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Des milliers de Meriem : la prohibition de l’avortement asservit et tue les femmes marocaines

La bien-pensance et le militantisme lisse profiteront toujours aux hommes. C’est ce que nous rappelle la triste affaire de Meriem, jeune Marocaine de 15 ans décédée des suites d’un avortement clandestin après une grossesse provoquée par un viol
« United for Moroccan women » : illustration d’une campagne pour le droit à l’avortement au Maroc (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles)
« United for Moroccan women » : illustration d’une campagne pour le droit à l’avortement au Maroc (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles)

Elle se prénommait Meriem. Elle avait 15 ans. Meriem n’est plus. La nuit du 6 au 7 septembre 2022, Meriem est décédée des suites d’un avortement à risque dans un paysl’avortement est interdit. 

Meriem est morte victime de viol. Un homme âgé de 25 ans a sexuellement exploité Meriem. La jeune fille est morte en raison d’une grossesse non désirée, conséquence directe des violences sexuelles subies. 

Le bourreau a clandestinement organisé une intervention chirurgicale à son propre domicile, à 15 kilomètres de la ville de Midelt, dans le centre du Maroc, en présence de la mère de Meriem, infirmière, et de sa collègue sage-femme accompagnée d’un « technicien ». 

Meriem ne survivra pas à, selon les premiers éléments de l’enquête, ce qui semble être un problème d’anesthésie causé par cet acte de torture. Dans le monde, une fille ou une femme décède toutes les neuf minutes des suites d’un avortement à risque. L’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC) estime que, chaque jour dans le pays, 800 avortements à risque sont pratiqués.

Il aura fallu huit jours avant que la presse ne s’empare de cette tragédie. Et ce n’est pas faute d’avoir tenté d’alerter les médias. Avec les membres du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), nous avons même mené une investigation et contacté les rares médias arabophones ayant relaté les faits. Enfin, j’ai personnellement rapporté l’affaire sur les réseaux sociaux. 

D’avoir dû forcer les portes est révélateur : le système marocain reste inerte face aux violences à l’encontre des filles et des femmes.

Corps colonisé, corps déshumanisé

Le féminisme est-il une lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes ? C’est un leitmotiv réducteur. 

Nous ne voulons pas être les égales des hommes. Nous voulons être des femmes libres. Des esprits libres. Des corps libres. C’est un combat acharné contre le joug du patriarcat. Nous, filles et femmes, ne voulons plus être discriminées, harcelées, opprimées, violentées, exploitées, vendues, achetées, violées.

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Le droit à l’avortement est un droit inaliénable et j’y reviendrai. Mais il est capital de rappeler les circonstances, totalement oubliées, dans lesquelles Meriem s’est retrouvée enceinte. 

Force est de constater que pour l’opinion publique comme pour l’ensemble de la presse, la lutte contre les violences sexuelles et la pédocriminalité sexuelle (Meriem était mineure) est absente du débat. 

La pédocriminalité sexuelle est passée sous silence. Certains médias ont même évoqué des « relations amoureuses » et présenté le jeune homme de 25 ans comme le « petit ami ».

Or il s’agit bien là d’une lutte globale contre la colonisation et l’assujettissement du corps des filles et des femmes par les hommes.

L’exploitation sexuelle des filles et des femmes est l’un des fondements du patriarcat, elle justifie et perpétue un système de violences masculines – physiques et économiques –, d’exploitation des plus vulnérables, de marchandisation du corps féminin pour la satisfaction personnelle des hommes. 

Filles et femmes sont réduites à des produits de consommation à la disposition des hommes, et le corps des filles et des adolescentes est hypersexualisé, pornifié

Et cette objectivation du corps des filles et des femmes est le corollaire de leur déshumanisation. Filles et femmes sont réduites à des produits de consommation à la disposition des hommes, et le corps des filles et des adolescentes est hypersexualisé, pornifié.

L’asservissement des femmes est total dès leur plus jeune âge. Une chose, un objet sexuel dont on use et dont on se sert, sur la base d’un mythe d’une sexualité masculine biologiquement déterminée par un désir irrépressible. Les femmes auraient la responsabilité de satisfaire la sexualité des hommes. 

C’est un véritable fléau dont l’urgence est d’en appréhender le phénomène afin de mieux lutter contre l’impunité et mieux protéger les enfants.

Violences sexuelles et sexistes institutionnalisées

Au Maroc, les violences masculines et misogynes sont institutionnalisées, aussi bien dans le code de procédure pénale que dans celui de la famille

Par exemple, l’article 420 du code pénal établit que « les blessures faites ou les coups portés sans intention de donner la mort, même s’ils l’ont occasionnée, sont excusables lorsqu’ils sont commis par un chef de famille qui surprend dans son domicile un commerce charnel illicite, que les coups aient été portés sur l’un ou l’autre des coupables ». 

Le 14 février 2018 a été adoptée la loi 103-13 relative aux violences contre les femmes. Le viol conjugal n’y est nullement mentionné, comme il est inexistant dans le code pénal. 

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En 2022, cette violence sexuelle au sein des couples n’est pas encore institutionnalisée par une loi (elle n’a pas été intégrée comme violence dans la loi 103-13, ce qui avait fait beaucoup réagir). Le viol conjugal serait « halal », considéré comme un « devoir conjugal », comprendre le « devoir » des épouses, soumises à leur conjoint. 

Alors même que les relations sexuelles consenties, hors mariage, fondées sur un désir mutuel sont toujours criminalisées dans le code pénal marocain par l’article 490, l’adultère est réprimé par l’article 491.

L’État continue de distribuer des permis de violer sous couvert d’union maritale. Les politiques devraient s’indigner et s’opposer fermement au postulat de l’assujettissement d’une épouse au désir à sens unique et à la contrainte de son conjoint, libre de disposer du corps de l’autre en toute impunité. Les parlementaires sont responsables de l’objectivation du corps des filles et des femmes à des fins sexuelles.

L’État marocain, coupable, piétine les droits des filles et des femmes en mettant leur santé et leur vie en danger. Le système judiciaire complice, patriarcal, comme peut l’être la société toute entière, est nourri à la culture du viol. À savoir le conditionnement des filles et des femmes à se soumettre au patriarcat, aux personnes qui ont le pouvoir, les hommes donc, et à leur désir. 

Tant que les violences sexuelles seront institutionnalisées – viol conjugal, exploitation sexuelle des mineures sous couvert de « mariage » etc. –, l’ensemble du système continuera de profiter aux agresseurs et de participer à leur impunité.

Au Maroc, le « mariage » des mineures est théoriquement interdit. Mais l’article 20 du code de la famille accorde le droit aux juges des affaires familiales d’autoriser les unions de mineures en moins de 24 heures

En effet, au Maroc, le « mariage » des mineures est théoriquement interdit. La capacité matrimoniale est fixée à 18 ans par le code de la famille. Pourtant, 19 926 demandes de dérogation ont été déposées en 2020, dont 13 335 acceptées, soit un taux qui avoisine les 70 % selon les chiffres du ministère public. 

L’article 20 dudit code accorde le droit aux juges des affaires familiales d’autoriser les unions de mineures en moins de 24 heures. 

Autrement dit, le code de la famille autorise et légitime la pédocriminalité sexuelle, dont 99 % des victimes sont des filles. 

La justice et l’État marocain dans sa globalité réduisent les femmes à des objets sexuellement disponibles, en se faisant donc complices de ces violences sexuelles sous prétexte de pulsion fantasmée d’un « instinct bestial » que seuls les hommes connaîtraient, fondé sur le mythe patriarcal qu’est la « virginité » féminine, un concept totalement imaginaire de contrôle des femmes et de leurs sexualités.

L’article 488 du code pénal dispose même de la notion abjecte de « défloration », et autorise la pratique rétrograde, sexiste et non valide scientifiquement du « test de virginité » sur les filles et les femmes victimes de viol, infligeant des peines plus sévères à l’agresseur selon la supposée « virginité » de la victime. La victime, violée une seconde fois, est blâmée et humiliée.

Avortement : jusqu’à deux ans de prison

Meriem a été victime de différentes formes de violences dans ce drame : violences sexuelles, psychologiques et physiques dont la prohibition de l’avortement, qui représente une violence contre les filles et les femmes portant atteinte à leur dignité et à leur intégrité psychique et physique.

Le code pénal prévoit des sanctions allant jusqu’à deux ans de prison pour une femme qui pratique un avortement, d’un à cinq ans pour quiconque pratique un avortement sur autrui, de dix à vingt ans s’il y a décès de la patiente et jusqu’à trente ans s’il y a récidive.

L’interdiction est une situation non seulement contraire au droit de chacune à disposer librement de son corps – à savoir de choisir d’avoir un(e) enfant ou pas, et ceci quand elle le souhaite – mais elle a aussi des conséquences désastreuses en matière de santé reproductive. Les femmes sont contraintes à recourir à des méthodes dangereuses.

L’avortement au Maroc : un débat délicat
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Le débat sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse) est-il ouvert au Maroc ? Pas tout à fait, contrairement à ce que nous pouvons lire çà et là.

Officiellement, au Maroc, l’avortement est autorisé lorsque la grossesse met en danger la santé ou la vie de la femme enceinte, avec autorisation du conjoint. Il s’agit là d’une interruption médicale de grossesse (IMG) ou avortement « thérapeutique », et non d’une IVG. 

L’interruption de grossesse pour motif médical est revendiquée par de nombreuses associations, mais il ne s’agit en aucun cas de l’IVG comme droit des femmes à disposer de leur corps, comme libre choix.

En mars 2015, en plein débat sur les dangers de l’avortement clandestin, le roi Mohammed VI se saisissait du dossier et chargeait le ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid, et le ministre des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, ainsi que Driss El Yazami, président à l’époque de la Commission nationale des droits humains (CNDH), de mener des consultations élargies avec les religieux et la société civile sur la question. 

Il y eut également une audience avec les deux conseillers du roi et le ministre de la Santé. Soit au total, sept hommes pour régir le corps des femmes.

En 2015, roi Mohammed VI chargeait plusieurs personnalités politiques et des conseillers de mener des consultations élargies sur les dangers de l’avortement. Soit au total, sept hommes pour régir le corps des femmes

La commission a conclu que l’avortement ne pouvait être légal que dans trois cas seulement : lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la femme enceinte, en cas de « graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter » et enfin lorsque « la grossesse résulte d’un viol ou d’inceste ». 

Ce projet adopté par le Conseil de gouvernement en juin 2016 est toujours en stand-by. Un projet de loi qui ne prend nullement en compte le droit des femmes et continue d’aliéner leur corps. 

Les femmes de nouveau en minorité

Au sein du MALI, nous proposons un accompagnement aux femmes qui souhaitent mettre un terme à une grossesse non désirée et nous cherchons à garantir l’accès à un avortement sûr, particulièrement aux femmes en milieu rural, et cela par le biais de l’IVG médicamenteuse.

Nous menons cette pratique depuis 2012 dans la mesure du possible, avec notre partenaire l’ONG néerlandaise Women on Waves, dans le respect du protocole recommandé par l’OMS et suivi par de nombreuses ONG. 

Médecins, gynécologues et autres professionnels de santé qui acceptent de pratiquer des avortements (chirurgicaux dans l’écrasante majorité des cas) profitent souvent de la détresse des femmes pour faire un business lucratif, mettant en danger la santé voire la vie de ces femmes, souvent maltraitées, sexuellement agressées, ridiculisées et arnaquées. 

Illustration extraite d’une livre publié par le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles à l’occasion d’une campagne au sujet contre le mythe patriarcal de la « virginité » féminine en février 2022 (MALI)
Illustration extraite d’une livre publié par le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles à l’occasion d’une campagne contre le mythe patriarcal de la « virginité » féminine en février 2022 (MALI)

Protéger les filles et les femmes grâce à un avortement sûr et légal est une urgence.

La bien-pensance et le militantisme lisse profiteront toujours aux hommes. C’est ce que nous rappelle la triste affaire de Meriem. 

Nous, les femmes, sommes de nouveau en minorité dans les médias sur les sujets qui nous concernent, à savoir les droits sexuels et reproductifs. Le poids est toujours accordé à la parole masculine. 

Nos vies nous appartiennent, nous en sommes les seules décisionnaires et garantes. Seul(e)s les esclaves ont connu, dans les sociétés modernes, cette condition de ne pas disposer librement de leur corps.

Oui, nous revendiquons notre droit au plaisir. Notre droit de jouir. Nous revendiquons notre droit de maîtriser notre capacité reproductive et notre liberté d’être mère ou non. Nous réclamons la liberté de disposer de nos corps, de nos utérus, de nos ventres et de nos vulves comme nous le souhaitons. 

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Nous luttons et continuerons de lutter contre ces violences sexistes et sexuelles, qui cantonnent la sexualité des femmes à la sphère du mariage et l’obsession nataliste qui en découle.

Nous ne pouvons lutter contre les violences masculines sans lutter contre les stéréotypes sexistes ou toute autre forme de violences à l’encontre des femmes, par exemple économiques (la question de l’héritage). 

Le combat pour l’émancipation des femmes ne saurait être gagné sans les hommes, nous assène-t-on. Comprenez, les femmes ne sauraient atteindre l’égalité des droits et leur émancipation sans eux.

Faux. Des hommes s’immiscent dans nos luttes féministes, se vautrent dans les discriminations sexistes et les analyses féministes jusqu’à nous effacer, nous les femmes, de nos luttes.

En somme, les hommes doivent rester hors de nos luttes. Ils ne décideront plus pour nous. 

Nous silencier, c’est tuer une seconde fois des milliers de Meriem.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ibtissame Betty Lachgar est psychologue clinicienne et porte-parole du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). Vous pouvez la suivre sur Twitter : @IbtissameBetty
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