Décès de Hosni Moubarak : les Égyptiens saluent « la fin d’un dictateur impitoyable »
Des petites réjouissances ont eu lieu dans la maison d’Ahmed à Suez mardi, lorsque la télévision d’État égyptienne a annoncé la mort du président déchu et autocrate Mohamed Hosni Moubarak.
Il avait des raisons de se réjouir. Ahmed* est l’un des milliers de manifestants blessés par les forces de sécurité alors qu’il défiait la répression de janvier 2011 contre le soulèvement qui a finalement mis fin aux 30 années de règne de Moubarak.
Les forces de sécurité lui ont tiré dessus deux fois devant le commissariat de Suez, des blessures qui l’ont laissé à moitié paralysé et l’ont empêché de poursuivre sa carrière de chef cuisinier.
À Suez, dix-sept personnes ont été tuées pendant la révolution et des dizaines blessées, ce qui a attisé la colère des habitants au point que les policiers ont été contraints de déposer les armes et d’abandonner.
« En tant qu’être humain, je me réjouis que la personne qui était chargée de détruire mes rêves devra répondre à Dieu. Mais en tant que musulman, je n’ai rien à dire hormis “paix son âme” », confie Ahmed à Middle East Eye. À 38 ans, il est désormais caissier dans un supermarché local.
Dans les heures qui ont suivi la mort de Moubarak, ses victimes ont déploré l’indulgence du système judiciaire à son égard, en particulier alors que de nombreux héros de cette même révolution de 2011 croupissent aujourd’hui en prison.
Après avoir été chassé du pouvoir, Moubarak a fait face à de multiples accusations et a été reconnu coupable de conspiration en vue de tuer des manifestants. Cependant, il a été acquitté et libéré en 2017, ce qui a écœuré les révolutionnaires.
« Puisse-t-il connaître le procès qu’il n’a jamais eu de son vivant », espère Ahmed, ému.
Les Égyptiens divisés
La mort de l’ancien officier de l’armée et vétéran de la guerre de 1973 contre Israël divise les Égyptiens.
Certains ont opté pour une commémoration panégyrique de Moubarak, présenté comme une figure paternelle et un héros de guerre.
D’autres ont condamné le dictateur déchu, considéré comme la cause de décennies de corruption, de brutalités policières et de crises politiques, ayant ouvert la voie au régime répressif de l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi.
Au Caire, la présidence égyptienne a décrété un deuil national de trois jours, les médias annonçant que le défunt commandant suprême des forces armées aurait des funérailles militaires.
Rania est née en 1981, l’année où Moubarak a pris ses fonctions après avoir échappé à la mort lors de l’assassinat du président Anouar al-Sadate.
« Puisse-t-il connaître le procès qu’il n’a jamais eu de son vivant »
- Ahmed
« Mis à part la politique et la répression, Moubarak a commis des crimes avec ses politiques et son régime qui ont diffamé la société égyptienne contemporaine », estime cette enseignante.
« Il a anéanti toutes les formes d’oppositions pendant 30 ans, détruit la vie politique et semé les graines d’une dictature militaire, qui nous a finalement conduits au régime de Sissi. »
Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir lors d’un coup d’État militaire en 2013, destituant le successeur de Moubarak, Mohamed Morsi, premier président librement élu de l’histoire égyptienne. Au cours des sept années suivantes, l’armée égyptienne a consolidé son pouvoir et réprimé la dissidence et les voix indépendantes.
L’Égypte compte environ 50 000 prisonniers politiques sous le régime de Sissi, selon des groupes de défense des droits de l’homme.
« Le pire crime [de Moubarak] n’était pas le meurtre de manifestants, mais la mise en scène d’une sphère politique où l’armée est la force la plus puissante », déclare à MEE Michael, un étudiant en sciences politiques d’Assuit.
« Cela a fait de l’armée le seul régulateur de tous les aspects de la société, ce qui a finalement conduit à la répression meurtrière de 2013 jusqu’à aujourd’hui. »
Beaucoup pensent que le traitement spécial accordé à Moubarak, de son vivant et dans la mort, fait partie des tentatives du gouvernement égyptien de contrarier la révolution de 2011, qui a défié les violences policières et la corruption, en plus d’appeler à la justice sociale et à la responsabilité.
« Donner à Moubarak des funérailles militaires revient à déclarer clairement qu’ils adhèrent à son régime et condamnent la révolution », affirme Milad, un chauffeur de taxi de 36 ans.
« Le régime [de Sissi] ne pouvait en aucun cas critiquer Moubarak, mort ou vivant, sinon il se condamnerait lui-même. »
Adil, un fonctionnaire, note également cette continuité : « N’oublions pas que les généraux du régime actuel, du plus bas au plus haut rang, ont servi sous Moubarak. Sissi lui-même était un officier de haut rang des renseignements. »
De nombreux Égyptiens ont dressé des comparaisons entre le traitement de Moubarak et celui de Morsi. Morsi est mort l’année dernière après avoir subi des conditions épouvantables d’incarcération, et a été enterré secrètement avec un service restreint. Il était dépouillé de son titre de président lorsque mentionné dans les médias.
La différence entre les deux décès reflète la façon dont l’État égyptien traite différemment le personnel militaire et les civils, selon Dalia.
« Lorsqu’un militaire meurt, même s’il a été reconnu coupable de corruption, il reçoit des éloges et de grandes funérailles », déclare-t-elle à MEE. « Mais lorsqu’un politicien et professeur d’université civil et innocent meurt de mauvais traitements en prison, son corps est enterré dans l’ombre sans aucun respect. »
Héros de guerre
Le passé militaire de Moubarak – il a été commandant de l’armée de l’air pendant la guerre de 1973 avec Israël – force le respect pour beaucoup d’Égyptiens.
« Cet homme était un héros de guerre qui s’est battu pour que nous puissions être libres. Le moins que l’on puisse faire, c’est de le laisser reposer en paix », estime Saed, ingénieur en informatique.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont invoqué le discours religieux pour rejeter toute condamnation, appelant les Égyptiens à « se souvenir des bonnes actions de [leurs] morts ».
Rania a été battue et brièvement détenue pendant la révolution de 2011, mais elle croit aussi qu’il vaut mieux se souvenir des bonnes actions des morts.
« Il a anéanti toutes les formes d’oppositions pendant 30 ans, détruit la vie politique et semé les graines d’une dictature militaire, qui nous a finalement conduits au régime de Sissi »
- Rania
« Toutefois, a-t-elle ajouté, je ne trouve pas de bonnes actions accomplies par Moubarak et son époque. Mon père a été licencié d’une usine gouvernementale qui a été privatisée, nous conduisant à vivre dans la pauvreté. Ma tante est morte d’une insuffisance rénale en raison de l’eau du robinet. Ma sœur a souffert d’une hépatite C et en est morte. Et j’ai été congédiée parce que mon mari était actif sur le plan politique. »
Samir, un activiste et travailleur social qui a été arrêté sept fois sous Moubarak, dit ne pas pouvoir demander à Dieu la miséricorde pour une personne qui a normalisé la torture et la brutalité policière dans les commissariats et les prisons.
« Même s’il est mort dans son lit parmi sa famille, l’histoire se souviendra de lui comme d’un leader qui ne respectait pas ses compatriotes de leur vivant. Nous n’avons donc pas à le respecter dans sa mort », affirme-t-il.
Samir compare l’ambiance en Égypte aux scènes de joie qui ont eu lieu dans certaines régions du Royaume-Uni en avril 2013 après la mort de l’ancienne Première ministre Margaret Thatcher, dont les politiques clivantes ont transformé l’économie britannique dans les années 1980 et entraîné dévastation et chômage dans de nombreuses communautés traditionnelles de la classe ouvrière.
« Comme Thatcher, Moubarak a été la principale cause des difficultés de la classe ouvrière et des pauvres. Sa mort devrait être un symbole de la fin d’un dictateur impitoyable. »
*Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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