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Maroc : la triste fin des salles de cinéma historiques

Le royaume ne compte que 27 salles en activité. Une centaines d’autres cinémas, dont certains véritables joyaux d’architecture, ont été fermés ou tombent en ruine
À Meknès (nord), la démolition en 2006 du Régent, un ancien théâtre municipal aux lignes baroques bâti dans les années 1920, a été un coup dur pour Yahla Yahla, qui y fut projectionniste durant 35 ans (AFP/Fadel Senna)
À Meknès (nord), la démolition en 2006 du Régent, un ancien théâtre municipal aux lignes baroques bâti dans les années 1920, a été un coup dur pour Yahla Yahla, qui y fut projectionniste durant 35 ans (AFP/Fadel Senna)
Par AFP à CASABLANCA, Maroc

« Il n’y a plus d’espoir. Ce cinéma est mort », se désole Rabi Derraj, le gardien d’al-Malaki (Le Royal), une des salles obscures emblématiques de Casablanca, rongée par le temps et l’oubli, comme tant d’autres écrins de ce patrimoine architectural au Maroc.

Au cœur d’un marché du quartier populaire de Derb Sultan, ce grand cinéma de la fin des années 1940, voulu par le roi Mohammed V pour rivaliser de prestige avec les salles réservées aux Français pendant le protectorat, a perdu de sa superbe. 

Son hall est devenu un dépotoir où sont stockées des marchandises du souk. Une télévision trône devant le guichet au dessus duquel seul le tableau des prix d’entrée, toujours intact, rappelle l’identité du lieu fermé en 2016.

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Impossible d’avoir accès à la salle de 1 060 places : les portes sont condamnées par des mannequins de vitrine.

« C’est malheureux ! On ne mesure pas l’importance historique de ce cinéma », peste Rabi Derraj, 42 ans, le gardien des lieux depuis vingt ans.  

Faute de public et d’intérêt, une centaine de salles obscures à travers le royaume connaissent le même sort qu’al-Malaki, voir pire, elles tombent en ruine avant d’être détruites. 

Pourtant, le parc cinématographique marocain comprend des véritables joyaux d’architecture et lieux témoins ayant parfois traversé le XXe siècle jusqu’à nos jours.

« Un drame sans nom »

Après les premiers cinémas construits par les colons français, sont érigées dans les années 1940 des salles dédiées au public marocain. C’est l’âge d’or avant la décadence des années 1990.

« Les Marocains ont eu une histoire d’amour avec le cinéma. Puis la télévision, les cassettes VHS et aujourd’hui le streaming ont tué cet amour », déplore le photographe français François Beaurain qui a documenté ce « patrimoine unique » dans Cinémas du Maroc, une bible illustrée parue en décembre.  

À Meknès (nord), la démolition en 2006 du Régent, un ancien théâtre municipal aux lignes baroques bâti dans les années 1920, a été un coup dur pour Yahla Yahla, qui y fut projectionniste durant 35 ans.

Un homme est assis devant le cinéma ABC, à Casablanca, le 24 janvier 2022 (AFP/Fadel Senna)
Un homme est assis devant le cinéma ABC, à Casablanca, le 24 janvier 2022 (AFP/Fadel Senna)

« C’était très dur pour moi, j’en suis tombé malade », se remémore ce septuagénaire tiré à quatre épingles.

« J’ai des souvenirs indélébiles dans ce cinéma. J’y ai appris mon métier, j’y ai vu défiler du beau monde et j’ai pu y exprimer tout l’amour que je porte au 7e art », confie celui qui a retravaillé ensuite à l’Apollo puis à l’ABC à Meknès, respectivement fermés en 2009 et 2020. 

« Un drame sans nom ! Les nouvelles générations ne connaissent malheureusement pas la valeur du cinéma », se lamente-t-il.

Malgré l’hécatombe, quelques rares salles historiques sont toujours ouvertes — dans un pays qui ne compte que 27 cinémas en activité. 

Et ce grâce aux efforts de passionnés et à des aides publiques à la rénovation et à la numérisation des films, néanmoins jugés insuffisants par les exploitants.

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Le Rif, cinéma situé sur l’une des principales artères du centre historique de Casablanca, tient encore débout.

Construite en 1957, cette salle est une « capsule spatio-temporelle », comme le décrit François Beaurain, avec ses murs tapissés de velours violet qui contrastent avec ses 950 sièges de la même étoffe rouge. 

« C’est une salle unique mais je ne vous cache pas mon désarroi. La situation devient de plus en plus difficile », glisse Hassan Belkady, 63 ans, le propriétaire du Rif. 

Car la crise sanitaire a porté le coup de grâce : les cinémas n’ont été autorisés à rouvrir qu’en juillet 2021 après plus d’un an de fermeture. 

Malgré une aide de neuf millions de dirhams (850 000 euros) du Centre cinématographique marocain (CCM), institution publique chargée du 7e art, « on ne s’en sort pas ! », concède Hassan Belkady.

Preuve en est, l’exploitant a été contraint de fermer depuis 2020 deux autres de ses cinémas dans la capitale économique du royaume, l’ABC, une salle née en 1948 et le Ritz (1950).  

« À quoi bon classer des bâtiments historiques si les autorités publiques n’encouragent pas à les sauvegarder ? » s’interroge-t-il.

Au Maroc, les bâtiments classés au patrimoine national ne peuvent pas être démolis mais « il est urgent de se mobiliser, d’agir avant qu’il ne soit trop tard », avertit le propriétaire du cinéma.

Par Kaouthar Oudrhiri.

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