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Au Yémen, le pessimisme entoure les pourparlers de Genève

Les pourparlers doivent porter sur la scène internationale les questions qui concernent les Yéménites ordinaires, mais les différents camps restent méfiants face à l'ingérence internationale
Photo d'archives montrant des enfants yéménites portant des armes

Aucun signe de répit n'est apparu dans les combats qui secouent plusieurs provinces du Yémen, en dépit du lancement des pourparlers parrainés par l'ONU cette semaine à Genève.

Des représentants du gouvernement yéménite en exil, des houthis, du Congrès général du peuple (CPG) de l'ancien Président Ali Abdallah Saleh ainsi que d'autres groupes d'opposition doivent participer aux pourparlers en Suisse, qui ont débuté ce lundi matin.

Les houthis avaient au départ hésité à participer à ces pourparlers qui visent à trouver une solution à la crise qui touche actuellement le Yémen (le groupe avait contesté le fait que l'ONU les ait qualifiés de rebelles). Quant aux Yéménites ordinaires, ils se sont montrés pessimistes quant à leur issue, alors que la guerre fait toujours rage dans différentes provinces.

L'ingérence internationale

Ahmed Dawood, partisan des houthis et journaliste pour le principal journal houthi, al-Masira, a indiqué à Middle East Eye que les pourparlers pourraient réduire le nombre de frappes aériennes au Yémen (et peut-être aboutir à une trêve), mais que le conflit entre les différents camps dans le pays ne peut pas être arrêté par ces pourparlers.

« La seule solution serait que les Yéménites oublient le passé et s'assoient à une table ronde nationale sans ingérence externe, a-t-il expliqué. Les Nations unies aident toujours le "bourreau" contre sa victime ; c'est pourquoi nous ne leur faisons pas confiance. »

Dawood a constaté que la Palestine, la Syrie, l'Irak et la Libye ont tous été soumis à des interférences extérieures et que l'ONU n'a pas apporté de solution à ces pays. Il a ajouté que les Yéménites devraient s'appuyer sur les combattants houthis, qui, selon lui, n'accepteront aucune résolution qui rabaisserait la dignité du peuple yéménite.

De nombreux partisans des houthis sont du même avis que Dawood et se méfient de toute forme de solution internationale ; toutefois, les dirigeants houthis ont donné une certaine crédibilité aux pourparlers de Genève en y prenant part.

Il s'agit de la deuxième conférence de grande envergure entre Yéménites survenue au cours des dernières années. La première, la Conférence de dialogue national (CDN), s'était tenue du 18 mars 2013 au 25 janvier 2014. Cependant, les résultats de ce dialogue – qui comprenait une proposition de restructuration du parlement et de répartition des sièges du Conseil de la Choura à égalité entre Yéménites du nord et Yéménites du sud (50 % chacun), et qui a été ratifié par l’ensemble des différents partis au Yémen – doivent encore être mis en œuvre.

Mohamed al-Hasani, analyste et journaliste politique, n'est pas très optimiste au sujet des pourparlers de Genève. « Nous ne pouvons pas dire que la solution à notre crise viendra de Genève, mais nous pouvons essayer, puisqu'il n'y aura rien à perdre de ces pourparlers », a-t-il confié à MEE.

Selon lui, si les différents camps au Yémen souhaitent résoudre le problème yéménite, ils devraient mettre en œuvre la réconciliation à l'intérieur du Yémen. Mais les camps ne sont pas tous prêts à abandonner certains de leurs droits, et il s'agit selon lui du problème qui a empêché l’application des décisions prises à l'issue de la CDN.

Des pourparlers au beau milieu de la guerre civile et des frappes aériennes

Alors que les conditions au Yémen se détériorent considérablement, on recherche une solution sur le terrain qui permettra d'arrêter la guerre civile et de mettre fin aux frappes aériennes qui ciblent les houthis depuis fin mars.

Adnan al-Rajehi, présentateur pour la chaîne de télévision indépendante Balqees, qui a fui le Yémen pour la Turquie début mai après que les houthis ont pris d'assaut sa station de télévision, ne croit pas en ces pourparlers et constate que les houthis ne se sont pas retirés du territoire qu'ils ont pris. « Avant tout pourparlers, les houthis devraient être contraints de se retirer des provinces qu'ils tentent d'envahir et de revenir à leur bastion. »

Il se montre également pessimiste quant à tout type de solution internationale prévue pour le Yémen, celle-ci étant plus susceptible de servir l'intérêt des autres pays plutôt que celui des Yéménites.

« Notre principal problème est que les Yéménites ont perdu leur confiance mutuelle, ce qui explique pourquoi les résultats de la CDN n'ont pas été mis en œuvre, a ajouté al-Rajehi. Les pourparlers de Genève ne peuvent pas rendre cette confiance aux Yéménites. »

Al-Rajehi considère que ces pourparlers sont honteux pour les Yéménites, qui, selon lui, assistent simplement à un nouveau dialogue alors que les résultats du premier n'ont pas été appliqués.

Aucune alternative

La province de Taiz a connu de violents affrontements entre les houthis et leurs adversaires ; ses habitants souhaitent obtenir une trêve pendant le ramadan.

Ayman Abdulghani, directeur de l'école al-Nour de Taiz, a expliqué à MEE que les habitants de la province espèrent que les pourparlers de Genève aboutiront à un accord en vue d'une telle trêve.

Il reste optimiste au sujet des négociations. « Le dernier espoir pour les Yéménites repose sur les pourparlers de Genève, a-t-il dit à MEE. [Sinon,] les choses iront de mal en pis. »

Les pourparlers sont également une source d'espoir pour de nombreux Yéménites coincés dans les zones de conflit, qui estiment qu'il n'y a aucune alternative.

Les activistes ont indiqué qu'une solution humanitaire constitue la priorité car certaines régions, comme la province d'al-Hudaydah, ont besoin d'aide d'urgence. Selon eux, cela devrait venir avant les accords politiques. Dans ces provinces déchirées par la guerre, les températures élevées accentuent la propagation des maladies et les coupures d'électricité aggravent la situation.

Salah al-Homaidi, directeur exécutif du Centre national pour les libertés et le développement à al-Hudaydah, a indiqué à MEE : « Les différents camps au Yémen n'ont même pas pu se réconcilier pour réparer les câbles électriques qui ont été touchés suite aux affrontements à Marib : il leur sera donc difficile de résoudre le problème majeur du Yémen. »

Il a souligné qu'une réconciliation nationale devait avoir lieu pour subvenir aux besoins fondamentaux avant les pourparlers de Genève car des civils meurent à cause du manque de produits de première nécessité.

Au cours des trois derniers mois, huit personnes à al-Hudaydah sont mortes de la dengue et du paludisme qui se sont propagés pendant les périodes de forte chaleur, mais cela n'a pas motivé les camps opposés au Yémen à trouver une solution sur le front humanitaire.

Abdulmalik al-Fuhaidi, figure de proue du CPG et rédacteur en chef du site web d'information Al-Motamar Net (le site web du CPG), a indiqué à MEE qu'à Genève, le monde entier en apprendra davantage sur la souffrance des Yéménites.

Il ne se montre ni optimiste ni pessimiste au sujet de l’issue des pourparlers ; cependant, « il est suffisant que les pourparlers de Genève permettent à la voix [des] opprimés d'être entendue dans le monde entier à travers leur délégation ».

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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