Après des années de guerre, la militarisation est largement saluée par les Irakiens
BAGDAD – « Je vais massacrer Daech. Mon père m’a offert ce fusil et cet uniforme pour tous les tuer». Ali, 4 ans, exhibe son treillis vert et noir et, avec un large sourire, agite un fusil en plastique.
« Papa a dit que ceux qui ne portent pas cet uniforme roulent pour Daech et que ceux qui le portent sont les vrais Irakiens », répète Ali.
Pour cet enfant, l’Irak est divisé en deux camps : ceux qui soutiennent les militants du group État islamique appelé Daech, qui ont conquis de grandes parties du pays ; et les autres. Ce qui peut sembler simpliste mais, dans la société irakienne – si violente et de plus en plus militarisée – cette façon de voir est devenue omniprésente.
Le père d’Ali est soldat. Son oncle, commandant dans les Forces de mobilisation populaire, coalition de milices à majorité chiite, enrôlées l’an dernier par le gouvernement pour combattre Daech.
« Tous deux arrivent souvent à la maison en uniforme, pistolet à la ceinture ». Zahraa, la mère d’Ali, récemment diplômée de l’université de Bagdad, parle de son mari et de son beau-frère.
« Ils racontent à toute la famille ce qui leur est arrivé au front et nous enseignent quoi faire si des militants nous attaquent », annonce fièrement Zahraa.
Ali fait partie de ces dizaines de milliers d’Irakiens – enfants, jeunes gens, femmes et fonctionnaires – qui, pour manifester concrètement leur solidarité avec l’armée, ont troqué leurs vêtements civils pour une tenue militaire.
Le mois dernier, des étudiantes à l’université de Bagdad et d’Erbil ont posté sur les médias sociaux des photos où, à l’occasion des cérémonies de remise de diplômes, elles posent en treillis militaire.
« C’est simplement une façon de démontrer notre soutien aux troupes qui combattent Daesh », explique Lena, étudiante de 20 ans, lors de la fête organisée la semaine dernière pour les fiançailles de son frère, où elle arborait son uniforme turquoise, copié sur celui de la garde nationale irakienne.
« C’est très tendance actuellement et j’aime bien », dit-elle.
Dans la ferme du grand-père d’Ali, au sud de Bagdad, s’affichent partout des signes de soutien à l’armée.
La tante d’Ali porte un pantalon en treillis de camouflage kaki. Un cousin est vêtu d’une chemise où est imprimée la photo d’un milicien chiite barbu, arborant un fusil de tireur d’élite. En dessous est écrit, « Ela Tahain », « La seule chose à faire c’est d’écraser l’ennemi ».
« Ces vêtements sont très à la mode de nos jours. La demande ne cesse d’augmenter et nous avons dû la satisfaire », explique à MEE Mohammed, grossiste à Shourja, le plus grand marché de gros à Bagdad.
« Et depuis peu nous fournissons les magasins en lingerie façon treillis kaki de camouflage. La demande est énorme aussi », se réjouit Mohammed
Camps d'entraînement à la guerre
La militarisation de l’Irak est plus profonde que ces portraits de chefs de milices chiites et ces banderoles noires évoquant à Bagdad les jeunes gens tués par Daech.
Le mois dernier, Ahmed al-Safi, représentant de l’ayatollah Ali al-Sistani, religieux chiite le plus vénéré en Irak, a appelé écoles et universités à profiter des vacances d’été pour enseigner le maniement d’armes aux élèves, afin d’être « prêts à conjurer les menaces qui pèsent sur le pays ».
Partout fleurissent des camps de formation par dizaines, enseignant à des étudiants et à des volontaires les rudiments des techniques de combat et le maniement d’armes.
« C’est une mesure proactive. Les terroristes ont menacé de s’en prendre aux provinces (chiites) du centre et du sud », rappelle Ahmed al-Asadi, porte-parole des Forces de mobilisation populaire.
« Cet entraînement ne vise pas la militarisation de la société ; elle nous forme à parer à tout danger potentiel », a déclaré Asadi.
D’après les psychologues, l’engouement croissant pour les militaires dans l’imaginaire collectif provient de sentiments de peur et d’anxiété, suite à des décennies de conflits et d’incertitude.
« Les Irakiens se sentent obligés de se mobiliser face à des gangs et des militants dont la menace est ressentie personnellement par tous », explique Shaimaa Abdulaziz, professeur de psychologie à l’université de Bagdad.
« Les gens sont armés, ils s’habillent en treillis, possèdent tout un attirail militaire... » Ce qu’Abdulaziz traduit comme « autant de moyen d’extérioriser leur craintes ».
Traduction de l’original par Dominique Macabies.
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