En Turquie, des écoles-conteneurs pour panser les plaies du séisme
L’un souffre de difficultés d’élocution, l’autre d’un trouble de l’attention. Leur petit frère, bébé, est mort dans le séisme qui a dévasté le sud-est de la Turquie, et un an plus tard leur mère Cansu Gol tente de les aider à surmonter le traumatisme.
Pour cette mère de famille de 33 ans, les écoles improvisées dans les conteneurs de Kahramanmaraş, la province de l’épicentre du tremblement de terre du 6 février 2023 qui a tué plus de 53 500 personnes, forment une bouée de sauvetage.
« Ma fille de 7 ans a été sortie vivante des décombres quelques heures après le séisme. Elle souffre de troubles de l’attention », confie-t-elle à l’AFP. « Elle n’a pas pleuré ni crié une seule fois, mais elle garde tout ce stress à l’intérieur ».
Son fils de 4 ans et demi a recommencé à parler quand elle a pu le déposer dans une garderie installée dans l’un des conteneurs qui abritent encore 700 000 sinistrés, rescapés de la pire catastrophe de l’histoire moderne de la Turquie.
« Il n’arrête pas de poser des questions sur son frère. Il dit qu’il s’est envolé comme un oiseau », souffle la mère.
Bouffées de violence
Les enseignants font de leur mieux pour instaurer un sentiment de normalité pour les enfants qui ont tous perdu leur maison, des amis ou des proches, et ne comprennent pas toujours ce qui s’est passé.
Un buste du fondateur de la Turquie post-ottomane, Mustafa Kemal Atatürk, se dresse dans la cour, comme dans n’importe quelle autre école du pays.
Dans chaque classe de vingt élèves, des ballons apportent un peu de couleur au camp composé de centaines de conteneurs en métal blanc identiques, alignés en rangées égales.
Mais à dix minutes à pied, des esplanades vides rappellent que des tours d’appartements se dressaient dans cette ville célèbre en Turquie pour ses crèmes glacées.
« C’est aussi douloureux pour les élèves que pour les enseignants », avoue à l’AFP le directeur de l’école, sous couvert d’anonymat étant donné son statut de fonctionnaire.
« Beaucoup de choses évoquent le séisme : les répliques [plus de 74 200 en un an], le mois de février ou simplement les chutes de neige », abondantes la nuit du désastre, explique-t-il.
Son école accueille 850 enfants issus d’horizons divers, qui vivent désormais dans une ville-conteneur de 10 000 survivants où les tensions entre voisins génèrent parfois des bouffées de violence.
« Injures, gestes offensants, coups de pied : rien n’ira tant que ces familles ne seront pas installées dans des appartements », estime le directeur.
Pour lui, l’État, qui a promis de construire 500 écoles aux normes antisismiques dans les provinces affectées par le séisme, fait tout ce qu’il peut.
Même les enseignants vivent dans des conteneurs, au contact des élèves, souligne-t-il. « Après quelle catastrophe tout serait déjà parfait ? La vie doit continuer », lance-t-il.
Elif Yavu et son mari ont d’abord tenté de reconstruire leur vie dans une autre ville, à Mersin, sur la côte sud, comme plus de trois millions de rescapés qui ont quitté leurs provinces d’origine après le séisme.
Mais comme beaucoup d’autres, le couple a fini par repartir parce que leur fille de 7 ans, qui souffre de problèmes cardiaques, avait du mal à s’adapter.
« Je me suis résignée à rentrer et à vivre dans un conteneur juste pour qu’elle ne soit pas perdue », indique la mère.
Sa fille réussit bien à l’école et Elif envisage de lui acheter une nouvelle paire de chaussures en récompense de son excellent bulletin.
Par Fulya Özerkan.
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