Aller au contenu principal

Pourquoi l’opposition iranienne continue-t-elle de soutenir une approche infructueuse ?

Le pacte irano-saoudien a prouvé que l’isolement, les sanctions et la pression maximale sont des politiques infructueuses qui n’ont jamais apporté de changement. Alors pourquoi l’opposition à l’étranger continue-t-elle de les défendre ?
Des manifestants antigouvernementaux brandissent des pancartes et des drapeaux lors d’une marche à l’occasion du 44e anniversaire de la révolution iranienne, le 11 février 2023 à Trafalgar Square, dans le centre de Londres (AFP)
Des manifestants antigouvernementaux brandissent des pancartes et des drapeaux lors d’une marche à l’occasion du 44e anniversaire de la révolution iranienne, le 11 février 2023 à Trafalgar Square, dans le centre de Londres (AFP)

Les termes n’ont pas manqué pour décrire la relation – ou l’absence de relation – entre la République islamique d’Iran et l’Arabie saoudite au cours de la dernière décennie. Mais les deux principaux piliers de pouvoir du Moyen-Orient semblent être parvenus à une trêve.

L’accord négocié par la Chine n’est pas tombé du ciel. Il est plutôt le fruit de près de cinq années de diplomatie parfois tiède, marquées par l’assassinat planifié par l’administration Trump de Qasem Soleimani, le commandant iranien de la force al-Qods, qui servait d’interlocuteur entre Riyad et Téhéran la nuit où il a été tué.

L’Iran et Bahreïn sont également en pourparlers, tandis que le puissant secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Ali Shamkhani, s’est rendu aux Émirats arabes unis le 16 mars.

Une Iranienne tient un journal local rapportant en première page l’accord négocié par la Chine entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour rétablir les relations diplomatiques, signé à Pékin la veille, le 11 mars 2023 (AFP/Atta Kenare)
Une Iranienne tient un journal local rapportant en première page l’accord négocié par la Chine entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour rétablir les relations diplomatiques, signé à Pékin la veille, le 11 mars 2023 (AFP/Atta Kenare)

Il y a de nombreuses leçons à tirer de ce tourbillon diplomatique, notamment que l’isolement, les sanctions et la pression maximale sont des politiques infructueuses.

L’histoire raconte que l’isolement était censé modifier le « comportement » de l’Iran. En parallèle, des sanctions de grande ampleur et une stratégie de pression maximale étaient censées mettre un terme au programme nucléaire et, officieusement, donner lieu à un « changement de régime ».

Mais voilà où nous en sommes.

La République islamique est toujours fortement impliquée dans la politique régionale, y compris en Irak. Allié de l’Iran, Bachar al-Assad est toujours président de la Syrie et réintègre actuellement le giron mondial, y compris dans le monde arabe.

Unifier la diaspora iranienne fragmentée

Sur le plan intérieur, le programme nucléaire iranien continue de se développer, malgré les sanctions, les assassinats et les opérations de sabotage.

Et le cercle des élites de Téhéran a jusqu’à présent survécu à la crise de légitimité et aux protestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans décédée après son arrestation en septembre 2022.

C’est là que l’opposition basée à l’étranger entre en scène.

Rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran : pourquoi l’heure était venue
Lire

Si ces politiques isolationnistes et favorables aux sanctions n’ont pas fonctionné pour le pays le plus puissant du monde et son allié – les États-Unis et l’Arabie saoudite –, alors pourquoi l’opposition continue-t-elle de les présenter comme un élément clé de l’effondrement de la République islamique ?

Le 10 mars, la nouvelle Alliance pour la démocratie et la liberté en Iran a publié sa charte visant à unifier la diaspora iranienne fragmentée et à exposer son plan de transition vers un Iran démocratique.

Ce plan, qui « s’appuie en premier lieu sur des activités à l’extérieur du pays », indique que « l’isolement du gouvernement islamique sur le plan international est une première étape nécessaire » pour atteindre son objectif de renverser la République islamique.

L’isolement comporte apparemment cinq étapes, dont l’expulsion des ambassadeurs de la République islamique et de tous les éléments « tributaires » de cette dernière présents à l’étranger.

La charte vise en outre à « faciliter le déploiement de tous les moyens nécessaires pour aider le peuple iranien ».

La charte de l’Alliance pour la démocratie et la liberté en Iran a été dénoncée par les médias de la ligne dure comme un projet vaniteux financé par l’étranger

On ne sait pas clairement ce que cela signifie exactement, et compte tenu des antécédents en matière de projets de changement de régime dans le Moyen-Orient moderne, c’est quelque peu alarmant.

Ce document n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme parmi la population iranienne, occupée à préparer Norouz (le nouvel an persan), à lutter contre l’inflation endémique et à faire face aux retombées de cinq mois de manifestations.

Il a cependant été dénoncé par les médias de la ligne dure comme un projet vaniteux financé par l’étranger, mais aussi et surtout dans un article d’opinion publié dans le principal quotidien réformiste, Shargh, qui a souligné une absence de notions de base sur l’Iran en tant que nation.

Les six premiers signataires de la charte comptent parmi les personnalités les plus en vue de la diaspora et plusieurs ont exprimé leur soutien aux sanctions par le passé, y compris à la stratégie de pression maximale de Trump.

Simplistes

Résolument simplistes quant à l’approche à adopter vis-à-vis de la République islamique, ils ont jusqu’à présent réussi à faire pression sur l’ONU pour qu’elle exclue l’Iran de la Commission de la condition de la femme (CSW), mais aussi à pousser le Parlement européen à désigner le corps des Gardiens de la révolution islamique des forces armées iraniennes en tant qu’organisation terroriste.

Le groupe continue de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils fassent de même. Cependant, on ne sait pas vraiment comment ces campagnes viennent en aide aux manifestants ou aux prisonniers.

Si l’opposition veut gagner en légitimité en dehors des communautés et des tiktokeurs de la diaspora prônant le changement de régime, il lui faut comprendre la politique – et jusqu’à présent, ce n’est pas le cas

Il est encore plus difficile de savoir comment l’exclusion de l’Iran d’une commission onusienne ou une résolution européenne non contraignante pourraient faire tomber la République islamique.

Néanmoins, l’opposition pousse en faveur d’un isolement économique et diplomatique total.

Reste à savoir ce que l’expulsion des diplomates iraniens et de leurs familles apporterait.

Après tout, cela fait des années que partout dans le monde, des diplomates iraniens sont expulsés pour divers méfaits, y compris par l’Arabie saoudite et le Royaume-Uni, et même le cheminement logique le plus farfelu ne permettrait pas de conclure que ces expulsions ont engendré un changement démocratique en Iran.

De plus, il est peu probable que les principaux partenaires commerciaux de l’Iran (c’est-à-dire ceux qui comptent) envisagent cette idée.

L’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite devrait rapprocher Riyad et Damas
Lire

C’est peut-être un coup dur pour les egos de la diaspora, mais les plus grandes étincelles de changement dans la République islamique sont toujours venues de pressions internes et non externes. Fervent partisan du changement de régime, John Bolton n’est même pas parvenu à faire basculer les choses.

Prenons par exemple les mouvements de protestation les plus intenses, dont le premier a eu lieu en 1999 lorsque des étudiants ont organisé des manifestations à l’université de Téhéran pour dénoncer la fermeture du journal réformiste populaire Salam.

Dix ans plus tard, en 2009, la République islamique a connu les plus grandes manifestations de son histoire dans le contexte d’une élection présidentielle entachée d’accusations massives de fraude.

Plus tard, en 2019, une suppression longtemps annoncée des subventions sur le carburant a provoqué une violente révolte. Selon les informations relayées, 1 500 personnes ont trouvé la mort dans la répression qui a suivi.

Si l’opposition veut être considérée comme autre chose qu’un projet « vaniteux » pour la forme et gagner en légitimité en dehors des communautés et des tiktokeurs de la diaspora prônant le changement de régime, il lui faut comprendre la politique – et jusqu’à présent, ce n’est pas le cas.

L’isolement permet à l’État d’étouffer plus facilement la dissidence. Les sanctions nuisent aux citoyens ordinaires, pas aux élites. Et en ce qui concerne l’Iran, aucune de ces mesures ne permet de modifier le statu quo.

En Iran, 84 millions de personnes subissent chaque jour les conséquences de politiques infructueuses. L’opposition n’a pas besoin d’en rajouter

Le lobbying aurait pu se concentrer sur les pressions à exercer sur l’Union européenne pour qu’elle mette fin à ses pratiques discriminatoires en matière de visas, afin que les Iraniens puissent trouver un emploi et étudier à l’étranger.

Après tout, les Iraniens ordinaires qui peinent à obtenir des visas pour l’Europe éprouveraient encore plus de difficultés à obtenir des entretiens avec des Premiers ministres ou du temps de parole à Munich.

Dans le même temps, les efforts de lobbying des États-Unis auraient pu se concentrer sur la levée des sanctions sur les banques et les technologies, afin de permettre aux Iraniens de payer plus facilement des services à l’étranger, notamment des médicaments, ou des services permettant de contourner les coupures d’internet imposées par l’État.

De nombreux experts en politique iranienne décrivent les axes empruntés par la diaspora comme un extraordinaire gaspillage d’énergie et de ressources. Par ailleurs, si les leçons de l’expérience saoudienne n’ont pas été tirées, alors le mouvement est déjà tué dans l’œuf.

En Iran, 84 millions de personnes subissent chaque jour les conséquences de politiques infructueuses. L’opposition n’a pas besoin d’en rajouter.

Soraya Lennie est journaliste d’investigation et analyste. Elle est l’auteure de Crooked Alleys: Deliverance and Despair in Iran (Hurst, 2021). Depuis 2006, elle couvre des sujets aux quatre coins du monde, notamment la guerre contre Daech, l’accord sur le nucléaire iranien, les attentats de Paris et les crimes de guerre en ex-Yougoslavie. Elle a passé plus de dix ans au Moyen-Orient, notamment à Téhéran et à Kaboul, pour le compte de divers organes de presse internationaux tels qu’Al Jazeera English et TRT World. Elle a également collaboré avec CNN, la BBC, le Washington Post et Vogue.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Soraya Lennie is an investigative journalist, analyst and the author of Crooked Alleys: Deliverance and Despair in Iran (HURST, 2021). Since 2006, she has covered stories across the world, including the war against ISIS, the Iran nuclear deal, the Paris terror attacks and war crimes in the former Yugoslavia. She has spent more than a decade based in the Middle East, including Tehran and Kabul, for various international news organisations, such as Al Jazeera English and TRT WORLD. Lennie has also contributed to CNN, BBC, Washington Post and Vogue.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].