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Comment le roi de Jordanie consolide ses pouvoirs

De nouveaux amendements constitutionnels ont été présentés comme un moyen de « moderniser » le système politique. En réalité, ils servent à renforcer l’emprise du roi sur les institutions étatiques
Le roi Abdallah II de Jordanie rencontre des députés à Amman, le 28 novembre 2021 (Yousef Allan/Palais royal jordanien/AFP)
Le roi Abdallah II de Jordanie rencontre des députés à Amman, le 28 novembre 2021 (Yousef Allan/Palais royal jordanien/AFP)

Le Parlement jordanien a approuvé des amendements constitutionnels à grande échelle, après que le roi Abdallah II a formé l’an dernier une commission chargée de moderniser le système politique du pays.

À noter l’emploi du verbe « moderniser » à la place de « réformer », qui constitue la principale revendication des forces d’opposition depuis le Printemps arabe de 2011. Les manifestants réclament une limitation des pouvoirs du roi et l’instauration d’une démocratie parlementaire en Jordanie.

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Cependant, les amendements constitutionnels approuvés ce mois-ci vont à contre-courant et servent principalement à accroître et à consolider les pouvoirs du roi.

Ces amendements permettent au roi de nommer les hauts responsables de la sécurité publique et de la justice, ainsi que le grand mufti et les conseillers royaux.

Ils prévoient également la création d’un conseil de sécurité nationale contrôlé par le roi, qui serait en charge de toutes les questions liées à la défense et à la sécurité.

La Constitution jordanienne de 1952 a été modifiée à plusieurs reprises au fil des décennies, mais plus de la moitié de ces amendements sont intervenus après le déclenchement du Printemps arabe en 2011, compte tenu des réformes politiques exigées par les activistes pour accroître la démocratie et la liberté dans le pays. 

Une Constitution entièrement nouvelle

Les derniers amendements en date constituent la modification la plus importante, la plus vaste et la plus profonde à ce jour, avec 30 changements apportés aux 131 articles de la Constitution. Certains commentateurs suggèrent ainsi que le pays a approuvé une Constitution entièrement nouvelle au lieu de se contenter de modifier la Constitution existante.

Il ne fait aucun doute que les nouveaux amendements constitutionnels sont appelés à transformer la vie politique en Jordanie, mais aussi à alimenter une vaste controverse publique dans le pays.

Il ne fait aucun doute que les nouveaux amendements constitutionnels sont appelés à transformer la vie politique en Jordanie

Mais quelles sont les véritables motivations de cette révision constitutionnelle ?

Nous ne pouvons pas analyser cette situation sans tenir compte des événements qui ont secoué la famille royale en avril 2021, lorsqu’un différend a éclaté entre le roi et son demi-frère, le prince Hamza, qui a été placé en résidence surveillée. Alors qu’il se disait initialement que le prince aurait comploté pour renverser le roi, rien n’a été confirmé.

Deux mois plus tard, le roi a convoqué une commission de 92 membres, composée essentiellement d’anciens hauts fonctionnaires et dirigeants politiques de haut rang, qu’il a chargée de « moderniser » le système politique du pays.

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En octobre 2021, la commission a émis une série de recommandations, notamment des amendements constitutionnels et de nouvelles lois concernant les élections et les partis politiques. Ces mesures ont été adoptées par le Parlement jordanien à une large majorité, puisque 104 des 112 députés présents ont voté en faveur des amendements.

Il en résulte un prolongement sans précédent des pouvoirs du roi, qui contrôle désormais étroitement toutes les institutions sécuritaires, militaires et judiciaires du pays. Le nouveau conseil de sécurité nationale bénéficiera de pouvoirs étendus, le tout sous la direction du roi.

Il y a une explication évidente à cette transformation constitutionnelle et politique : les manœuvres du prince Hamza, qui ont fait l’objet de nombreuses spéculations l’an dernier, ont clairement déclenché une vague d’inquiétude au sein du palais royal, qui a incité le roi à chercher à consolider son emprise sur les institutions clés en Jordanie. Il cherche à assurer le leadership du royaume et à affaiblir toute potentielle rébellion à l’avenir.

En parallèle, la méthode par laquelle la Constitution a été amendée vise à satisfaire les préoccupations du public. Le processus a été conçu pour donner aux citoyens le sentiment que les amendements étaient le fruit du travail d’une commission spécialisée et indépendante, constituée de représentants de l’ensemble du spectre politique.

C’est la commission qui a produit ces amendements, et non le gouvernement ou le roi – c’est du moins ce qui est affirmé. Ainsi, le système a été « modernisé » tandis que les désirs du peuple ont été « satisfaits ».

- Mohammad Ayesh est journaliste à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohammad Ayesh is an Arab journalist currently based in London
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