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L’Irak, cet autre allié vital de Bachar al-Assad

S’il est compréhensible que l’attention se soit concentrée sur le rôle joué par l’Iran et la Russie pour maintenir Assad au pouvoir, l’implication de l’Irak ne doit pas être ignorée ou sous-estimée
Le président syrien Bachar al-Assad accueille le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani à Damas, le 16 juillet 2023 (Sana/Reuters)
Le président syrien Bachar al-Assad accueille le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani à Damas, le 16 juillet 2023 (Sana/Reuters)

La rencontre entre le président syrien Bachar al-Assad et le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani à Damas le 16 juillet était la première rencontre des deux dirigeants en Syrie depuis le début du soulèvement contre Assad en 2011.

Si certains peuvent y voir le reflet de l’évolution régionale des puissances arabes, lesquelles souhaitent renouer avec Damas après plus de dix ans d’isolement, en réalité, cette visite est plus une continuité qu’un changement.

Contrairement à la plupart des États arabes qui ont rompu leurs liens et ont voté pour suspendre la Syrie de la Ligue arabe en 2011, l’Irak a conservé des relations avec son voisin à l’ouest. Par ailleurs, Bagdad fut loin d’être neutre et a joué un rôle clé – bien que discret – dans la survie d’Assad.

En raison d’un fossé idéologique au sein du parti Baas dans les années 1960, Bagdad et Damas étaient dirigés par des factions différentes, souvent hostile

Si l’attention – et c’est compréhensible –, s’est concentrée sur le rôle joué par l’Iran et la Russie pour maintenir Assad au pouvoir, l’implication de l’Irak ne doit pas être ignorée.

L’importance de l’Irak dans la survie d’Assad fut une surprise étant donné les mauvaises relations historiques entre ces deux voisins. Saddam Hussein et le père d’Assad, Hafez, qui a dirigé le pays des années 1970 à sa mort en 2000, se détestaient.

En raison d’un fossé idéologique au sein du parti Baas dans les années 1960, Bagdad et Damas étaient dirigés par des factions différentes, souvent hostiles, malgré un même nom.

L’animosité personnelle entre Hafez et Saddam a compliqué les choses, les amenant à financer des camps rivaux à l’étranger : la Syrie a soutenu l’Iran au cours de ses huit années de guerre avec l’Irak tandis que Bagdad a soutenu les factions antisyriennes lors de la guerre civile libanaise. C’est en 1991 que le creux de la vague a été atteint quand Hafez al-Assad a rejoint la coalition internationale pour chasser Saddam du Koweït.

Si les relations se sont réchauffées après l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad en 2000, la défaite de Saddam Hussein face aux États-Unis en 2003 a engendré un retour des tensions car Damas a secrètement encouragé des militants à se rendre en Irak pour déstabiliser l’occupation américaine et le gouvernement nouvellement élu à Bagdad.

Des liens vitaux

Cela dit, les relations entre la Syrie et l’Irak se sont vraiment améliorées lorsque le commerce entre les deux États a prospéré, l’Irak devenant le premier partenaire d’exportation de la Syrie à la veille du soulèvement de 2011.

L’ascension au pouvoir des politiciens pro-Iran en Irak, comme Nouri al-Maliki, a jeté les bases d’une coopération plus étroite, tous deux ayant un allié commun à Téhéran, même si Maliki et Assad ne s’appréciaient pas vraiment.

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Ces liens se sont avérés vitaux lorsque la guerre civile syrienne a éclaté car l’Irak allait offrir plusieurs bouées de sauvetage à Assad.

La première fut un soutien diplomatique. En novembre 2011, lorsque la Ligue arabe a voté la suspension de la Syrie, l’Irak s’est abstenu. Ajouté aux votes contre du Liban et du Yémen, cela a permis à Assad de prétendre qu’il n’était pas totalement isolé – ce qui l’a aidé à trouver du soutien dans son pays.

Par ailleurs l’Irak, comme le Liban, a choisi de ne pas rejoindre l’embargo commercial de la Ligue arabe qui s’en est suivi. Étant donné l’importance du commerce irakien pour l’économie syrienne, cela a permis à Damas d’avoir quelques mois supplémentaires de capital à utiliser pour la guerre, avant que les lignes de front n’atteignent la frontière irakienne et que le commerce ne soit en grande partie asphyxié.

Le commerce reste essentiel aujourd’hui, Soudani a appelé lors de sa visite à Damas à lever toutes les sanctions contre la Syrie, conscient que l’Irak en serait un bénéficiaire majeur.

La seconde bouée fut un soutien militaire. Si l’armée irakienne n’a pas officiellement envoyé d’aide à Assad, le gouvernement à Bagdad n’a pas non plus cherché à empêcher des milliers de combattants chiites irakiens de se diriger vers l’ouest pour rejoindre les brigades dirigées par l’Iran.

La plus célèbre d’entre elles, la brigade Abu al-Fadl al-Abbas, a été formée en 2012 par le général iranien Qasem Soleimani et aurait compté à son apogée plusieurs centaines de combattants irakiens, jouant un rôle vital pour défendre et reprendre des positions clés du régime d’Assad.

Le commandant de la force al-Qods iranienne, le général Qasem Soleimani, assiste à la célébration marquant le 37e anniversaire de la révolution islamique, le 11 février 2016 à Téhéran (AFP)
Le commandant de la force al-Qods iranienne, le général Qasem Soleimani, assiste à la célébration marquant le 37e anniversaire de la révolution islamique, le 11 février 2016 à Téhéran (AFP)

On a pu constater l’importance de ces combattants en 2014, lorsque bon nombre d’entre eux ont choisi de rentrer en Irak pour combattre le groupe État islamique (EI), dégarnissant les rangs des forces gouvernementales et contribuant à la décision de la Russie d’intervenir directement pour empêcher l’effondrement d’Assad un an plus tard.

Plus tard, le gouvernement irakien a directement aidé Assad dans le cadre de leur lutte commune contre l’EI. L’engagement d’Assad envers la guerre contre l’EI a toujours été secondaire face à son combat contre les forces rebelles dans l’ouest de la Syrie.

Là encore, l’armée irakienne et les Unités de mobilisation populaire (UMP) qui lui sont alliées, avec le soutien distinct de la part des États-Unis et de l’Iran, ainsi que des opérations similaires des Forces démocratiques syriennes dans l’est de la Syrie, ont contribué à vaincre l’État islamique.

Cela a donné à Assad l’occasion de reprendre une grande partie du centre de la Syrie, lui permettant de rediriger ses troupes pour reconquérir l’ouest.

Une profondeur stratégique

Finalement, l’Irak a fourni à Damas et à leur allié commun, l’Iran, une profondeur stratégique pour aider Assad. En plus de fournir des miliciens chiites, l’Irak a permis à Soleimani et à sa force al-Qods de traverser relativement librement la frontière syro-irakienne par la terre et par les airs, lui permettant d’accéder à des armes et à des fournitures.

Le retrait américain d’Irak en décembre 2011 fut un moment clé, il a rendu à l’Irak le plein contrôle sur son espace aérien. Ainsi, le ministre du Transport, Hadi al-Ameri, qui dirigeait l’organisation Badr, allié proche de Soleimani, a autorisé les vols réguliers iraniens à traverser l’Irak pour rejoindre la Syrie, ce que les États-Unis avaient interdit.

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Si l’Irak a insisté sur le fait qu’il s’agissait de secours humanitaires, les rebelles syriens et leurs alliés ont fait valoir qu’ils comprenaient les armes vitales pour Assad ainsi que les combattants du Hezbollah venus du Liban qui avaient rejoint le conflit.

À l’apogée de la guerre, même si une grande partie de la frontière syro-irakienne était inaccessible pour Damas et Bagdad, le gouvernement irakien a offert un soutien diplomatique, économique et militaire clé pour aider Assad à survivre.

S’il est tentant de lier tout cela à la proximité de Bagdad avec l’Iran, et de faire de l’Irak un simple supplétif de Téhéran, il s’agit d’une simplification à l’excès. Il est clair que de nombreux dirigeants irakiens tels que Maliki ou Ameri, étaient proches de l’Iran et donc plus disposés à aider Assad à la demande de Soleimani ou d’autres. 

Cependant, beaucoup ne voulaient pas non plus voir Assad évincé et craignaient véritablement les conséquences nationales et régionales d’une défaite du dictateur syrien.

Les discrètes initiatives qui ont aidé à maintenir Assad en place n’ont donc pas provoqué d’opposition nationale généralisée.

En ce sens, l’accolade et l’ouverture de Soudani envers Assad à Damas n’était pas une révolution diplomatique mais simplement la perpétuation de la politique prudente et discrète de soutien à l’égard du dirigeant syrien depuis le début de la guerre. 

Christopher Phillips est maître de conférences en relations internationales à la Queen Mary University of London, dont il est également vice-doyen. Il est l’auteur de The Battle for Syria: International Rivalry in the New Middle East (Yale University Press) et coéditeur de What Next for Britain in the Middle East (IB Tauris).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Christopher Phillips is a professor of international relations at Queen Mary, University of London, where he is also a deputy dean. He is the author of The Battle for Syria, available from Yale University Press, and co-editor of What Next for Britain in the Middle East, available from IB Tauris.
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