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La tentative de coup d’État au Soudan montre que la transition civile est en danger

La rivalité croissante au sein des Forces pour la liberté et le changement pourrait être exploitée par leurs partenaires militaires
Mohamed Hamdan Dagalo, vice-président du Conseil de souveraineté soudanais, le 8 octobre 2020 à Khartoum (AFP)
Mohamed Hamdan Dagalo, vice-président du Conseil de souveraineté soudanais, le 8 octobre 2020 à Khartoum (AFP)

Conformément à l’accord de partage du pouvoir conclu en 2019, le Soudan est depuis lors dirigé par un gouvernement de transition mixte, civil et militaire. Mais dans un contexte de tensions persistantes entre les partenaires au pouvoir, un coup d’État a été déjoué fin septembre.

Paradoxalement, cet événement a coïncidé avec le discours aux Nations unies du président américain Joe Biden, dans lequel il a salué la transition démocratique du Soudan.

Après cette tentative avortée de coup d’État, des milliers de Soudanais ont manifesté à Khartoum pour réclamer un régime civil et une paix durable. L’armée les a dispersés avec des tirs de gaz lacrymogène. 

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La tentative de coup d’État du 21 septembre s’est déroulée dans un climat de tension et de méfiance, marqué par d’innombrables controverses au sein du gouvernement de transition.

Dans la foulée de la tentative de coup d’État, Mohamed al-Faki Suleiman, membre civil du Conseil de souveraineté soudanais, s’est exprimé sur les réseaux sociaux pour appeler les citoyens soudanais à protéger la transition démocratique : « La révolution est victorieuse », a-t-il lancé. Il est aujourd’hui considéré comme une icône révolutionnaire.

Les tensions entre les partenaires au pouvoir se sont encore approfondies lorsque le vice-président du Conseil de souveraineté, Mohamed Hamdan Dagalo – communément appelé Hemetti –, a publiquement attribué la tentative de coup d’État aux responsables politiques civils. « Les responsables politiques sont la principale cause des coups d’État parce qu’ils négligent le citoyen ordinaire […] et parce qu’ils cherchent davantage à se battre pour rester au pouvoir. » 

Le président du conseil, le général Abdel Fattah al-Burhan, s’est livré à une déclaration encore plus choquante : « Le Soudan n’a pas de gouvernement élu pour le moment et les forces armées demeurent les gardiennes de la sécurité et de l’unité du Soudan. » 

Conflits internes

Les réactions à ces propos ont été rapides, notamment de la part des membres des Forces pour la liberté et le changement (FLC), mais la plus significative a été celle du Premier ministre Abdallah Hamdok, qui a annoncé qu’il serait nécessaire de restructurer les forces armées et de remettre leurs sociétés d’investissement au ministère des Finances. Il a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une opposition entre armée et civils, mais entre ceux qui croient en la transition démocratique et ceux qui veulent y faire obstacle.

La tension entre les partenaires civils et militaires s’est accrue à l’approche du transfert prévu du pouvoir en faveur des civils. En vertu de la charte constitutionnelle qui organise la transition au Soudan, la présidence du Conseil de souveraineté est censée devenir civile au milieu de la transition. La date de ce transfert, qu’il ait lieu en novembre (comme prévu initialement) ou l’an prochain, comme cela a été négocié dans le cadre de l’accord de paix de Djouba, est une question d’interprétation juridique.

Dagalo a déclaré dans un discours télévisé le 7 octobre qu’il était trop tôt pour en discuter. « Le fait d’attribuer le différend entre les partenaires militaires et civils à l’imminence du transfert du pouvoir aux civils est un mensonge », a-t-il précisé, avant d’ajouter que le pouvoir sur la police et l’appareil national de renseignement ne serait pas transféré à un gouvernement non élu.

Des délégations se présentent à une conférence annonçant la formation d’une alliance distincte des FLC, le 2 octobre 2021 à Khartoum (AFP)
Des délégations se présentent à une conférence annonçant la formation d’une alliance distincte des FLC, le 2 octobre 2021 à Khartoum (AFP)

Créées en janvier 2019, les FLC se composent d’une large coalition de responsables politiques, de groupes armés et d’organisations de la société civile, mais se trouve embourbé dans des conflits internes.

Malgré un accord général sur la nécessité de renverser le régime de l’ancien président Omar el-Béchir, les FLC n’ont pas eu de vision claire sur la manière de gouverner une fois Béchir évincé, ouvrant ainsi la voie à une prise de contrôle militaire.

Les membres de la coalition ont récemment signé une nouvelle charte réaffirmant leur unité et la nécessité de réformes démocratiques et appelant à « un dialogue sérieux entre les civils et l’armée pour déterminer la nature des réformes ». L’absence de certaines factions, telles que le Mouvement de libération du Soudan (MLS) de Minni Minnawi et le Parti communiste soudanais, était toutefois notable

La scission des FLC est ensuite devenue évidente lorsqu’une autre alliance des FLC, apparemment en réaction, a approuvé une autre charte, baptisée « Charte de consensus national pour l’unité des Forces pour la liberté et le changement ». Seize groupes politiques et armés l’ont signée, dont le Mouvement de libération de Kush, l’Alliance démocratique pour la justice sociale et le MLS de Minnawi. Certains observateurs et journalistes ont qualifié leur alliance de « FLC 2 ». 

En effet, au lieu d’apaiser les tensions, la première charte signée par l’alliance initiale semble avoir incité les FLC 2 à reprocher à certains de leurs anciens alliés de monopoliser le pouvoir. Cette nouvelle rivalité pourrait désormais être exploitée par les partenaires militaires des FLC.

La restructuration des FLC pourrait finalement créer l’environnement idéal pour permettre à l’armée de consolider son emprise sur le pouvoir

Les machinations pour tirer parti de la scission au sein des FLC ont déjà commencé : les dirigeants des FLC 2 se sont ainsi attaqués à la Commission de démantèlement du régime du 30 juin 1989 et de récupération des fonds publics, qui est devenue le cœur battant de la révolution.

Par ailleurs, il se dit que la charte des FLC 2 serait passée par un certain nombre de groupes alliés au régime déchu, nécessaires pour renforcer la taille et la crédibilité de la nouvelle alliance. 

La restructuration des FLC pourrait finalement créer l’environnement idéal pour permettre à l’armée de consolider son emprise sur le pouvoir. Même si Abdel Fattah al-Burhan ne cesse de marteler que l’armée ne tentera jamais un coup d’État, certains pensent que la récente tentative avortée de coup d’État était un ballon d’essai destiné à tester la possibilité d’un futur coup d’État.

Mais un putsch n’est peut-être même pas nécessaire pour permettre une prise de pouvoir de l’armée, puisque la récente scission des groupes civils pourrait remodeler la scène politique fragile du pays et renforcer le pouvoir de l’armée par la voie pacifique. 

Si l’on garde à l’esprit les enseignements récents du Printemps arabe, un coup d’État ne serait probablement pas couronné de succès ni durable, étant donné que le Soudan a déjà connu deux révolutions et que des manifestations de masse s’ensuivraient certainement si la révolution actuelle venait à être menacée. 

Pour les partenaires au pouvoir dans le pays, la seule façon de sortir de l’impasse actuelle est que les deux parties respectent la déclaration constitutionnelle de 2019, règlent les différends par le biais du système judiciaire et, surtout, entament un dialogue éclairé, axé sur le droit des citoyens soudanais à une vie plus digne. Dans le cas contraire, si le système de transition démocratique se retrouve perturbé, le Soudan risque de retourner à un état d’isolement international.

- Osama Abuzaid est un chercheur spécialiste des questions de développement et de gouvernance établi à Khartoum. Il travaille actuellement au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ) en tant que chercheur associé et coordinateur du programme d’aide aux subventions pour les projets locaux et sur la sécurité humaine. En plus d'enseigner sur des sujets liés à la gestion du développement et à la gouvernance à l’Université des sciences médicales et de technologie (UMST) de Khartoum, il a participé à divers projets initiés par des agences de l’ONU et des ONG.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Osama Abuzaid is researcher of development and governance issues based in Khartoum. Currently, he is affiliated with CEDEJ as an associate researcher and programme coordinator of grant assistance for Grassroots and Human Security Projects (GGP). He Has been teaching development management and governance-related issues at the University of Medical Sciences and Technology (UMST), and took part in various UN agencies and NGOs' projects.
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