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Guerre en Ukraine : les implications en Syrie et la tentation de la comparaison

La guerre en Ukraine rappelle à certains l’action militaire russe en Syrie depuis 2015. Au-delà des points communs et des différences, il est important de s’interroger sur les implications syriennes de l’attitude actuelle de Moscou
Des soldats syriens discutent à côté des portraits de Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, au point de passage d’Abou Douhour, au nord-ouest de la Syrie, le 4 avril 2018 (AFP/George Ourfalian)
Des soldats syriens discutent à côté des portraits de Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, au point de passage d’Abou Douhour, au nord-ouest de la Syrie, le 4 avril 2018 (AFP/George Ourfalian)

La Géorgie en 2008, la Syrie en 2015, l’Ukraine en 2022… Les opérations militaires de la Russie à l’extérieur se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait.

Des constantes néanmoins : une posture de défiance à l’égard de ses partenaires « occidentaux », des considérations sécuritaires qui concernent son propre territoire, l’invocation d’arguments humanitaires, des relais locaux et un clivage assumé sur la scène internationale.

En dépit du recours à la force, la Russie est dans une situation délicate. Et la guerre en Ukraine n’est pas tant celle d’un empire en expansion que celle d’une nation à la fois puissante et vulnérable.

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D’ailleurs, tandis que l’armée russe poursuit son attaque en Ukraine, les sanctions pleuvent : du retrait des banques russes du réseau SWIFT (messagerie de transactions bancaires sécurisées) au gel des avoirs de la Banque centrale russe.

Évidemment, les conséquences de la guerre et des sanctions se feront sentir en Russie, mais aussi en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Une hausse de l’inflation et des prix de l’énergie est déjà à prévoir.

En Ukraine, les conséquences sont d’abord humanitaires : de nombreux civils tués, des infrastructures détruites et des réfugiés qui fuient le pays vers l’ouest. Sur ce dernier point, la comparaison avec la manière dont les réfugiés extra-européens (syriens, irakiens, iraniens, africains ou afghans) sont traités s’impose.

Dans les faits, la Pologne, encline à se protéger de ses derniers en construisant un mur à la frontière biélorusse, est bien obligée d’accueillir des milliers de réfugiés ukrainiens.

Dans les discours, en France, on aura quand même pu entendre la très partiale émotion de Philippe Corbé, chef du service politique de BFM TV : « On ne parle pas de Syriens […], on parle d’Européens, qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures […]. » On sait au moins que l’attachement à l’identité européenne n’est pas l’apanage de l’extrême droite.

Cette guerre est avant tout la guerre de la Russie

Outre cette question humanitaire, la tentation de comparer les guerres russes en Syrie et en Ukraine est grande. Commençons par ce qui les distingue.

D’un point de vue formel, dans le cas ukrainien, la Russie intervient contre le pouvoir en place. En Syrie, Moscou pouvait toujours invoquer le consentement (voire les demandes pressantes) de Damas.

S’agissant de la cible, en Syrie, l’armée russe avait un ennemi de choix : un terrorisme universellement combattu. Même si les Russes ont montré leur utilisation flexible de la notion de terrorisme. En Ukraine, l’argument de la stabilité et de la défense des institutions étatiques ne tiendrait pas : derrière la protection du Donbass (et des populations russes ou russophones), le but évident est de mettre à genoux politiquement et militairement le pays.

Certes, l’Ukraine est autrement plus importante pour la Russie que la Syrie. Mais dans les deux cas, on a affaire à un rejet de la politique américaine, et incidemment de la politique des alliés de Washington

Les différences ne s’arrêtent pas là. En Ukraine, la Russie est relativement esseulée et le concours logistique de Minsk n’y change rien : cette guerre est avant tout la guerre de la Russie. Et après des années d’investissement dans la « puissance douce » et la propagande, convaincre les opinions publiques extérieures ne semble plus faire partie des préoccupations de Moscou.

En Syrie, non seulement la Russie a pu compter sur des partenaires locaux ou régionaux, étatiques ou non étatiques, mais ses victoires militaires lui ont permis d’attirer à peu près tous les pays qui lui reprochaient son soutien à Bachar al-Assad dans les premières années du conflit, de la Turquie aux pays du Golfe.

Dans les deux cas, cependant, Moscou est dans un rapport de force avec Washington. Certes, l’Ukraine est autrement plus importante pour la Russie que la Syrie. Mais dans les deux cas, on a affaire à un rejet de la politique américaine, et incidemment de la politique des alliés de Washington.

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En Syrie, notamment après le renversement de Mouammar Kadhafi par la force en Libye – évoqué encore aujourd’hui par la diplomatie russe –, la Russie a réussi à sauver militairement le pouvoir en place et à empêcher tout changement de régime susceptible de lui être défavorable.

En Ukraine, la question centrale est celle de l’expansion de l’OTAN. La reconnaissance des républiques séparatistes du Donbass et l’intervention militaire s’expliquent essentiellement par un refus catégorique de la Russie de pâtir d’un nouvel élargissement de l’Alliance atlantique à ses frontières.

La tentation de la comparaison s’étend aux adversaires de Moscou. En Ukraine comme en Syrie il y a quelques années, ils sont soutenus, encouragés et parfois armés, mais il n’est pas question d’une opération militaire d’ampleur pour leur venir en aide. Dans les deux cas, la Russie est intervenue en sachant qu’il n’était pas question d’un affrontement direct avec une grande puissance.

La Syrie, un tragique laboratoire

En plus de ces points communs, il est possible d’affirmer que la guerre en Syrie a été pour l’armée russe une espèce de tragique laboratoire. Depuis la chute de l’Union soviétique, les opérations militaires russes en Syrie sont le plus important exercice grandeur nature – au grand dam des populations concernées.

Parmi les outils mobilisés dans les deux cas, citons la mobilisation de forces à la fois conventionnelles et clandestines. Certaines sources évoquent la présence des mercenaires du groupe Wagner, dont le nombre pourrait atteindre 400.

Dès la reconnaissance par Moscou des républiques séparatistes du Donbass, Damas s’est empressé de lui emboîter le pas. Dans un échange téléphonique avec Vladimir Poutine, le président syrien s’est montré particulièrement sensible à l’ensemble des arguments russes, des plus évidents (la question de l’élargissement de l’OTAN) aux plus loufoques (en allant jusqu’à établir une analogie entre « l’extrémisme » en Syrie et le « nazisme » en Ukraine, que la Russie serait venue combattre). En face, les rebelles d’Idleb ont pris fait et cause pour l’Ukraine attaquée.

Pour Bachar al-Assad, une Russie qui tournerait le dos aux Américains et aux Européens pourrait difficilement le lâcher en Syrie

Pour Bachar al-Assad, une Russie qui tournerait le dos aux Américains et aux Européens pourrait difficilement le lâcher en Syrie. D’autant plus que ce climat de tensions exacerbe le caractère stratégique de la présence militaire russe en Méditerranée orientale et en Syrie en particulier.

Au début du mois dernier, six navires d’assaut amphibies russes ont accosté à Tartous pour se ravitailler en carburant, subir des opérations de maintenance et s’approvisionner avant de se diriger vers la mer Noire pour prendre part à des exercices militaires.

Au-delà, des questions peuvent se poser sur l’avenir des relations entre Moscou et ses deux partenaires du processus d’Astana, à savoir Téhéran et Ankara.

L’Iran soutient la Russie et condamne les provocations de l’OTAN. Les relations russo-iraniennes ne semblent pas menacées, mais les Américains pourraient tenter de les fragiliser en levant les sanctions contre l’Iran, ce qui donnerait plus d’autonomie à ce dernier dans sa relation avec la Russie.

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Seulement, à l’échelle du Moyen-Orient et plus précisément à l’échelle syrienne, Téhéran a encore besoin de Moscou et on imagine mal les Américains soutenir l’Iran et ses alliés au détriment d’Israël.

Pour ce qui est de la Turquie, l’ambiguïté prime. Celle-ci a condamné la guerre russe en Ukraine et pourrait techniquement entraver le passage des navires russes de la Méditerranée à la mer Noire. Mais on sait que la guerre des mots entre les présidents turc et russe n’est pas forcément suivie d’effets.

En Syrie, la Turquie et la Russie ont chacune appris à prendre en compte les lignes rouges de l’autre. Si le dialogue devait être rompu, le modus vivendi entre les deux pays en Syrie – qui permet notamment le statu quo à Idleb, ce qui empêche une nouvelle vague de réfugiés vers la Turquie – pourrait en pâtir. Mais ce n’est pas l’hypothèse la plus probable.

Par ailleurs, la guerre que mène la Russie en Ukraine pourrait affecter aussi bien l’Afrique que le Moyen-Orient en matière de sécurité alimentaire. En effet, il s’agit de deux grands exportateurs de blé et le cours du blé atteint justement un niveau record depuis 2008.

Tout cela dépend finalement de l’issue et de la durée de cette guerre. Le pouvoir russe n’a pas intérêt à aller trop loin en Ukraine car il prendrait à la fois un risque politique et un risque géopolitique.

Sur le plan politique, la cohésion que veut susciter Poutine en misant sur une mentalité d’assiégé pourrait se transformer en lassitude, voire en rejet. Sur le plan géopolitique, une posture agressive est de nature à menacer des partenariats acquis ces dernières années, surtout si les partenaires en question risquent des sanctions analogues à celles que subit la Russie.

Pour l’instant, on n’en est pas là. Ni la deuxième plus grande puissance économique mondiale – la Chine –, ni les principales puissances économiques du monde arabe – les pays du Golfe –, ni ses principaux partenaires en Syrie – l’Iran et la Turquie – n’ont encore tourné le dos à Moscou.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlene Mohammedi est docteur en géopolitique et notamment spécialiste de la politique arabe de la Russie postsoviétique. Il dirige le centre d’études stratégiques AESMA, ainsi qu’Araprism, association et site dédiés au monde arabe
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