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Saisir les objets de valeur des demandeurs d’asile : le Danemark perd la tête et son humanité

En réalité, cette mesure est conçue comme un moyen de dissuasion, pour instiller la peur parmi les populations de réfugiés qui pourraient se diriger vers le Danemark

Le Danemark est sur le point de saisir l’argent et les objets de valeur des demandeurs d’asile arrivant dans le pays, après un large vote en faveur de cette mesure gouvernementale au Parlement. Le message est aussi clair que viscéral : les réfugiés ne sont pas les bienvenus au Danemark.

Tous les nouveaux arrivants, pour la plupart des Syriens, des Érythréens et des Afghans fuyant la guerre et la persécution dans leur pays d’origine, devront se soumettre à l’indignité d’une fouille au corps et à son caractère invasif lors de leur arrivée au Danemark, ainsi qu’à la fouille de leurs bagages. Les réfugiés ne pourront garder plus de 10 000 couronnes (environ 1 340 euros) en espèces et possessions. Tout ce qui dépasse ce montant sera pris par les représentants de la loi. Les articles considérés comme étant « de valeur » seront vendus par les autorités.

Des réactions horrifiées face à cette décision retentissent dans le monde entier. Pour beaucoup, cela rappelle l’Holocauste juif.

Officiellement, la position du gouvernement danois est la suivante : le revenu généré contribuera aux coûts de l’aide apportée aux demandeurs d’asile au Danemark. Selon les estimations, 15 000 auraient rejoint le pays en 2015. Toutefois, les réfugiés n’arrivent pas en quête d’asile portant des liasses de billets et des ordinateurs coûteux. La plupart n’ont guère plus que les vêtements qu’ils portent. Même pour ceux qui sont partis en emportant une petite somme d’argent, celle-ci est susceptible d’avoir disparu au cours de leurs longs et traumatisants voyages.

Et tandis que la définition d’« argent liquide » est claire, ce qui constitue les « objets de valeur » est plus vague. En réponse aux critiques internationales, le ministère danois de l’Immigration, de l’Intégration et du Logement a souligné que les articles de « valeur sentimentale particulière » comme les alliances, bagues de fiançailles, portraits de famille, décorations et médailles ne sont pas concernés par la nouvelle loi, bien que les montres, les téléphones mobiles et les ordinateurs le sont.

Qu’en est-il des autres articles ? Un portrait de famille protégé par un cadre en argent sera-t-il démonté et le précieux – mais pas sentimental – cadre vendu ? Dans la pratique, les réfugiés devront sans doute s’accommoder de tout ce que les agents des forces de l’ordre jugeront être un élément « sentimental ». Ce sera sûrement un processus traumatisant.

Le Premier ministre danois fait valoir qu’il s’agit d’une question de principe ; que ceux qui peuvent se permettre de subvenir à leurs besoins doivent le faire. Pourtant, les autorités obligent les demandeurs d’asile à vivre dans des centres austères et isolés. Le fonctionnement de ces centres est censé être coûteux même si aucun chiffre officiel n’est disponible. Les demandeurs d’asile ne sont pas non plus autorisés à travailler tant qu’ils sont logés dans ces centres. Ils peuvent tout à fait préférer subvenir à leurs besoins, mais en sont empêchés par l’État danois.

Que se passe-t-il en réalité ?

En réalité, cette mesure est conçue comme un moyen de dissuasion, pour instiller la peur parmi les populations de réfugiés qui pourraient se diriger vers le Danemark. Tandis que la Suède, l’Autriche, l’Allemagne et d’autres en Europe mettent en place des contrôles frontaliers plus stricts et que la peur et le sentiment anti-immigrants balayent le continent, le Danemark a fermement placé un marqueur dans le sol. Il ne peut plus y avoir de doute quant à sa position sur le plus gros problème européen du moment.

En plus de la saisie d’objets de valeur, le Danemark a également augmenté le délai requis avant que les réfugiés puissent demander un regroupement familial, même concernant leurs enfants, ce qui fait totalement fi des engagements juridiques internationaux du pays, comme le souligne Amnesty International.

En vérité, le Danemark sombre dans la xénophobie depuis plus d’une décennie. Depuis 2002, les gouvernements danois successifs ont resserré les contrôles d’asile et réduit le soutien aux demandeurs d’asile.

Au moment des élections de 2015, le sentiment anti-immigration avait fini par jouer un rôle central dans le débat politique. Le gouvernement minoritaire actuel est arrivé au pouvoir par le soutien à un programme anti-immigration. Même l’opposition sociale-démocrate, dirigée par l’ancien Premier ministre Helle Thorning-Schmidt, s’est jointe au mouvement anti-immigrés pendant la campagne.

Et il est impossible de séparer le sentiment anti-immigrants (jusqu’à 70 % de la population danoise classerait l’immigration en tête de ses préoccupations) de l’islamophobie croissante au Danemark.

La nouvelle loi en dit long sur l’état de la politique et de la société danoises d’aujourd’hui. Et au-delà de l’impact que cela aura sur les réfugiés, il y aura certainement des répercussions à travers l’Europe.

Une réponse européenne commune à la crise migratoire et de l’asile semble être plus loin que jamais, tandis que les perspectives à long terme pour l’accord de Schengen – sans doute au cœur du projet européen – semblent fragile.

En faisant ce choix, les Danois ont fermement tourné le dos à l’engagement de leur pays vis-à-vis du droit international. Tout souvenir du Danemark comme l’un des premiers soutiens de la Convention de Genève et comme un pays de tolérance a été fermement remisé au placard.

- Katharine Jones est chercheuse principale au Centre for Trust, Peace and Social Relations (CTPSR) de l’Université de Coventry. Cet article a été initialement publié sur TheConversation.com/uk.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la police danoise a mis en place un point de contrôle à la frontière le 5 janvier 2016 dans la ville frontalière de Kruså, après l’annonce par le Danemark de l’introduction immédiate de contrôles aléatoires à la frontière allemande (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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