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Le prince Harry doit se confronter à l’héritage cataclysmique de la guerre en Afghanistan

Si le « prince guerrier » veut vraiment faire le bien dans le monde, il devrait mettre fin à ses liens avec le complexe militaro-industriel
Le prince Harry tient une mitrailleuse dans le sud de l’Afghanistan en 2008 (AFP)

Choisissez n’importe quelle guerre futile au cours des 50 dernières années, et il y a inévitablement une photographie inoubliable qui finit par la définir. 

Au Vietnam, c’était l’image d’une enfant nue de neuf ans fuyant une attaque au napalm. Elle capturait une attaque contre l’innocence, et l’horreur abjecte d’un conflit qui a duré vingt ans, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes tout en ne parvenant à presque rien.

Pour moi, les images d’un prince Harry souriant, tirant avec une mitrailleuse de calibre 50 mm sur des Afghans dans leur propre pays, dit tout sur la nature tout aussi pitoyable d’une guerre qui dure maintenant depuis près de vingt ans.

Le jeune prince détendu a posé pour des clichés de style Instagram et des vidéos lors de son court service dans l’armée en 2008, commentant : « C’est la première fois que je tirais avec un  calibre 50. Ils lèvent la tête et voilà. »

Relations publiques de style hollywoodien

On suppose que le « ils » faisait référence aux talibans, les insurgés qui luttent contre les forces occidentales depuis l’invasion américaine de leur patrie en 2001.

Cependant, toutes sortes d’innocents, y compris des milliers d’enfants, ont été abattus par la grande puissance de feu occidentale en Afghanistan, mais ils semblent être de peu d’importance pour une opération de relations publiques de style hollywoodien au nom d’une célébrité soucieuse de son image. 

Maintenant que Harry se réinvente en tant que militant humanitaire mondial, son silence sur le massacre en cours en Afghanistan est remarquable

Harry s’est également essayé à décimer ses ennemis comme artilleur dans un hélicoptère d’attaque Apache, équipé du canon automatique M230 de 30 mm particulièrement terrifiant, de missiles Hellfire et de lance-roquettes CRV7 – qui ont tous la capacité de massacrer des cibles humaines avec une capacité aussi aveugle qu’impitoyable. 

Au moins 32 000 civils ont été tués et 60 000 blessés rien qu’au cours de la dernière décennie de la guerre en Afghanistan, selon l’ONU.

La plupart étaient vêtus de sandales et de vêtements légers avant d’être mis en pièces, mais d’anciens combattants comme Harry semblent ignorer ce problème.

Au lieu de cela, certains envisagent leurs séjours à tuer et mutiler, en utilisant le matériel dernier cri à plusieurs millions de dollars, comme étant en quelque sorte admirable, et même honorable. 

Maintenant que Harry se réinvente en tant que militant humanitaire mondial, son silence sur le massacre en cours en Afghanistan est remarquable. Au contraire, il se concentre actuellement sur l’Angola, exhortant les gens à ne pas oublier le travail de sa défunte mère, Diana, princesse de Galles, dans le déminage de ce pays africain. 

Dépendance à l’égard des fabricants d’armes

Lors d’un récent discours à Chatham House – l’Institut royal des affaires internationales – à Londres, Harry a fait écho à la déclaration de Diana selon laquelle les mines « sont un problème humanitaire, pas un problème politique », affirmant que les civils et les animaux sauvages figurent parmi les blessés de ces « vestiges de la guerre ».

En fait, la guerre et son héritage sont des enjeux politiques cruciaux, ce qui remet en question la dépendance de Harry à certains des plus grands fabricants d’armes dans le monde pour soutenir son travail de bienfaisance. 

Le mois dernier encore, BAE Systems, la multinationale britannique qui équipe les forces de combat dans le monde entier, a annoncé un « partenariat » de deux ans avec Invictus Games, la compétition s’inspirant des jeux paralympique qui a lieu tous les deux ans et  qui est dirigée par le prince Harry. 

Les participants sont des militaires blessés qui sont aidés dans leur réinsertion dans la vie civile. Le contre-amiral Jim Macleod, directeur d’Invictus UK, a déclaré au moment de cette annonce : « Nous sommes ravis d’annoncer que BAE Systems est le nouveau partenaire principal d’Invictus UK ».

Le prince Harry patrouille dans une ville du sud de l’Afghanistan en 2008 (AFP)

Les jeux sont on ne peut plus admirables, mais il y a quelque chose de pervers à les relier à une entreprise qui a fait des milliards en tirant profit de certaines des guerres les plus infâmes dans l’histoire récente, notamment en Afghanistan et en Irak. De nombreux participants des Invictus Games ont été marqués à vie dans ces conflits. 

Qui plus est, le troisième plus grand marché de BAE est actuellement l’Arabie saoudite, qui est en train de poursuivre une offensive meurtrière au Yémen. Une partie des cinq milliards de livres d’avions de chasse vendus par BAE sont utilisées pour bombarder des hôpitaux, des écoles et d’autres installations publiques. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées, blessées ou déplacées par des avions et des bombes de fabrication britannique.  

Une entreprise amorale

BAE n’est en aucun cas le seul fabricant d’armes sur la liste des partenaires d’Invictus – les Invictus Games 2018 en Australie incluaient Boeing, Lockheed Martin et Raytheon – mais en tant que plus grand fournisseur d’armes en Grande-Bretagne, et en raison de ses liens étroits avec la famille royale saoudienne, il est sans doute le plus controversé. 

Les armes sont, au mieux, une entreprise amorale, et ceux qui en profitent ne voient rien de mal à utiliser les victimes de la guerre pour promouvoir leurs marchandises. Si le prince Harry et son ambitieuse épouse, Meghan Markle, qui a soutenu Invictus pour la première fois au Canada en 2017 et qui a assisté à de nombreux événements depuis, ont l’intention d’aider à changer le monde avec leur bienveillance très médiatisée, ils pourraient gagner sans tarder les cœurs et les esprits en mettant fin à leurs liens avec le complexe militaro-industriel responsable d’une grande partie du carnage mondial. 

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Lorsque j’ai contacté la Fondation Invictus Games, le principal organisme d’organisation de l’événement, pour leur donner l’occasion de justifier leurs liens avec BAE Systems, le malaise était évident. Un porte-parole a d’abord catégoriquement nié que BAE Systems, Boeing, Lockheed Martin, ou Raytheon étaient des sponsors, avant de concéder qu’ils étaient en effet impliqués dans les jeux. 

Dans un email que la Fondation Invictus Games m’a adressé, elle déclarait maintenir « une exclusion contre les organisations qui ont pour seul but la fabrication ou la vente d’armes ». BAE Systems a par la suite réfuté cette assertion, affirmant qu’il était un partenaire d’Invictus Games. 

Les entreprises d’armement ont joué un rôle clé dans le financement de l’édition 2018 de la compétition en Australie, tout comme elles le feront lors des prochains Jeux aux Pays-Bas en 2020. Tout cela fait partie d’une politique très confuse de la famille Invictus qui doit être modifiée. 

Tout aussi important, Harry devrait reconnaître le véritable héritage du conflit dans le pays où il s’est fait un nom en tant que « prince guerrier ». Plus de civils sont actuellement tués par les forces américaines et pro-occidentales en Afghanistan que par les talibans. 

Les carnets de commandes pleins des fabricants d’armes signifient que la menace pour les civils et la faune devrait subsister pendant les années à venir. Ils constitueront beaucoup plus un danger pour des vies innocentes que n’importe quel matériel de guerre laissé en Angola. 

Le déploiement d’Harry en Afghanistan a été pleinement exploité à des fins publicitaires. Désormais, il est temps qu’il affronte l’ampleur de la catastrophe là-bas, et finisse par se servir de son statut de star pour essayer de le résoudre.   

- Nabila Ramdani est une journaliste, chroniqueuse et animatrice franco-algérienne recompensée qui se spécialise dans la politique française, les affaires islamiques et le monde arabe. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @NabilaRamdani

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nabila Ramdani is an award-winning French-Algerian journalist, columnist, and broadcaster who specialises in French politics, Islamic affairs, and the Arab world. On Twitter: @NabilaRamdani
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