint désormais à se réunir.
Israël avait clairement l’intention de provoquer une vague de tirs de missiles avec l’arrestation de Bassam al-Saadi, cadre du Jihad islamique palestinien. Pendant trois jours, le Jihad islamique n’a pas réagi. Saadi avait déjà été arrêté à sept reprises auparavant et même les images sur lesquelles on le voit tiré par des soldats n’ont pas déchainé les passions. Il n’y a pas eu de manifestations en Cisjordanie.
Israël a inversé sa stratégie consistant à diviser les Palestiniens en différents camps. Il les contraint désormais à se réunir
Israël a ensuite lancé son attaque vendredi après-midi, tuant Tayssir al-Jabari, commandant de la division nord des brigades al-Qods (Saraya al-Quds, aile armée du Jihad islamique), ainsi que Alaa Qaddoum (5 ans), une jeune femme de 23 ans et sept autres Palestiniens.
Selon les normes de ce conflit long et amer, l’attaque d’Israël contre Gaza était injustifiée. Aucune preuve n’étaye l’assertion selon laquelle Jabari préparait une attaque contre les chars israéliens.
Ce n’est que trois heures après ces frappes sur Gaza que le Jihad islamique a lancé un barrage de roquettes, mais les roquettes du Hamas – bien plus nombreuses – sont restées dans leurs silos.
Toutes les cibles de cette campagne sont des commandants locaux et relativement inconnus, même pour Ran Kochav, porte-parole de l’armée israélienne qui a oublié le nom de Jabari en direct à la télévision samedi.
Mais si cette campagne visant à priver la Cisjordanie de sa capacité à nuire est claire, il apparaît tout aussi clairement qu’une telle opération allait provoquer le soulèvement qu’elle visait à engendrer. Un soulèvement armé en Cisjordanie n’est plus une éventualité, seulement une question de temps. Ce n’est pas une simple conséquence de l’effondrement de l’Autorité palestinienne (AP), dont les décrets ne régissent plus Jénine, ni Naplouse. Ces deux villes ont formé leurs propres brigades.
Un leadership déficient
La formation de nouvelles cellules armées dans un territoire qui a largement rejeté la résistance armée depuis 2007 reflète non seulement l’effondrement de l’AP mais un leadership déficient au sein de l’ensemble des factions palestiniennes, Jihad islamique et Hamas inclus.
Ces cellules elles-mêmes « s’inspirent » peut-être du mouvement du Jihad islamique mais leurs membres viennent de tous les groupes, y compris du Fatah, du Hamas et du Front populaire de libération de la Palestine. En résumé, la Cisjordanie regorge d’armes, dont la plupart peuvent être acquises facilement sur le marché israélien. Une nouvelle génération de Palestiniens échange sa voiture, sa carrière et même sa vie pour elles.
Cette décision a peu à voir avec le poids de l’histoire. Elle relève plus du fardeau du présent.
Si reconnaître Israël ne fonctionne pas ; si Israël se désintéresse des négociations menant à la création d’un État palestinien ; si à chaque fois que les forces israéliennes attaquent, le monde extérieur loue son action ; si des groupes miliciens de colons détruisent vos oliviers et vos maisons sous la protection armée des soldats israéliens ; si le droit civil s’applique à ces groupes mais le droit militaire s’applique à vous qui n’êtes pas armés ; si vos propres dirigeants sont corrompus et refusent d’organiser des élections depuis des décennies par crainte du vote populaire : que vous reste-t-il ? La capitulation ? Un départ pour Londres ?
Israël est dans un délire profond s’il pense que les Palestiniens vont juste disparaître. C’est la dernière chose qui vient à l’esprit de cette génération. Ils vont se soulever et combattre. Ce n’est pas à la fuite qu’ils pensent, mais à la libération.
Abandon mondial
Les Palestiniens sont tout aussi connectés au reste du monde que les autres jeunes de cette génération à travers le monde. Quelle est exactement le message que les dirigeants du monde leur transmettent avec leurs réactions dénuées de faits aux derniers bombardements ?
Le président américain Joe Biden a réagi de la façon suivante : « Mon soutien de longue date à la sécurité d’Israël est indéfectible – notamment son droit à se défendre contre les attaques. »
« Ces derniers jours, Israël a défendu sa population contre les tirs de roquettes aveugles lancées par l’organisation terroriste du Jihad islamique palestinien et les États-Unis sont fiers de leur soutien au Dôme de fer d’Israël, qui a intercepté des centaines de roquettes et sauvé d’innombrables vies. Je salue le leadership du Premier ministre Yaïr Lapid et de son gouvernement tout au long de cette crise. »
Ce communiqué, qui vaut la peine d’être lu dans son intégralité, ne s’inquiète absolument pas du fait qu’Israël a tiré le premier. Les actes de Lapid étaient louables.
Et qu’en est-il de la future Première ministre britannique, Liz Truss ? Pendant les événements, elle s’est adressée aux Conservative Friends of Israel par ces mots : « Le Royaume-Uni soutient Israël et son droit à se défendre. » Dans sa lettre au groupe, elle a ajouté : « Nous condamnons les tirs des organisations terroristes contre les civils et la violence qui a occasionné des pertes dans les deux camps. »
Pour retourner le fer dans la plaie, Liz Truss a promis de réexaminer l’emplacement de l’ambassade britannique qui est actuellement à Tel Aviv – un acte qui réduirait en cendres le petit rôle du Royaume-Uni en tant que médiateur dans ce conflit. Aucune pression nationale ne la pousse à le faire.
L’Union européenne a reconnu que l’escalade avait déjà fait « un certain nombre de victimes » mais n’a pas précisé leur identité ni le camp responsable. La France a « déplor[é] » les victimes civiles palestiniennes mais « condamn[é] les tirs de roquette sur le territoire israélien et réit[éré] son attachement inconditionnel à la sécurité d’Israël ».
Israël est dans un délire profond s’il pense que les Palestiniens vont juste disparaître. C’est la dernière chose qui vient à l’esprit de cette génération. Ils vont se soulever et combattre
Seuls l’ONU et le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Coveney ont rompu les rangs – d’un pouce, pas davantage. L’Irlande a déclaré être « vivement inquiète » de l’impact des frappes israéliennes sur les civils.
Quel message ces déclarations envoient-elles aux familles des 48 Palestiniens tués dans ces attaques, dont 17 étaient mineurs ? Quel message est transmis aux centaines de blessés ?
Dans ce cas précis, Israël a clairement tiré le premier non pas parce qu’un groupe militant palestinien avait réagi. Mais parce qu’il n’avait pas réagi. C’est en quelque sorte une première dans ce conflit.
Et les mêmes leaders qui arment les combattants de la résistance ukrainienne contre les occupants russes applaudissent à cela.
Feu vert pour tuer des Palestiniens
Il n’y a pas de démonstration plus claire de la vacuité des valeurs occidentales que l’échec persistant, cynique et criminel à demander à Israël de rendre compte de ses actes.
C’est un message dangereux envoyé aux deux camps dans ce conflit, à commencer par Israël lui-même.
Il est peu probable que Lapid mène l’opinion publique en Israël. La prochaine génération de soldats en Israël ne le suit pas, elle suit plutôt quelqu’un comme le kahaniste Itamar Ben Gvir qui a pris part aux incursions à la mosquée al-Aqsa avec ses partisans.
Si Benyamin Netanyahou parvient à former le prochain gouvernement en fin d’année, l’extrême droite – et une organisation autrefois qualifiée par les États-Unis et Israël de « terroriste » – pourrait bien faire partie de son cabinet.
En donnant à Lapid le feu vert absolu pour tuer des Palestiniens à son gré, les dirigeants occidentaux envoient un message encore plus dangereux à la prochaine génération de dirigeants israéliens qui parlent ouvertement de tuer des Arabes quoi qu’il arrive. Ils menacent ouvertement les Palestiniens d’une autre Nakba.
La dernière cible de l’opération israélienne en Cisjordanie est qualifiée par Israël d’homme le plus recherché de Naplouse. Mais Ibrahim al-Nabulsi n’avait que 19 ans. Avant son tout dernier combat, il a enregistré un message audio qui est devenu viral : « Préservez la patrie après moi, et que personne ne laisse de poudre. Je suis assiégé et je vais mourir en martyr. »
Une foule immense a assisté à ses funérailles et à celles d’Islam Sabbouh et Hussein Taha (16 ans), décédés dans le même raid israélien.
Le soulagement apporté en Israël par ce décès ne sera que temporaire. Le fait évident est que plus Israël tue de Palestiniens, plus il fournit un argument de poids pour le recrutement de combattants pour les remplacer.
Elaine Abu-Shaweesh a 5 ou 6 ans. Elle a été blessée dans les bombardements à Rafah samedi. Filmée par un journaliste de Gaza, une compresse ensanglantée sur la tête, elle affirme : « Israël n’est pas un État, ils sont sous, sous, sous mes pieds. Et ils sont au sol et ils sont des déchets et ils ne sont pas. Ils bombardent des enfants et ils ont peut-être détruit notre maison maintenant parce que la dernière fois, c’est ce qu’ils ont fait, la dernière guerre. »
Personne n’a dicté ces paroles à cette petite fille. Mais quoi qu’il advienne, elle grandira pour résister à ce qui se passe autour d’elle. Voilà l’œuvre d’Israël. C’est également la responsabilité du monde.
- David Hearst est cofondateur et rédacteur en chef de Middle East Eye. Commentateur et conférencier sur des sujets liés à la région, il se concentre également sur l’Arabie saoudite en tant qu’analyste. Ancien éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, il en a été le correspondant en Russie, en Europe et à Belfast. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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