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Élections israéliennes : la toxicité du discours politique fait peser de vrais risques sécuritaires

Les politiciens usent de violence verbale envers leurs opposants depuis bien trop longtemps, et aujourd’hui, les choses pourraient leur échapper
Des activistes israéliens brandissent des drapeaux nationaux lors d’un rassemblement de droite à Jérusalem, le 6 avril 2022 (Reuters)
Des activistes israéliens brandissent des drapeaux nationaux lors d’un rassemblement de droite à Jérusalem, le 6 avril 2022 (Reuters)

Lorsque Ayoub Kara (ancien député du Likoud) a annoncé son intention de se présenter aux primaires à venir avant les élections législatives israéliennes, peu de gens y ont prêté attention. 

Plus tard, dans une interview avec Channel 7, il a soigneusement pesé ses mots pour attirer l’attention voulue : « Je suis revenu au Likoud. Cette fois, nous allons écraser la gauche de toutes nos forces », a assuré ce politicien chevronné et ancien ministre de la Communication. 

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Le verbe choisi signifie littéralement en hébreu « écraser » comme dans « écraser par une voiture ».

Malgré les efforts pour se démarquer au sein de la longue liste du Likoud aux élections de novembre, le choix de mots de Kara n’a pas semblé suffisamment percutant. Quelqu’un avant lui avait déjà utilisé des termes similaires avant d’aller encore plus loin. 

« Nous allons briser les os de la gauche lorsque nous reviendrons au pouvoir », s’était juré le député David Amsalem (Likoud) dans une interview auprès de Kan Radio le mois dernier. Par la suite, il a expliqué faire référence aux politiques et aux vifs débats « dans les commissions de la Knesset, le plénum ». 

Ces mots sonnent peut-être comme une promesse pour certains, mais comme une menace pour d’autres. Lors d’un long entretien avec de nombreux participants d’un espace sur Twitter, il a juré d’écraser la Cour suprême qu’il a surnommé un « gang de fous ».

Des lettres de menaces avec des balles

Est-ce que cette rhétorique est odieuse et brutale ? Oui. Mais plus encore, elle est tout bonnement dangereuse.

Dans un pays où des manifestations violentes se sont terminées par le meurtre d’un Premier ministre, Yitzhak Rabin, l’opinion publique sait parfaitement que les mots tuent. Ils sont la détente d’une arme mortelle. 

En mai, Ilana Hania, fervente supportrice de l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou, a été arrêtée, suspectée d’avoir envoyé deux lettres de menaces contenant des balles au Premier ministre d’alors, Naftali Bennett.

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Netanyahou a condamné l’envoi de ces lettres et a promis d’exclure la sexagénaire du parti si sa culpabilité était établie. L’activiste de droite dément avoir envoyé ces lettres, qui menaçaient la sécurité de Bennett, de sa femme et de son fils, s’il ne démissionnait pas.

Quelques semaines avant son arrestation, elle avait qualifié Bennett de « meurtrier » de « traître » sur Facebook et ajoutait qu’elle « serait heureuse » de voir l’actuel Premier ministre, Yaïr Lapid, mourir du covid.

Ils ne sont pas les seuls dont elle souhaite la mort. En septembre 2021, Hania avait été filmée en train d’appeler Benny Begin, député du parti Nouvel Espoir et ancien membre du Likoud, à « se noyer dans l’océan ».

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Ce phénomène n’est pas totalement nouveau. Il ne fait qu’empirer et les choses deviennent plus périlleuses à l’approche des élections de novembre, les cinquièmes en tout juste trois ans. 

Selon Channel 12, la police a monté une section d’enquête spéciale pour surveiller les propos tenus sur les réseaux sociaux au sujet des élections et rassembler des renseignements sur les organisations qui visent à blesser les politiciens lors d’événements publics.

Cette mesure drastique a été prise parce que la police estime que la campagne à venir s’accompagnera d’une radicalisation sans précédent du discours sur les réseaux sociaux, ce qui pourrait se traduire par des tentatives d’atteinte physique aux politiciens et militants politiques.

Après tout, tout le monde ne comprend pas les métaphores poétiques, comme « briser leurs os », et pourraient être incités à agir. 

« L’ennemi est celui qui pense différemment »

On est loin de l’époque où un activiste du Likoud nommé Gaston Malka entrait au panthéon des campagnes électorales israélienne pour ses frasques – à savoir, dans un accès de colère, renverser la table lors d’un rassemblement du Likoud en 1986. 

Il est devenu un nom commun mais depuis lors, la société israélienne – jeunes et vieux confondus – est devenue de plus en plus violente. Sur les réseaux sociaux, en dehors des réseaux sociaux, dans les rues et lors des manifestations. Partout.

La société israélienne – jeunes et vieux confondus – est devenue de plus en plus violente. Sur les réseaux sociaux, en dehors des réseaux sociaux, dans les rues et lors des manifestations. Partout

La Knesset, Parlement israélien, n’a jamais été aussi virulente, et pas uniquement sur le plan verbal.

Probablement aucun Israélien ne faisant que regarder, à l’occasion, des scènes du Parlement ne peut se rappeler la moindre session non violente. Il y a pratiquement toujours une altercation, un échange de menaces physiques et la présence de gardes du corps autour des députés.

Au fil du temps, ce phénomène s’est normalisé et s’est mué en bruit de fond à peine remarqué.

Sur les murs du musée de la Stasi à Berlin, l’ancien siège des services de sécurité d’État d’Allemagne de l’Est, est inscrit un slogan : « L’ennemi est celui qui pense différemment. »

Aujourd’hui, cela s’applique également à Israël, bien qu’avec une petite variation. L’ennemi n’est pas celui qui pense différemment, puisqu’une large majorité des juifs israéliens pensent à peu près la même chose. L’ennemi est donc celui qui vote différemment. Spécifiquement, c’est celui qui est « anti-Bibi », qu’importe qu’il soit de gauche ou de droite.

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La liste des gros titres annonçant le renforcement des mesures de sécurité par le Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure d’Israël, pour les ministres et députés de la coalition au pouvoir, est sans fin.

C’est ce qui est arrivé à l’ensemble des représentants de Yamina, le parti de droite de Bennett, en mai, à la suite de menaces de mort sur les réseaux sociaux. 

Le niveau de menace à leur encontre avait été porté au niveau 5, deuxième degré de gravité, après qu’ils ont osé défier le régime de Netanyahou et former une coalition alternative.

Puis il a fallu quatorze gardes du corps lourdement armés de l’unité spéciale de protection du Premier ministre pour accompagner le ministre de la Coopération régionale, Issawi Frej, député du parti de gauche Meretz, lors de sa visite en Cisjordanie occupée en janvier dans un contexte de violence croissante des colons.

La liste est bien trop longue pour pouvoir la suivre.

Une atmosphère saturée de haine

« J’ai régulièrement ma part de ceux qui souhaitent ma mort sur Facebook », explique à Middle East Eye le député Mossi Raz, également du parti Meretz.

« Au cours de l’année écoulée, les véritables victimes d’incitation à la haine étaient les “nouveaux gauchistes” Yamina et le parti Nouvel Espoir de Gideon Saar, ceux qui ont défié Netanyahou [de la droite]. »

Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans le déclenchement de violence mais ce n’est pas le seul facteur.

Si la haine est mutuelle, la violence elle ne l’est pas. La balle – celle qui tue (Rabin) et celle qui sert à menacer (Bennett) – se fraye un chemin depuis la droite

Il y a constamment des tensions ethniques entre les séfarades et les ashkénazes, il y a des tensions nationales entre les juifs et les citoyens palestiniens d’Israël. L’atmosphère est saturée de haine.

Dans une tentative visant à recruter un nouveau conseiller pour la campagne pour les élections de mars 2020, l’ami proche et conseiller de Netanyahou, Nathan Eshel, expliquait à son collègue que le job était facile – il prospère sur la haine. 

« La haine est ce qui unit notre camp », peut-on entendre dans l’enregistrement. « Il les appelle les non-Ashkénazes… Ils haïssent tout. »

Eshel est toujours un allié proche de Netanyahou et la haine, sentiment directeur, prévaut. 

L’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou participe à un rassemblement d’Israéliens de droite à Jérusalem, le 6 avril 2022 (Reuters)
L’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou participe à un rassemblement d’Israéliens de droite à Jérusalem, le 6 avril 2022 (Reuters)

En vérité, le monopole de la haine n’est pas détenu par un seul camp.

Dans une interview télévisée en mars, Avigdor Lieberman opposant de Netanyahou et laïc de droite, déclarait qu’il « emmènerait Netanyahou et la communauté ultra-orthodoxe dans une brouette jusqu’à la décharge la plus proche ».

Avant que le ministre des Finances ne haïsse la communauté ultra-orthodoxe, il détestait les Palestiniens de tout son cœur. C’est toujours le cas, mais haïr les orthodoxes est plus constructif dans le climat politique actuel. 

Un animateur populaire de Radio 103, Nathan Zahavi, a dit sur Facebook le 3 juillet qu’il espérait que le studio de Channel 14 « brûle avec tout son personnel à l’intérieur ».

Channel 14, chaîne à tendance de droite souvent associée à Netanyahou, a accru la sécurité autour de son bâtiment après avoir reçu des appels menaçants après la publication de Zahavi.

Si la haine est mutuelle, la violence elle ne l’est pas. La balle – celle qui tue (Rabin) et celle qui sert à menacer (Bennett) – se fraye un chemin depuis la droite. 

Netanyahou a perdu le contrôle de sa créature

L’effort visant à créer une symétrie de la violence entre la gauche et la droite est tout simplement faux. 

Netanyahou lui-même a perdu le contrôle de sa créature, en particulier avant les primaires du Likoud qui devraient avoir lieu en août.

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Les candidats doivent maintenant persuader les membres de leur parti de voter pour eux, et plus vos mots sont brutaux, mieux c’est.

L’unité de surveillance spéciale de la police est donc une décision avisée, mais pas nécessairement efficace quand les policiers eux-mêmes sont souvent perçus comme un ennemi. 

Selon des sources politiques, ce n’est pas une bonne nouvelle pour Netanyahou.

Pour atteindre le seuil tant convoité de 61 sièges qui lui permettrait de former un gouvernement (ce qu’il n’a pas réussi à faire lors des trois précédentes élections), il a besoin d’attirer ceux qui, la dernière fois, ont opté pour Bennett et Saar. 

L’intervention de la police pourrait donc être nécessaire dans un pays où les élections ressemblent à une forme de guerre civile

Il existe des gens de droite qui ont une vision différente de l’État. Ils peuvent ne pas aimer la gauche, mais ne veulent pas lui briser les os. Ils veulent peut-être même changer le système juridique en Israël mais ne menacent pas de renvoyer le procureur général s’il ne se soumet pas.

Donc Netanyahou pourrait préférer présenter la face plus modérée du Likoud, mais à ce stade, c’est une mission qui pourrait s’avérer difficile. Il est bien plus facile de lâcher la bride de l’incitation à la haine que de serrer les rênes.

L’intervention de la police pourrait donc être nécessaire dans un pays où les élections ressemblent à une forme de guerre civile. 

Lily Galili est une journaliste israélienne et conférencière spécialiste de tous les aspects de la société israélienne et de l’immigration en Israël. Après avoir travaillé pour le quotidien Haaretz, elle collabore aujourd’hui avec plusieurs médias. Co-auteure du livre The million that changed the Middle East (2013), un ouvrage exhaustif sur l’immigration post-soviétique en Israël, elle est aussi activiste sociale et politique. Boursière de la Fondation Nieman pour le journalisme de l’université de Harvard, Lily Gali est aussi diplômée de l’Université hébraïque de Jérusalem (master en communication).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Lily Galili is a senior Israeli journalist and lecturer focusing on all aspects of Israeli society and immigration to Israel. Formerly with Haaretz daily, now contributor to several media outlets. Co- author of ‘The million that changed the Middle East’ (2013), a comprehensive book about the post-Soviet immigration to Israel. Social and political activist. Galili is a Nieman Fellow from Harvard and a graduate of the Hebrew University in Jerusalem, with a Master's Degree in communication.
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