Quels sont les enseignements politiques de l’imprévisibilité du vote ?
Le phénomène électoral est le fait le plus analysé et commenté de la vie politique contemporaine. Académiciens, journalistes, instituts de sondage : l’expertise des questions électorales n’a cessé de se développer depuis les années 1930 dans les « veilles démocraties ». Jusqu’à récemment, on avait même l’impression que l’ « opinion publique » était tellement apprivoisée que l’élection n’offrait plus ni suspens, ni changement.
On assiste toutefois depuis quelques temps à un certain nombre de résultats électoraux imprévisibles qui ont suscité surprise et choc. Depuis le Brexit, aux États-Unis comme en France, plusieurs échéances électorales ont débouché sur des résultats considérés comme surprenants : que ce soit la victoire du magnat de l’immobilier américain Donald Trump, mais également les bons scores obtenus par Bernie Sanders et les victoires de Benoît Hamon et François Fillon lors des primaires françaises.
Ces « bouleversements » suggèrent l’émergence d’une nouvelle configuration où les pratiques de vote semblent ébranler les équilibres politiques classiques et échapper aux prévisions des électoralistes, et surtout des sondeurs.
Quels sont les enseignements politiques qu’il faut retenir de ces votes-surprises ? Dans quelle mesure les scrutins indiqués ci-dessus opèrent des changements dans le système bipartisan ?
Une gauche et une droite obsolètes
Depuis un certain temps, un constat largement partagé chez les citoyens ordinaires est celui du brouillage des frontières entre gauche et droite. Une fois au pouvoir, Parti Socialiste ou UMP, Démocrates ou Républicains, cela n’a pas l’air de changer grand-chose. Les politiques sont quasiment les mêmes.
Cette routinisation du fait que les programmes de gauche et droite sont similaires se conjugue à une situation de plus en plus critique : la place croissante des lobbys financiers dans la vie politique, la corruption, la pauvreté, la persistance des taux de chômage élevés, le creusement des inégalités, les problématiques environnementales, le contexte international très instable, les guerres, le terrorisme, l’immigration, les conflits raciaux…
La demande d’une action publique capable d’apporter des changements à ce paysage morose est plus que jamais d’actualité.
Crise de représentation et discrédit des élites traditionnelles
À « gauche », ce qui est commun au parti socialiste français et aux démocrates américains, c’est la domination depuis un certain temps des ailes droites comme Jimmy Carter, Bill Clinton, Barack Obama, Ségolène Royal ou encore François Hollande. Toutes ces figures incarnent à des degrés variés un changement majeur qui a caractérisé les orientations de ces deux partis en matière de politiques économiques, à savoir l’abandon du keynésianisme au profit du néolibéralisme.
Mais si la victoire de ces ailes était jusqu’à récemment assez aisée, la difficile qualification d’Hillary Clinton et l’élimination de Manuel Valls lors des primaires des démocrates et du parti socialiste signalent, semble-t-il, la fin d’une époque. Le néolibéralisme n’est plus en mesure de vendre des rêves.
La défaite de Sarkozy signale une demande de moralisation de la vie politique
À droite, les problématiques sont encore plus complexes. Aux États-Unis, les défaites de Scott Walker, de Jeb Bush ou encore de Marco Rubio ont été largement interprétées comme signes de la remise en cause de l’establishment partisan. Cet establishment qui, par la force de moyens financiers, a toujours réussi à placer ses hommes, a été confronté cette fois-ci à un nouveau phénomène : un richissime populiste sûr de lui, qui n’a pas besoin d’argent pour financer sa campagne. Trump s’est érigé chez plusieurs sympathisants de droite comme figure d’émancipation de la joute des lobbies financiers.
En France, au-delà du bilan catastrophique de son mandat, la défaite de Sarkozy a fortement été liée à son implication dans des affaires de corruption et de détournement des fonds principalement à cause des financements douteux qu’il aurait reçus du régime libyen lors des élections de 2007, mais également à cause de l’affaire Pygmalion.
Il est considéré chez beaucoup de Français comme le Berlusconi made in France. Sa défaite signale une demande de moralisation de la vie politique, et une recherche de responsables politiques plus intègres.
Une demande de renouvellement des élites
Benoît Hamon comme Bernie Sanders ont souvent été considérés comme des candidats marginaux, représentant des courants très minoritaires dans leur parti et disposant de très peu de chances d’obtenir la confiance des électeurs face à des candidats mainstream comme Hillary Clinton ou Manuel Valls.
Parmi les éléments qui caractérisent leurs candidatures : des mesures considérées comme « très à gauche » ou encore « irréalisables » par leurs propres partis : le revenu universel, l’annulation de la loi El Khomri, l’engagement pour une « vraie » politique écologique… pour Hamon. Faire la guerre à Wall Street, engager une réforme fiscale pour financer l’enseignement universitaire gratuit et pour élargir le système de sécurité sociale… pour Sanders.
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Les succès de ces deux candidats renvoient à un repositionnement à gauche d’une large partie des électeurs démocrates et des socialistes. Ils renvoient également à une demande de reconnecter ces partis avec la société, surtout que ceux-ci sont depuis assez longtemps absents de l’espace public, en dehors des périodes électorales.
Donald Trump a réussi de son côté à vendre l’image de l’homme politique fort, capable d’opérer le changement
Ainsi, en axant leur campagne autour des mesures citées ci-dessus, Sanders et Hamon ont démontré une certaine écoute des critiques formulées par les « mouvements de places », notamment Occupy Wall Street et Nuit Debout.
S’opposant farouchement à l’establishment et mettant en avant sa fortune comme preuve de son indépendance, Donald Trump a réussi de son côté à vendre l’image de l’homme politique fort, capable d’opérer le changement. Son autoritarisme, légitimé par un projet politique « noble », sous le slogan « Make America great Again », a fini par attirer beaucoup d’électeurs.
Ce projet est d’autant plus attractif qu’il est affirmé par des impératifs économiques et sociaux clairement nationalistes : relocaliser l’industrie, investir dans l’infrastructure, et faire la guerre aux étrangers (construire un mur sur la frontière mexicaine, empêcher les ressortissants des pays musulmans d’entrer sur le territoire, annoncer la guerre aux capitalistes chinois).
Ces mesures sont aujourd’hui de plus en plus acceptables pour des pans entiers de la société américaine. Elles répondent à une logique de repli qui caractérise une grande partie de ce que l’on nomme les « sceptiques de la mondialisation ». Mais elles prennent encore plus d’ampleur dans des régions comme la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan, la Caroline du Nord… et plus particulièrement chez les catégories les moins scolarisées de la population qui ont prouvé une mobilisation inédite lors de sa campagne.
Recomposition au-delà des partis mainstream : une affaire à suivre
Les nouvelles tendances de vote remettant au-devant de la scène des courants politiques minoritaires sont les signes d’un retour du conflit à la politique, c’est-à-dire un retour de divergences fondamentales entre l’establishment politique et les demandes des électeurs ; un retour qui répond à un appel au changement de plus en plus pressant au sein des grand partis.
Ces tendances dépassent toutefois le simple cadre des partis classiques pour caractériser une scène électorale plus large. La montée remarquable de Mélenchon et de Marine Le Pen dans les intentions de vote pour les présidentielles de 2017 en France, s’inscrit également dans ce mouvement de demande de changement radical.
- Aymen Belhadj est doctorant en sociologie politique à l’université Paris1, Panthéon-Sorbonne, et chercheur associé à Prodig (Paris) et à l’IRMC (Tunis).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Donald Trump s’est érigé chez plusieurs sympathisants de droite comme figure d’émancipation de la joute des lobbies financiers (AFP).
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