Aller au contenu principal

Que faire pour empêcher un conflit au Sahara occidental ?

Il semble que tant que l'Algérie et le Maroc ne parviendront pas à trouver un terrain d'entente, le conflit au Sahara occidental ne peut que rester dans la même impasse que depuis quarante ans

CASABLANCA, Maroc - Le secrétaire général de l'ONU publiera la semaine prochaine son rapport annuel sur le renouvellement du mandat de la mission onusienne au Sahara occidental, et le Maroc a de ce fait lancé une intense campagne diplomatique en faveur de son plan d'autonomie pour le territoire contesté. Ce regain d'activité vient après la pire crise entre Rabat et l'Organisation des Nations Unies, suite à la visite de Ban ki-moon aux camps de réfugiés du Front Polisario en Algérie  le mois dernier, où il avait employé le mot « occupation » pour décrire l'annexion par le Maroc du territoire contesté.

Un communiqué du Cabinet Royal a fait état d'une longue conversation téléphonique à ce sujet entre le roi Mohammed VI du Maroc et le président russe Vladimir Poutine la semaine dernière.

Vladimir Poutine et Mohammed VI ont décidé de renforcer leur coordination et de maintenir un contact permanent sur cette question afin de parvenir à un résultat équilibré et productif d'ici fin avril, indique le communiqué.

Lors de la visite officielle du roi du Maroc au Kremlin, le mois dernier, Moscou a pris parti pour Rabat dans cette épineuse controverse.

« La Russie tient dûment compte de la position du Maroc  quant au règlement de ce conflit », a affirmé une déclaration conjointe de Vladimir Poutine et du roi Mohammed VI, suite à leur rencontre.

« La Fédération de Russie et le Royaume du Maroc s'opposeraient à toute tentation d'accélérer ou de hâter le processus politique, et à toute violation des paramètres définis par les résolutions du Conseil de sécurité en vue d'une solution à la question du Sahara », a-t-il ajouté.

Washington a jugé « crédible » le plan proposé par le Maroc au sujet du territoire contesté et lui a exprimé son soutien.

« Nous estimons sérieux, réaliste et crédible le plan marocain d'autonomie », a tweeté le mois dernier Kurtis Cooper, porte-parole de la mission américaine.

« C'est une approche potentielle susceptible de satisfaire les aspirations du Sahara occidental. »

Lors d'une visite officielle à Alger, le Premier ministre français, Manuel Valls, a réitéré que la position de la France, allié traditionnel du Maroc, reste « inchangée » et qu'une solution, quelle qu'elle soit, doit être trouvée dans le cadre des Nations Unies.

Comme les États-Unis, la France a réaffirmé que le plan d'autonomie présenté par le Maroc en 2007, « constitue une base sérieuse et crédible en vue d'une solution négociée. »

Pour désamorcer une tension croissante, l'Espagne s'est proposée comme médiateur entre le Maroc et l'ONU.

Le Secrétaire d'État espagnol aux Affaires étrangères, Ignacio Ibanez, a déclaré que Madrid « entretient un dialogue avec le Maroc ainsi que d'autres parties prenantes » et que son pays « souhaite contribuer à apporter une solution à une situation déjà compliquée en elle-même - et non pas l'aggraver.»

Selon Stéphane Dujarric, porte-parole de Ban, ce dernier a fait volte-face et déclaré à la fin du mois dernier qu'il regrettait ses récentes remarques sur le conflit au Sahara occidental : elles n'étaient pas délibérées, a-t-il précisé, qualifiant de « malentendu » son utilisation du mot « occupation » pour décrire l'annexion par le Maroc du territoire contesté.

Les remarques de Ban ont provoqué la colère du Maroc le mois dernier, suite à une visite aux camps de réfugiés au sud de l'Algérie, et incité Rabat à prendre plusieurs mesures contre la mission de l'ONU dans le territoire contesté. Le Maroc est très sensible aux allégations qualifiant d'occupation son annexion du territoire contesté en 1975, où il a pris la place de la puissance coloniale espagnole.

« L'emploi de ce mot n'avait pas été préparé, et n'était pas intentionnel ; c'était une réaction personnelle spontanée. Nous regrettons les malentendus et les conséquences qui ont suivi cette expression personnelle de sollicitude », a précisé Stéphane Dujarric.

Les remarques de Ban ont déclenché la pire crise entre le Maroc et l'ONU depuis 1991, année où l'organisation internationale a négocié un cessez-le feu mettant fin à la guerre au Sahara Occidental entre le Maroc et les séparatistes du Front Polisario.

Rabat a immédiatement pris des mesures et exigé de l'organisation mondiale la fermeture de son bureau de liaison militaire dans le territoire contesté, un jour après l'expulsion par le royaume d'Afrique du Nord de la plupart des membres civils non-marocains de la mission MINURSO, contrôlée par l'ONU.

Ban a reproché au Maroc et au Front Polisario de ne pas avoir fait de «réels progrès» sur la voie d'une solution «acceptable» mettant un terme à ce conflit de 40 ans.

Le royaume d'Afrique du Nord a accusé Ban d'être sorti de sa neutralité dans le conflit du Sahara occidental et des analystes marocains ont accusé Ban de légitimer la guerre que mène le Front Polisario contre le Maroc.

Dans un entretien sur la chaîne d'informations marocaine Medi1 TV, l'analyste politique Manar Slimi a mis en garde sur le fait que le chef de l'ONU risquait d’entrainer une guerre entre le Maroc et l'Algérie.

« Ban devra assumer l'entière responsabilité d'une guerre éventuelle entre le Maroc et l'Algérie, qui mettrait en péril la sécurité régionale et internationale », a déclaré Manar Slimi.

Le Maroc a exigé que 81 expatriés civils employés de l'ONU et trois employés de l'Union africaine quittent la mission. Mais l'ONU a indiqué que 11 d'entre eux ne travaillaient plus pour la MINURSO. À ce jour, 73 collaborateurs de l'ONU ont quitté le Sahara occidental, suite à l'ordre d'expulsion du Maroc.

Un référendum jamais tenu

La mission de l'ONU avait été chargée d'organiser un référendum sur l'avenir du territoire contesté, sans donner suite.

Le Front Polisario a qualifié de soufflet contre le Conseil de sécurité la décision du Maroc d'expulser les civils de l'ONU, et y voit une dangereuse provocation risquant de conduire à la guerre.

Dans une lettre envoyée cette semaine au chef de l'ONU, le leader du mouvement séparatiste, Mohammad Abdulaziz, a averti que les séparatistes sahraouis reprendront la lutte armée si le Maroc n'est pas soumis à des pressions réelles et directes pour rétablir pleinement la mission de l'ONU au Sahara occidental.

Le Maroc, qui estime que le territoire contesté fait partie du royaume et tient à ce que sa souveraineté ne puisse être contestée, a proposé une large autonomie pour le Sahara occidental. Le Front Polisario rejette cette proposition et tient à affirmer le droit du peuple sahraoui à déterminer son propre avenir.

Le Conseil de sécurité, qui donne à la MINURSO son mandat, n'a ni officiellement soutenu le chef de l'ONU, ni condamné les mesures prises par Rabat suite aux déclarations de Ban.

Le Maroc a également annulé sa contribution volontaire à la mission de la MINURSO. Selon les chiffres de l'ONU, cette contribution volontaire était de l'ordre de 3 millions de dollars.

Le haut responsable aux affaires politiques de l'ONU, Jeffrey Feltman, a averti que les troupes de la MINURSO ne seraient plus opérationnelles sans cette composante civile, qui ne compte plus que 27 employés civils.

« De nombreuses fonctions essentielles de la mission seraient impossibles avec un personnel aussi réduit », a prévenu le porte-parole de l’ONU Farhan Haq.

« Si la force de maintien de la paix ne s'acquittait pas de sa tâche aux termes de son mandat, il y aurait un risque réel de retour à une tension accrue, voire à un conflit », a-t-il averti.

Le mois dernier, Rabat est revenu sur sa décision de rappeler son contingent de 2 300 soldats pour le maintien de la paix en Côte-d'Ivoire, au Congo et en République centrafricaine, estimant que son départ risquerait de contribuer à détériorer le niveau de sécurité dans des « pays amis ».

Il est clair que ce conflit de quatre décennies restera dans l'impasse tant que l'Algérie et le Maroc, qui n'ont toujours pas résolu leur différend frontalier, ne parviendront pas à trouver un terrain d'entente.

Or, Alger soutient  la tenue d'un référendum dans la région contestée alors que Rabat défend son plan d'autonomie. La communauté internationale - qui semble avoir perdu espoir d'un règlement définitif du conflit au Sahara occidental - devrait donc prendre part à une initiative majeure visant à faire signer par l'Algérie et le Maroc une paix négociée mettant un terme à un conflit qui s'éternise depuis si longtemps.

- Saad Guerraoui est un rédacteur principal de Middle East Online et un auteur régulier du journal Arab Weekly. Il a étudié à l’université de Newport (campus de Londres) et est titulaire d’un doctorat en administration des entreprises. Il est déjà intervenu publiquement sur plusieurs chaînes de télévision satellite en tant qu’analyste.

Les opinions formulées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants marocains brandissent des pancartes et crient des slogans lors d'une manifestation contre les déclarations faites en début de semaine par le chef des Nations Unies, Ban Ki-moon, au sujet du Sahara occidental, territoire contesté entre le Maroc et le front Polisario, suite à sa visite à un camp de réfugiés issus de ce territoire. Rabat, capitale du Maroc, le 13 Mars 2016 (AFP).

Traduction de l'anglais (original) par Dominique Macabies. 

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].