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Naplouse pleure ses combattants alors que la résistance en Cisjordanie s’intensifie

De petits groupes de Palestiniens armés s’organisent dans plusieurs villes, donnant lieu à un niveau d’affrontement avec l’armée israélienne inédit depuis la seconde Intifada
Des personnes se rassemblent sur les lieux où deux combattants palestiniens ont été tués lors d’affrontements consécutifs à un raid des forces israéliennes à Naplouse (Cisjordanie), le 24 juillet 2022 (Reuters)
Des personnes se rassemblent sur les lieux où deux combattants palestiniens ont été tués lors d’affrontements consécutifs à un raid des forces israéliennes à Naplouse (Cisjordanie), le 24 juillet 2022 (Reuters)
Par Aziza Nofal à NAPLOUSE, Cisjordanie occupée

En plein milieu des préparatifs de son mariage, Abdul Rahman Sobh a pris sa famille de court en annonçant subitement son souhait de quitter sa fiancée.

Sa mère et sa future épouse n’en revenaient pas, car tout allait bien pour ce couple de jeunes Palestiniens originaires de Naplouse qui s’aimaient depuis des années.

« Chaque fois que nous discutions des détails du mariage, son esprit semblait ailleurs », raconte Nisreen al-Oiwai, la mère du jeune homme, à Middle East Eye. « C’était comme s’il se préparait à son martyre », ajoute-t-elle, emplie de fierté pour son fils de 28 ans, tué le 24 juillet par l’armée israélienne lors de violents échanges de tirs dans la vieille ville.   

Surnommé Abboud, Abdul Rahman Sobh fait partie des deux Palestiniens à avoir péri ce jour-là, l’autre victime étant Muhammad Azizi (25 ans). Les deux hommes se trouvaient avec cinq autres résistants dans la maison de Muhammad Azizi, dans le quartier d’al-Yasmineh au cœur de la vieille ville de Naplouse, lorsque les forces israéliennes ont lancé un raid dans la ville pour appréhender certains membres de leur groupe. 

Abdul Rahman Sobh et Muhammad Azizi ont été tués lors de la fusillade de trois heures qui a suivi, tandis que les autres combattants sont parvenus à s’échapper.   

Murmurant « Dieu soit loué ! » à plusieurs reprises, Nisreen al-Oiwai montre les endroits où l’on pouvait voir des traces de son sang après sa mort. 

Nisreen al-Oiwai, la mère d’Abdul Rahman Sobh, montre sur son téléphone une photo du combattant palestinien tué (MEE/Aziza Nofal)
Nisreen al-Oiwai, la mère d’Abdul Rahman Sobh, montre sur son téléphone une photo du combattant palestinien tué (MEE/Aziza Nofal)

Quelques semaines avant le drame, son fils avait demandé l’arrêt des travaux dans l’appartement dans lequel il devait emménager avec sa future épouse. Un consultant familial du tribunal de Naplouse, où il s’était rendu pour officialiser la séparation quelques jours plus tard, a réussi à le persuader de changer d’avis. 

« Nous avons clairement compris qu’il n’y avait aucun problème au sein du couple, mais le marié a affirmé qu’il s’apprêtait à devenir un martyr », indique un document signé par le bureau de consultation familiale. « Il a dit qu’il ne voulait pas briser le cœur de sa fiancée, qui était selon lui la meilleure et la plus belle chose qui lui soit arrivée. » 

Le jeune homme a changé d’avis et n’a pas rompu les fiançailles, d’après le consultant. Moins d’une semaine plus tard, il a connu le sort qu’il appréhendait. 

L’arrivée au sein de la résistance 

La vie d’Abdul Rahman Sobh a basculé en février, après que trois combattants palestiniens ont été abattus en plein jour par l’armée israélienne lors d’une opération ciblée, explique sa mère. 

Parmi les victimes de cette embuscade, qui rappelait les assassinats perpétrés par l’armée israélienne au cours de la seconde Intifada, figurait Mohammed al-Dakhil, un de ses amis proches. 

« Dernièrement, alors qu’il n’était pas rentré à la maison depuis plusieurs jours, je lui demandais où il était allé. Il me disait de m’habituer à son absence »

Mère d’un combattant palestinien tué

Il a vendu un tracteur qu’il possédait à l’époque et acheté une arme à la place, avant de rejoindre un groupe de jeunes Palestiniens armés animés du même état d’esprit dans la ville du nord de la Cisjordanie.

Le groupe, qui s’est depuis transformé en une bande de combattants se faisant appeler la Brigade de Naplouse, est devenu une cible privilégiée de l’armée israélienne.  

Dimanche dernier, des soldats israéliens ont pris d’assaut le quartier d’al-Yasmineh pour la première fois depuis 2002, année où ils ont envahi la ville dans le cadre de leur opération militaire contre les groupes de résistance palestiniens au plus fort de la seconde Intifada.  

Les forces sont entrées dans la vieille ville peu après minuit et ont assiégé la maison où se trouvaient Abdul Rahman Sobh et d’autres combattants, se réfugiant dans une maison adjacente. 

Après trois heures d’affrontements au cours desquels l’armée israélienne a tiré sur la maison avec des missiles antichars, les combattants sont parvenus à fuir les lieux. 

Selon des témoins oculaires et des propriétaires des maisons voisines, Abdul Rahman Sobh et Muhammad Azizi couvraient la retraite des autres combattants lorsqu’ils ont été abattus.

Des Palestiniens inspectent une maison pilonnée par l’armée israélienne lors d’un raid dans la vieille ville de Naplouse (Cisjordanie), le 24 juillet 2022 (Reuters)
Des Palestiniens inspectent une maison pilonnée par l’armée israélienne lors d’un raid dans la vieille ville de Naplouse (Cisjordanie), le 24 juillet 2022 (Reuters)

Déambulant dans l’appartement vide où Abdul Rahman Sobh devait emménager avec son épouse après leur mariage en septembre, Nisreen al-Oiwai explique que le choix de son fils de rejoindre la résistance armée a été long à se préciser. 

En 2009, son oncle, Anan Sobh, a été tué par l’armée israélienne. Peu de temps après, il a lui-même été arrêté, à l’âge de 17 ans, avec ses deux frères. Ces deux événements ont joué un rôle important dans sa vie. 

« Dernièrement, alors qu’il n’était pas rentré à la maison depuis plusieurs jours, je lui demandais où il était allé. Il me disait de m’habituer à son absence », confie sa mère. 

La Brigade de Naplouse

Selon les médias israéliens, le raid lancé dimanche dernier visait à appréhender l’un des combattants palestiniens les plus recherchés à Naplouse, Ibrahim al-Nablusi. 

Ce jeune combattant est accusé d’avoir mené des fusillades contre des cibles israéliennes, notamment dans les environs du tombeau de Joseph, un point sensible de la ville.

La première tentative d’arrestation visant Ibrahim al-Nablusi aurait eu lieu en février, lors de l’embuscade meurtrière du quartier d’al-Makhfiya. On pensait initialement qu’il faisait partie des trois personnes tuées ce jour-là, avant qu’il n’apparaisse lors de leurs funérailles.

De la même manière, son sort n’était pas connu dans la foulée du raid de dimanche dernier, mais il s’est à nouveau présenté aux funérailles d’Abdul Rahman Sobh et Muhammad Azizi, renforçant ainsi sa réputation de combattant insaisissable à travers la ville.

Traduction : Ibrahim al-Nablusi, l’homme recherché par Israël qui a survécu à la tentative d’assassinat cette nuit, participe aux funérailles de deux de ses camarades, Abboud Sobh et Muhammad Azizi, le 24 juillet 2022 dans la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée.

La résistance armée à Naplouse a largement faibli depuis 2007, après des années d’opérations israéliennes coordonnées avec l’Autorité palestinienne visant à démanteler la branche armée du Fatah, les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, le principal groupe de résistance de la ville. 

Toutefois, depuis la résurgence de la résistance armée organisée dans la ville voisine de Jénine, un nouvel élan est apparu à Naplouse, cette fois-ci sous l’impulsion de la branche armée du Jihad islamique, les Brigades al-Qods (Saraya al-Qods)

Le groupe a annoncé la création de la Brigade de Naplouse, sur le modèle de la Brigade de Jénine formée l’an dernier. Si les deux groupes affirment s’inspirer du mouvement du Djihad islamique, leurs membres sont affiliés à différents groupes palestiniens, notamment le Fatah, le Hamas et le Front populaire de libération de la Palestine.  

Plus de victimes, plus de recrues

À mesure que leur popularité s’accroît, les combattants de Naplouse attirent de plus en plus l’attention des Israéliens. Et chaque fois qu’un combattant est tué ou arrêté, d’autres s’engagent.

C’est le cas de Muhammad Azizi, bouleversé par la mort des trois combattants en février, qui a ainsi décidé non seulement de rejoindre la lutte mais aussi d’accueillir d’autres combattants chez lui.

« La séparation est difficile, mais je suis convaincu que mon frère a été fidèle à la voie qu’il a choisie »

Frère d’un combattant palestinien tué

Il a apporté un soutien financier et logistique en équipant sa maison de caméras de surveillance et de portes blindées et en abritant les combattants chaque fois qu’ils avaient besoin d’un endroit où loger, raconte son père, Bashar Azizi. 

« La nuit de son martyre, Muhammad a vu arriver les forces spéciales israéliennes grâce aux caméras de surveillance, et c’est à ce moment-là que les combattants ont commencé à se mettre en position », explique Bashar Azizi à MEE

« L’idée du martyre était tout ce à quoi il pensait, et il a toujours insisté sur l’unité des combattants malgré les divergences politiques. » 

Affiche représentant Abdul Rahman Sobh (à gauche) et Muhammad Azizi (à droite), tués par l’armée israélienne le 24 juillet 2022, à Naplouse, en Cisjordanie (MEE/Aziza Nofal)
Affiche représentant Abdul Rahman Sobh (à gauche) et Muhammad Azizi (à droite), tués par l’armée israélienne le 24 juillet 2022, à Naplouse, en Cisjordanie (MEE/Aziza Nofal)

Amir Azizi, le petit frère de Muhammad, parle d’un homme calme et avare en paroles. Lorsqu’il parlait, c’était pour évoquer la résistance à l’occupation israélienne. 

« La séparation est difficile, reconnaît Amir. Mais je suis convaincu que mon frère a été fidèle à la voie qu’il a choisie. » 

Cette conviction est partagée par Nisreen al-Oiwai lorsqu’elle parle d’Abdul Rahman Sobh, qui était venu lui rendre visite la veille de sa mort, dans la soirée. 

« Prie pour moi », lui a-t-il dit après avoir pris son dernier repas avec elle, juste avant de quitter la maison. 

« La seule chose que je regrette aujourd’hui, c’est de ne pas l’avoir serré dans mes bras ce jour-là », déplore sa mère, en larmes.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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