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Israël : pourquoi la « coalition du changement » ne valait plus la peine d’être sauvée

Le gouvernement Bennett-Lapid s’était défini par une volonté de tenir Benyamin Netanyahou à l’écart du pouvoir, une mission tout sauf accomplie
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett assiste à une réunion du cabinet au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 19 juin 2022 (Reuters)
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett assiste à une réunion du cabinet au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 19 juin 2022 (Reuters)

Retenez la date du 25 octobre 2022. Il s’agit – pour l’instant – de la date fixée pour les prochaines élections en Israël, le cinquième tour de scrutin en trois ans et demi.

Ce n’est certainement pas le signe d’une démocratie saine dans un pays qui se targue d’être « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Cela ressemble davantage aux fluctuations incessantes des chiffres des contaminations au covid-19.

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Et ce n’est pas nécessairement la fin : selon le dernier sondage réalisé quelques heures après que le Premier ministre Naftali Bennett a annoncé lundi 21 juin sa décision inattendue de dissoudre le Parlement – faisant du ministre des Affaires étrangères et Premier ministre suppléant, Yaïr Lapid, le Premier ministre intérimaire du gouvernement de transition pour les quatre mois à venir –, un sixième tour de scrutin est toujours une option.

Alors que le Likoud, le parti dirigé par l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou, pourrait obtenir 36 sièges selon ce sondage (soit sept de plus qu’actuellement), le bloc d’opposition de droite n’en remportera probablement que 59, soit deux de moins que les 61 sièges nécessaires pour former une coalition valide. 

Cela laisse la place à une autre option, actuellement abordée à la hâte derrière des portes closes : la formation d’un gouvernement alternatif sans qu’il soit nécessaire de dissoudre la Knesset et d’imposer à Israël une nouvelle guerre électorale. 

C’en est fini du « gouvernement du changement » de Bennett et Lapid

Selon des sources politiques proches de Netanyahou, l’ancien dirigeant se sent suffisamment fort pour opter pour des élections.

Du côté de la coalition, dans une interview radio accordée mardi 22 juin, l’homme de droite Gideon Sa’ar, l’actuel ministre de la Justice anciennement allié au leader du Likoud –, a juré une nouvelle fois qu’il « ne [s’assiérait] jamais autour d’une table avec Netanyahou ». 

Le chef du parti Nouvel Espoir (Tikva Hadasha) a lancé sa campagne avec un tweet : « L’objectif de ces élections est clair : empêcher le retour au pouvoir de Netanyahou et la soumission des intérêts de l’État à ses intérêts personnels. » 

Toutes les raisons à l’origine de la formation de cette construction contre-nature surnommée « gouvernement d’union » ne justifiaient pas vraiment son existence

Les chances de le voir aider Netanyahou à combler l’écart avec une majorité sont donc faibles, mais l’option est toujours sur la table. Une chose est sûre : un an et une semaine après sa formation, c’en est fini du « gouvernement du changement » de Bennett et Lapid.

Tous les efforts déployés par ses partenaires et partisans, notamment la manifestation organisée le 19 juin pour soutenir un sauvetage de cette coalition, ont échoué avant même d’avoir décollé.

Il faut toutefois dire la vérité : ce gouvernement ne valait pas vraiment la peine d’être sauvé.

Toutes les raisons à l’origine de la formation de cette construction contre-nature surnommée « gouvernement d’union » ne justifiaient pas vraiment son existence. Le souhait d’évincer Netanyahou – la « machine à incitation à la haine », comme l’a appelé le ministre des Finances Avigdor Lieberman – est louable, mais l’ancien Premier ministre n’a pas vraiment été évincé. 

Toutes les décisions récentes prises par la coalition ont été motivées par la crainte d’un retour de Netanyahou. En parallèle, l’ancien dirigeant mène une campagne fondée sur les fake news, la haine et la crainte d’un gouvernement dominé par des terroristes – c’est-à-dire Mansour Abbas et sa Liste arabe unie (ou Raam), qui représente les citoyens palestiniens d’Israël.

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Plus important encore, les fondements idéologiques de la coalition se sont révélés peu solides. Elle s’est constituée en partant du principe que la droite et la gauche, les juifs et les Palestiniens, pouvaient coopérer au nom d’un bien commun en s’occupant uniquement de questions d’ordre civil – non clivantes. C’est faux. Ils ne le peuvent pas. 

Il n’y a pas de vrai terrain d’entente dans le véritable Israël et chaque décision d’ordre civil est imprégnée de questions nationales et de schismes droite-gauche. L’occupation est toujours là. Les colonies sont toujours là. La haine et la peur mutuelles sont toujours là, plus que jamais. 

Les membres du « gouvernement du changement » ont réellement travaillé pendant la seule année où il a servi – contrairement à la plupart des gouvernements précédents. Pourtant, ils n’ont apporté aucun changement réel, si ce n’est un changement de style : une façon plus polie de faire la même chose. 

Quelle est la véritable différence entre le député d’opposition Itamar Ben-Gvir, qui a ouvertement appelé à « expulser l’ennemi arabe », et Matan Kahana, vice-ministre au sein de la coalition, qui a récemment déclaré qu’il aimerait posséder un bouton magique qui pourrait envoyer pacifiquement tous les citoyens palestiniens d’Israël en Suisse ? 

Gauche en recul

L’administration de Bennett (chef du parti de droite Yamina) et Lapid (chef du parti centriste Yesh Atid) a fini par être un gouvernement de droite, avec un impact presque nul d’une gauche en recul et vouée à la mission de tenir Netanyahou à l’écart du pouvoir.

Alors que la gauche joue ce rôle de vigile, la colonie de Homesh – évacuée à l’époque par le Premier ministre Ariel Sharon – est en train d’être repeuplée et plus d’un millier de Palestiniens sont sur le point d’être expulsés de leur foyer à Masafer Yatta, dans les collines du sud d’Hébron, pour laisser place à une zone d’entraînement militaire.

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Cette semaine encore, la coalition du changement a décidé de soutenir un projet de loi de l’opposition visant à donner la priorité aux candidats issus des minorités ayant effectué un service militaire ou alternatif pour les emplois de la fonction publique – c’est-à-dire, dans le vocabulaire israélien, aux « bons Arabes ».

Le projet de loi était voué à entraîner une confrontation avec les partenaires palestiniens au sein de la coalition. « Nous ne travaillons pas pour Raam », a répondu le ministre du Logement Ze’ev Elkin (Nouvel Espoir), interrogé à ce sujet. 

Le changement ? Pas vraiment. 

Vous êtes perdu(e) ? Ce n’est pas fini. Le nom de Nir Orbach vous dit-il quelque chose ? La plupart des Israéliens ne l’avaient jamais entendu il y a deux semaines. Orbach est un député du parti Yamina de Bennett, l’un des plus proches alliés du Premier ministre en politique.

Il est également l’un des cinq membres du parti au sein de la coalition, après la députée Idit Silman (Yamina) en avril, à avoir démissionné en signe de protestation. Cet exode a altéré l’équilibre des forces entre la coalition et l’opposition et entraîné lentement le gouvernement là où il se trouve aujourd’hui. Tous deux sont automatiquement devenus les chouchous du Likoud. 

Nir Orbach est un député du parti Yamina de Naftali Bennett, l’un des plus proches alliés du Premier ministre, et l’enfant chéri du camp du Parti sioniste religieux (Twitter/@yair_grossman)
Nir Orbach est un député du parti Yamina de Naftali Bennett, l’un des plus proches alliés du Premier ministre, et l’enfant chéri du camp du Parti sioniste religieux (Twitter/@yair_grossman)

Enfant chéri du camp du Parti sioniste religieux, Orbach a annoncé il y a une semaine qu’il ne faisait plus partie de la coalition, affirmant que des « éléments extrémistes et antisionistes » tels que les députés arabes Ghaida Rinawie Zoabi (Meretz) et Mazen Ghanaim (Raam) tenaient le groupe en otage.  

L’élément déclencheur de sa décision résume à lui seul l’absurdité de cette coalition. Le 6 juin, la Knesset a voté au sujet du renouvellement des règlements d’urgence, qui garantissent des droits civiques aux colons israéliens de Cisjordanie et soumettent dans le même temps les Palestiniens à un régime militaire. Cette procédure en place depuis plus d’un demi-siècle est apparue avec l’occupation de la Cisjordanie par Israël en 1967 et le début du mouvement de colonisation. 

Alors que l’occupation s’est normalisée pour la plupart des Israéliens, il en va de même pour le renouvellement de ces lois d’urgence, qui se produit automatiquement tous les cinq ans. Il s’agit d’un acte banal qui rappelle avec force l’anormalité du projet de colonisation. 

Un théâtre de l’absurde

Même le droit des colons de voter aux élections israéliennes en tant que non-citoyens peut être remis en question sans cette loi. Les règlements d’urgence établissent des distinctions claires entre les habitants palestiniens et juifs de Cisjordanie, formant en d’autres termes une loi d’apartheid.

Cette année, ce qui devait être un renouvellement automatique de cinq décennies d’anormalité s’est transformé en un théâtre de l’absurde : l’opposition, menée par des partis colonialistes comme le Likoud et le Parti sioniste religieux de Bezalel Smotrich, a voté contre le renouvellement dans le seul but de montrer sa méfiance envers le gouvernement. Avec les députés arabes de la Liste unifiée, ils ont réuni 58 voix contre.  

L’enfer s’est déchaîné. Les membres de droite de la coalition se sont sentis trahis non pas par leur opposition de droite, avec laquelle ils partagent une idéologie, mais par leurs homologues palestiniens

Cependant, le véritable mélodrame s’est produit au sein de la coalition, puisque Renawie Zoabi de Meretz et Ghanaim de la Liste arabe unie ont tous deux voté contre le projet de loi. La coalition a perdu avec 52 voix contre 58.

L’enfer s’est déchaîné. Les membres de droite de la coalition se sont sentis trahis non pas par leur opposition de droite, avec laquelle ils partagent une idéologie, mais par leurs homologues palestiniens. En fin de compte, la dissolution du Parlement permettra la prolongation automatique du projet de loi.

Quelque chose de positif en est toutefois ressorti. L’occupation, les colonies et le caractère anormal de tout cela, si soigneusement caché par tous les partenaires, sont soudainement apparus en plein jour. En ce sens, ce fut un moment décisif et important à bien des égards. 

Nir Orbach a proclamé que « l’expérience d’une coalition avec les Arabes [avait] échoué » et mène depuis lors des discussions avec le Likoud quant à son avenir politique. « Bennett, rentre chez toi », a réagi le Likoud dans un court message. 

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D’une certaine manière, ils avaient raison. Ce coup final a déclenché la fin de cette coalition.

À un niveau beaucoup plus profond, le manque d’authenticité de ce partenariat pragmatique sans racines sociales et politiques profondes a causé plus de tort que de bien.

Il y a un an, la majorité des juifs israéliens étaient favorables à la notion de partenariat judéo-arabe au sein d’une coalition, selon un sondage de Panels Politics Research. Après un an de présence de Raam dans la coalition, 69 % des personnes interrogées ne veulent plus d’un parti arabe au gouvernement.

Lorsque Bennett a dissous le gouvernement lundi, les députés Likoud ont fixé d’emblée un premier objectif : pas d’Arabes cette fois-ci. Dans un débat télévisé spécial sur Channel 12, le député Likoud Mickey Zohar a annoncé fièrement : « Nous ne pouvons pas diriger un État fondé par des Juifs pour les juifs avec des partenaires antisionistes. »

Assis à côté de lui, Abbas lui a demandé : « Et qu’en est-il du partenariat avec Itamar Ben-Gvir ? Cet homme est plus dangereux. » Zohar s’est empressé de le balayer d’un revers de main : « C’est complètement différent. »

Certes. Ben-Gvir, cet ancien kahaniste raciste qui ébranle les fondements mêmes de la démocratie israélienne, est effectivement différent. Il est juif.

« Bibi or not Bibi » : telle sera une nouvelle fois la question

Ce court échange trace les contours des futures campagnes électorales. « Bibi or not Bibi » : telle sera une nouvelle fois la question. Mais ce n’est pas terminé.

Le Likoud fera référence au « dangereux gouvernement dirigé par Bennett-Lapid-Abbas et les Frères musulmans ». Les partenaires de la coalition dresseront quant à eux l’équation unissant « Bibi et Ben-Gvir ». 

À juste titre, puisque Netanyahou a fait entrer à lui seul Ben-Gvir à la Knesset pour fortifier son camp avant le quatrième tour de scrutin en 2021, lui conférant un immense pouvoir. Dans tous les sondages récents, le Parti sioniste religieux, l’alliance de Ben-Gvir dirigée par Bezalel Smotrich, obtiendra neuf ou dix sièges, dont beaucoup en provenance des jeunes électeurs des partis orthodoxes. Il est en effet le nouveau visage symbolique d’Israël. 

À la fin des années 1990, Avigdor Lieberman, était défini par les dirigeants modérés du Likoud comme un homme « raciste » et un danger pour la démocratie. Aujourd’hui, c’est à ce même Lieberman que la gauche donne l’accolade pour tenter de tenir Netanyahou à l’écart du pouvoir

Petit rappel : à la fin des années 1990, Avigdor Lieberman, ancien ministre de la Défense issu de la droite laïque, était défini par les dirigeants modérés du Likoud comme un homme « raciste » et un danger pour la démocratie.

Aujourd’hui, c’est à ce même Lieberman que la gauche donne l’accolade pour tenter de tenir Netanyahou à l’écart du pouvoir. Cela montre dans quelle mesure Israël a changé. 

À quoi faut-il s’attendre dans l’immédiat ? Lapid, le Premier ministre du gouvernement de transition, crédité de vingt sièges dans tous les sondages récents, dispose d’un bon point de départ pour défier le camp de l’extrême droite. Il souffre néanmoins d’une grave faiblesse dans la tradition politique israélienne : il n’a aucune expérience militaire à faire valoir.

Cela pourrait être rectifié si Gadi Eizenkot, ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, rejoignait son parti comme on le suppose. Lapid sera le grand gagnant de ce revirement, dont le Parti travailliste pourrait être la victime.

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Étant donné que les deux partis partagent un électorat similaire, les électeurs pourraient préférer voter pour ce qui sera alors le parti au pouvoir (Yesh-Atid), associé à Eizenkot, une figure appréciée et respectée.

Pourtant, le Parti travailliste refuse obstinément de s’unir à Meretz, un autre parti de gauche, et court désormais le risque de ne pas atteindre le seuil électoral, comme le laissent entendre les sondages. À ce titre, Lapid semble devenir le repère de gauche d’une scène politique en mutation.

En revanche, les quatre mois à venir avant le scrutin sont une éternité et l’heure n’est pas aux spéculations. Compte tenu de l’évolution constante de la scène politique israélienne et de tous les revirements d’alliances et de coalitions observés au cours des trois dernières années, nul ne peut savoir à quoi ressemblera ce 25 octobre.

- Lily Galili est une journaliste israélienne et conférencière spécialiste de tous les aspects de la société israélienne et de l’immigration en Israël. Après avoir travaillé pour le quotidien Haaretz, elle collabore aujourd’hui avec plusieurs médias. Co-auteure du livre The million that changed the Middle East (2013), un ouvrage exhaustif sur l’immigration post-soviétique en Israël, elle est aussi activiste sociale et politique. Boursière de la Fondation Nieman pour le journalisme de l’université de Harvard, Lily Gali est aussi diplômée de l’Université hébraïque de Jérusalem (master en communication).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Lily Galili is a senior Israeli journalist and lecturer focusing on all aspects of Israeli society and immigration to Israel. Formerly with Haaretz daily, now contributor to several media outlets. Co- author of ‘The million that changed the Middle East’ (2013), a comprehensive book about the post-Soviet immigration to Israel. Social and political activist. Galili is a Nieman Fellow from Harvard and a graduate of the Hebrew University in Jerusalem, with a Master's Degree in communication.
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