Réouverture du poste-frontière entre Syrie et Jordanie : une victoire diplomatique pour Assad ?
À plus de 60 kilomètres d’Amman, la capitale jordanienne, des dizaines de touristes jordaniens et de réfugiés syriens font la queue devant le nouveau poste-frontière de Nassib.
Le passage frontalier du nord a été rouvert lundi 22 octobre, après trois ans de fermeture, après la signature d’un accord entre le régime syrien et le gouvernement jordanien, et des semaines de préparatifs logistiques et sécuritaires.
Peu après l’annonce de la réouverture, les agences de voyage par route ont commencé à faire de la publicité pour de « bonnes affaires » en direction de Damas et de Beyrouth. Cela faisait trois ans qu’elles n’avaient plus de clients, en dehors des pèlerinages.
Accroissement du tourisme
Ghassan Abu al-Aish, chauffeur de taxi pour l’une des agences, se dit heureux de pouvoir enfin transporter des clients en Syrie et au Liban.
« Je suis très heureux que nous puissions à nouveau travailler en Syrie. C’est beaucoup plus proche et tellement plus beau. J’adore ! », témoigne Ghassan, pendant qu’avec ses passagers, il attend son tour près de la frontière.
La réouverture de la frontière va soutenir financièrement le régime d’Assad, surtout après la réouverture récente par Israël du point de passage de Quneitra, sur le plateau du Golan occupé
Ghassan confie que son agence a déjà commencé à recevoir des demandes de touristes. Il anticipe un meilleur avenir pour le tourisme, grâce à des billets bon marché : « Chaque passager paierait moins de 100 dollars [87 euros] aller-retour. Ici, c’est abordable ».
La réouverture de la frontière soutiendra financièrement le régime d’Assad, surtout après la réouverture récente par Israël du point de passage de Quneitra, sur le plateau du Golan occupé.
Depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011, le travail était incertain à la frontière, qui fut ensuite bouclée en permanence après sa reprise par l’opposition syrienne en 2015. Les forces du président syrien Bachar al-Assad ont en juillet dernier récupéré le contrôle du terminal commercial, vital pour la région, en vertu d’un accord avec l’opposition.
Il s’agit également d’une victoire diplomatique pour Assad, profondément isolé dans la région depuis le début de la guerre civile, qui a fait des centaines de milliers de morts dans le pays.
« Quand j’ai vu la Syrie, j’en ai pleuré »
Si les liens diplomatiques entre Jordanie et Syrie n’ont jamais été rompus, le nouvel accord reflète une amélioration des relations. Pour Sami Sabaaneh, analyste politique basé à Amman, la Jordanie a décidé d’ouvrir les frontières lorsqu’elle a su qu’elle pourrait assurer sa sécurité « le moment venu ».
Avant 2011, les Syriens n’étaient pas tenus d’avoir un visa jordanien, mais en vertu du nouvel accord bilatéral, ils devront obtenir une habilitation de sécurité avant d’entrer en Jordanie, tentative manifeste de limiter le nombre des réfugiés accueillis en Jordanie. Les Jordaniens quant à eux n’ont toujours pas besoin de visa pour entrer en Syrie.
Muhammad Khwaila, citoyen jordanien, raconte qu’il revient de Damas et que les mots lui manquent pour décrire la beauté de la ville. « Quand j’ai vu la Syrie, j’en ai pleuré. Cela fait si longtemps. Je suis tellement heureux de savoir qu’on peut y aller quand bon nous semble », s’exclame-t-il en ajoutant qu’il prévoit également de se rendre à Beyrouth en fin de semaine. « La [réouverture] de cette frontière rend la vie plus facile et bien plus amusante. »
La fermeture de la frontière a gravement affecté l’économie jordanienne, car des centaines de véhicules chargés de marchandises, principalement agricoles, traversaient quotidiennement la Syrie, le Liban, la Turquie et le Golfe. Depuis la fermeture de la frontière, le déficit annuel de la balance commerciale jordanienne est passé à plus d’ 1,7 milliard de dollars.
Un tournant décisif
Abdel Salam Thyabat, directeur de la Chambre de commerce de Ramtha, en Jordanie, explique : « La frontière de Nassib est une vraie bouée de sauvetage qui maintient à flot l’économie jordanienne ». Il précise qu’exporter des marchandises par ce passage coûte trois fois moins cher que par le golfe d’Aqaba.
« Les exportations ont chuté de plus de 90 % au cours des trois dernières années. On n’exportait plus de légumes et fruits », déplore-t-il, contacté par téléphone par Middle East Eye. « Nous voilà à un véritable tournant de l’économie jordanienne. »
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Entre-temps, des dizaines de Syriens commencent à réinvestir leurs villes. Avec plus d’un million de réfugiés syriens depuis le début de la guerre, la Jordanie accueille l’une des plus nombreuses populations de réfugiés syriens dans le monde.
Janet Mshiwa, 45 ans, vit réfugiée en Jordanie depuis cinq ans, mais elle a finalement décidé de rentrer chez elle. « Rien ne vaut son chez-soi... Je suis très heureuse de revenir ici : j’y ai ma vie et ma famille. »
- Abeer Ayyoub est une journaliste palestinienne de Gaza. Elle y a travaillé comme pigiste pendant cinq ans avant de s’installer au Royaume-Uni dans le cadre d’une bourse universitaire octroyée par l’Université d’Oxford. Elle est actuellement basée à Amman, où elle prépare une maîtrise en nouveaux médias.
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Photo : le poste frontalier de Naseeb a rouvert cette semaine, après trois ans de fermeture (Shamel Beno/MEE).
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