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La Cour suprême israélienne permet la torture des prisonniers palestiniens

Alors que les Israéliens manifestent contre le projet de réforme judiciaire de Netanyahou et Ben-Gvir, la Cour suprême israélienne permet l’utilisation de la torture des prisonniers palestiniens par l’État
Des Palestiniennes manifestent à Gaza en solidarité avec les détenues palestiniennes dans les prisons israéliennes, le 22 décembre 2021 (AFP)
Des Palestiniennes manifestent à Gaza en solidarité avec les détenues palestiniennes dans les prisons israéliennes, le 22 décembre 2021 (AFP)

Avant que le gouvernement d’extrême droite ne se lance dans une campagne contre la justice, la presse couvrait peu les activités de la Cour suprême israélienne.

Le 29 décembre 2022, la Cour suprême a une fois encore capitulé face aux demandes de l’État concernant les conditions de détention et plus particulièrement la taille des cellules de prison. Elle a accédé à la demande de l’État et a prolongé, pour la troisième fois, le délai relatif à l’extension de l’espace de vie des détenus, l’amenant au 31 décembre 2027.

Dans la plupart des pays européens, la superficie des cellules de prison standard va de 6 à 12 m² ; en Israël, elle est de moins de 3 m²

En réponse à une requête d’organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, parmi lesquelles l’Association pour les droits civiques en Israël (ACRI), la Cour suprême avait décidé en juin 2017 de porter l’espace de vie des prisonniers à 4,5 m² – fixant à l’administration pénitentiaire israélienne une échéance initiale de neuf mois (HCJ 1892/14 ACRI v Public Security Minister).

Dans la plupart des pays européens, la superficie des cellules de prison standard va de 6 à 12 m², alors qu’en Israël, elle est de moins de 3 m². 

Le jugement semble admettre que les détenus vivent dans des conditions inhumaines, humiliantes et cruelles. Dans l’exposé introductif de cette décision, le juge Yitzhak Amit écrit que « la société est évaluée… à travers la façon dont elle traite ses prisonniers ». Il fait remarquer que « les priver de leur liberté par l’incarcération ne signifie pas les priver de leur droit à la dignité, qui découle du droit du prisonnier à déterminer l’espace vital minimal ». 

Cependant, malgré cette déclaration, la Cour a accepté de maintenir ces conditions cinq ans de plus, lesquels sont devenus dix ans après le jugement initial.

« Inadaptées aux êtres humains »

En 2014, l’ACRI, Physicians for Human Rights (PHR-I) et d’autres organisations avaient déposé une requête devant la Cour suprême pour résoudre le problème de surpopulation carcérale dans les centres de détention israéliens et obliger l’État à augmenter sans délai l’espace de vie des prisonniers à un minimum de 4,5 m² – solution temporaire avant de l’augmenter davantage dans le cadre d’un projet à long terme.

Cette requête spécifiait que les détenus sont contraints de passer des heures dans leur lit, sans pouvoir bouger ou se lever, et que ceux qui partagent une cellule ne peuvent se lever et marcher en même temps dans l’espace restreint.

En conséquence, les prisonniers sont souvent contraints d’effectuer leur routine quotidienne dans leur lit, y compris les repas. Elle affirme aussi que cette surpopulation fait suffoquer les détenus dans les cellules, nuit à leur santé et provoque des frictions entre eux.

Des Palestiniens manifestent en solidarité avec les prisonniers incarcérés en Israël à Gaza, le 7 mars 2023 (Reuters)
Des Palestiniens manifestent en solidarité avec les prisonniers incarcérés en Israël à Gaza, le 7 mars 2023 (Reuters)

C’est loin de l’espace acceptable dans les pays dits démocratiques (8,8 m²) et du minimum adopté par les institutions internationales pour garantir les conditions de vie adéquates et raisonnables mentionnées dans un rapport de 2012 publié par le Comité international de la Croix-Rouge.

Malheureusement, la situation dans les prisons israéliennes n’a pas changé depuis des décennies et l’État n’a pratiquement rien fait pour apporter des solutions ou procéder à des changements.

Dans son rapport annuel 2019-2020, la Défense publique israélienne (branche du ministère de la Justice en charge de défendre les détenus qui n’ont pas les moyens d’engager un avocat) a mis en garde contre la surpopulation carcérale et les atteintes aux droits des détenus. Ce rapport qualifiait les conditions de détention d’« atteinte grave à la dignité humaine ». Il critiquait l’étroitesse des cellules de prison de 2,5 m², faisant valoir que c’est « trop petit, ne serait-ce que pour un prisonnier ».

Le rapport réitère les appels antérieurs à cesser immédiatement de maintenir les prisonniers dans ces cellules, affirmant qu’elles sont « inadaptées aux êtres humains ». Il fait également remarquer qu’une cellule de prison fait aujourd’hui moins de la moitié du minimum approuvé par l’administration carcérale israélienne, autorité qui avait fixé l’espace raisonnable à 6 m².

La Défense publique soutient que ceci affecte non seulement les droits des détenus, mais est aussi contraire aux obligations de l’État, qui doit s’abstenir d’imposer des sanctions dégradantes, inhumaines et cruelles selon les normes fondamentales du droit international.

Non-respect de la décision de la Cour

Le 13 juin 2017, la Cour suprême a ordonné à l’État d’accroître la taille minimale des cellules. Pour faciliter la mise en œuvre de ces réformes, la Cour suprême a divisé le processus en deux étapes : 1. l’État avait neuf mois pour augmenter l’espace de vie des détenus à 3,3 m² (toilettes et douche en sus). 2. l’État disposait de neuf mois de plus pour porter cet espace de vie à 4,5 m².

Cependant, le 5 mars 2018, une semaine avant l’échéance de la première étape, l’État a déposé un recours devant la Cour pour différer sa mise en œuvre à dix ans après la décision initiale, c’est-à-dire en 2027. L’État avançait que respecter le calendrier établi par la Cour impliquerait la « libération massive » de détenus et mettrait la population « en danger ».

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Les requérants avaient démenti ces affirmations, faisant valoir que l’État n’avait pris aucune mesure pour la construction de nouveaux centres de détention et réaffirmant l’observation de la Cour suprême à propos des lieux inadéquats, pour beaucoup construits avant le Mandat britannique. Ils protestaient également contre la suggestion d’un problème de sécurité publique, qualifiant cela de « vaines menaces visant à intimider la Cour ».

La Cour a vivement critiqué les actes de l’État et initialement rejeté sa demande. Cela a obligé l’État à soumettre un plan de construction de nouvelles ailes pour des centaines de prisonniers de sécurité et une augmentation des libérations administratives qui allait engendrer l’évacuation d’environ 1 000 places d’isolement.

En juin 2018, l’État a mis au courant la Cour de son intention d’utiliser la prison de Saharonim dans le désert du Néguev comme centre de rétention dans le cadre de la première étape de la réforme.

En ce qui concerne la seconde étape (garantir un espace de vie minimum de 4,5 m² pour chaque détenu avant décembre 2018), l’État n’a pas fait le moindre progrès, amenant les organisations de défense des droits de l’homme à demander à la Cour qu’elle exige le respect à la lettre du jugement.

Une faille permettant la torture

Dans une notification en date du 29 juillet 2018, l’État informait la Cour de son projet d’établir d’ici 2026 de nouveaux centres pour l’accueil de prisonniers interrogés par le Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien. Il annonçait également son intention de déposer un recours devant la Cour suprême pour que celle-ci amende son jugement afin d’exempter les installations du Shin Bet de l’obligation d’étendre l’espace de vie des détenus jusqu’en 2027. Actuellement, les cellules du Shin Bet font 2 m² ou moins.

Les requérants représentants diverses associations de défense des droits de l’homme se sont opposés à la demande de l’État, estimant que cette population devait en réalité être la cible prioritaire des efforts d’adaptation des conditions de détention et que retarder l’exécution de ce jugement d’au moins huit ans n’était pas raisonnable.

Le rapport de la Défense publique ordonnait à l’administration carcérale israélienne de cesser immédiatement de maintenir les prisonniers dans ces petites cellules, affirmant qu’elles sont « inadaptées aux êtres humains »

L’État a alors soutenu qu’étendre l’espace de vie des détenus nuirait à la capacité du Shin Bet à obtenir des informations et affecterait vivement le nombre d’enquêtes lancées à la fois.

Paradoxalement, cette justification reposait sur l’aveu complet que l’espace de vie des détenus, inférieur au minimum requis, constitue clairement un outil de torture et de pression pour « obtenir des informations » ou des aveux des détenus palestiniens.

La plupart des soi-disant enquêtes de sécurité visent des Palestiniens, les soumettant à des conditions contraires à la Convention contre la torture dont Israël est pourtant signataire.

En 2022, une commission parlementaire israélienne a unanimement approuvée par deux fois un projet de loi visant à amender le Code pénal (Pouvoirs d’arrestation, espace de vie dans les centres de détention du Shin Bet) qui exempte également les centres de détention du Shin Bet d’étendre l’espace de vie des détenus comme l’avait ordonné la Cour suprême.

Pour ne rien arranger, le projet de loi suggère l’application de normes secrètes par un responsable et le directeur du Shin Bet. Les organisations de défense des droits de l’homme craignent que ces « normes » ne respectent pas et ne permettent pas de protéger les droits des détenus qui seraient soumis à des conditions de torture en violation du droit international. 

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Comme énoncé dans ce projet de loi, l’établissement des normes et règles concernant l’espace de vie des prisonniers de sécurité est exercé par le Premier ministre, avec l’approbation du ministre de la Justice et de la commission ministérielle du Shin Bet, ainsi que l’approbation d’une commission spéciale mixte des Affaires étrangères, de la commission de la Défense et de la commission juridique à la Knesset.

Cette proposition a rencontré la vive opposition des organisations des droits de l’homme, et un certain nombre d’entre elles (le Comité contre la torture, HaMoked – centre pour la défense de l’individu – et Physicians for Human Rights) ont soumis le 8 février 2020 leurs observations concernant ce projet de loi au conseiller juridique par intérim. Ils affirmaient qu’il s’agissait de tentatives pour contourner la décision de la Cour et que cette proposition continue d’enfreindre déraisonnablement les droits des détenus et de les discriminer, en particulier. 

Ils observaient également que toute loi doit être soumise aux normes juridiques et notaient que cela contrevient à ce qui a été approuvé dans la loi fondamentale israélienne : dignité humaine et liberté

Ils ont souligné que ces quartiers généraux spéciaux du Shin Bet devaient recevoir davantage d’attention en ce qui concerne la garantie d’un espace de vie, puisqu’ils sont dissimulés aux yeux du public et même de toute surveillance officielle dans la plupart des cas. En outre, les détenus dans ces centres sont souvent privés de rencontres avec leurs avocats.

Cette justification reposait sur l’aveu complet que l’espace de vie des détenus, inférieur au minimum requis, constitue clairement un outil de torture et de pression pour « obtenir des informations » ou des aveux des détenus palestiniens

Les délais réclamés par l’État ont entraîné la Cour dans une spirale. Si celle-ci a bel et bien le pouvoir de repousser les échéances, elle ne peut le faire qu’à de rares occasions. 

Comme indiqué dans sa décision, « prolonger les délais pourrait aboutir à une situation dans laquelle la situation illégale existante continue à nuire aux attentes des parties qui comptent sur la Cour et nuire à la fin de l’arbitraire. En outre, les extensions dans les cas non nécessaires nuiront au principe de l’État de droit. » 

Cette décision signifie que les détenus et prisonniers des geôles israéliennes continueront à vivre dans des conditions inhumaines et difficiles pendant cinq ans de plus. 

Ces conditions, selon le rapport de la Défense publique, « sont considérées comme un abus grave des droits des détenus, de leur dignité, de leur santé et de leur droit à la vie privée, tout ceci étant exacerbé par les conditions de vie difficiles ». 

Ce qui est inquiétant, c’est que ces conditions difficiles, lorsqu’elles s’ajoutent à un traitement inhumain, s’apparentent à de la torture, en particulier dans les centres de détention du Shin Bet (exemptés de l’ordre de la Cour) où prévalent le froid extrême, le bruit, les privations de sommeil, les mesures de confinement, les privations de sortie à l’air libre, la mauvaise alimentation, le manque de lits et de couvertures, la mauvaise hygiène et d’autres conditions relevant de la torture.

- Janan Abdu est avocate et militante des droits de l’homme basée à Haïfa. Elle cherche à sensibiliser et mobiliser un soutien international envers les prisonniers politiques palestiniens. Ses articles ont été publiés dans le Journal of Palestine Studies ; le trimestriel du Centre d’études sur les femmes de l’Université de Birzeit ; al-Ra’ida (AUB) ; The Other Front (Centre d’information alternatif) ; Jadal (Mada al-Carmel). Parmi ses publications figure Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Janan Abdu is a lawyer and human rights activist based in Haifa. She is active in raising awareness about and mobilizing international support for Palestinian political prisoners. Her articles have appeared in the Journal of Palestine Studies; the quarterly of the Women’s Studies Center at Birzeit University; al-Ra’ida (AUB); The Other Front (Alternative Information Center); Jadal (Mada al-Carmel). Her publications include Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
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