Aller au contenu principal

Ensemble jusqu’à la fin : les dernières heures de deux adolescents palestiniens

C’était un jour normal pour Luay (16 ans) et Amir (15 ans) – jusqu’à ce qu’une frappe aérienne israélienne ne les tue tous les deux, laissant sous le choc leurs familles et leur communauté
Le dernier selfie pris par Luay Kahil, âgé de 16 ans (à gauche), et Amir al-Nimra, âgé de 15 ans, au sommet d’un immeuble en construction, place al-Katiba, le 14 juillet, avant qu’une frappe aérienne israélienne ne les tue tous les deux (réseaux sociaux)

GAZA, Territoires palestiniens occupés – Tout le monde disait que Luay Kahil et Amir al-Nimra étaient plus des frères que de simples amis. Même leurs dates d’anniversaire – le 28 août pour Amir et le 13 septembre pour Luay – étaient proches.

Ces inséparables adolescents, qui passaient la plupart de leur temps ensemble à jouer, à aller chercher à manger, à étudier ou simplement à traîner, partageant leurs rêves et leurs espoirs, furent ensemble jusqu’à la fin, lorsqu’une frappe aérienne israélienne, le 14 juillet, a touché une place populaire de la ville de Gaza.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a salué samedi la série de frappes aériennes – qui visaient les installations du Hamas dans l’une des plus vastes opérations militaires israéliennes à Gaza depuis 2014 – comme « le coup le plus dur assené au Hamas depuis l’opération Bordure protectrice ».

Toutefois, à al-Sabra, le quartier où Amir (15 ans) et Luay (16 ans) vivaient, la mort des adolescents a laissé leurs familles et leurs amis sous le choc.

« Nous avions convenu de nous voir le lendemain. Je ne m’attendais pas à les voir à la morgue. »

Mohammed al-Jamal, un ami de Luay et Amir

Des garçons de Gaza

Ses proches se souviennent d’Amir comme d’un jeune homme très élégant, passant des heures devant le miroir pour parfaire sa coiffure. Il rêvait que son père, propriétaire d’une auto-école, lui achète un jour une voiture automatique.

Deuxième de sept enfants, Amir partageait sa chambre avec son frère Walid, qui avait seulement un an et demi de plus. Dans la maison de la famille Nimra, Amir et Walid partageaient leurs vêtements et un lit, se parlaient tous les soirs avant de s’endormir.

Amir avait espéré devenir un athlète et rejoindre un gymnase, mais une affection cardiaque l’en a empêché. Néanmoins, il aimait le sport, en particulier le football – une passion qu’il avait en commun avec Luay.

« Petit par son âge, mais grand par la pensée » : tels étaient les mots utilisés par les proches, les amis et les enseignants de Luay pour le décrire. Il était considéré comme en avance sur son âge.

Issu d’une fratrie de six enfants – quatre garçons et deux filles – Luay a pris son rôle de frère aîné au sérieux, surtout depuis la séparation de ses parents.

La grand-mère de Luay et ses trois plus jeunes frères (MEE/Shaaban al-Soussi)

L’ami de Luay, Abdullah Abu al-Asr, se souvient que chaque fois que Luay se rendait chez son père sans ses frères et sœurs, il demandait à Abdullah de les surveiller et de s’assurer qu’ils ne traînaient pas dans la rue.

Pendant les vacances d’été, Luay passait son temps à s’entraîner dans le gymnase de son oncle Mohammed Kahil, ou à mémoriser le Coran à la mosquée locale – mais son rêve était de terminer ses études à l’étranger.

« C’était un enfant intelligent, très heureux et fiable », se souvient affectueusement l’oncle de Luay. « Il aimait prendre des photos et n’aimait pas être traité comme un enfant. »

Un jour ordinaire

En ce samedi fatidique, la vie a suivi son cours comme d’habitude pour les deux garçons.

Comme tous les jours pendant les vacances, Amir est allé travailler avec son père à l’école de conduite à 7 h 30, ne rentrant que vers 16 h 30, raconte sa mère, Maysoun.

Ayant sauté le déjeuner plus tôt dans la journée pour que quelqu’un puisse surveiller l’école pendant que son père allait manger avec ses frères, Amir a dit à sa mère qu’il sortait chercher de la nourriture avec des amis, quittant la maison rapidement après.

« Je ne l’ai pas vu avant son départ », précise Maysoun. « J’aurais souhaité le voir. »

Luay, quant à lui, avait prévu d’être au club de sport de Gaza avec son oncle, mais le gymnase était fermé pour la journée. Sa mère, Maha, ne l’a pas vu non plus avant de quitter la maison pour rejoindre Amir.

Amir a demandé à son ami Khaled al-Dahshan de se joindre à eux, mais Khaled a refusé, inquiet des frappes aériennes israéliennes qui avaient frappé la bande de Gaza plus tôt dans la journée.

Quelques jours plus tard, Khaled était encore trop choqué pour prononcer plus que quelques mots concernant le dernier échange qu’il avait eu avec son ami et le refus qui lui avait sauvé la vie.

La mère d’Amir Nimra, Maysoun, tient Khaled al-Dahshan, encore sous le choc après qu’une frappe aérienne a tué son ami (MEE/Shaaban al-Soussi)

Luay et Amir se sont dirigés vers la place al-Katiba, où ils ont retrouvé leur ami Mohammed al-Jamal.

Située au centre de la ville de Gaza, la place est dominée par un grand bâtiment en construction adjacent à une mosquée. Malgré la structure grise inachevée qui domine le paysage de la place, al-Katiba est un endroit bien connu où les familles et les enfants se rassemblent et se détendent.

Les garçons ont mangé des falafels, se souvient Mohammed, et ont joué avec un ballon de football pendant un moment. Amir est monté sur un chameau et a demandé à Mohammed de prendre des photos de lui alors qu’il était assis sur l’animal, avant que Mohammed ne parte.

« Nous avions convenu de nous voir le lendemain » a déclaré Mohammed. Je ne m’attendais pas à les voir à la morgue. »

« Je ne m’attendais pas à les voir à la morgue », a déclaré leur ami, Mohammed al-Jamal (MEE/Shaaban al-Soussi)

Après le départ de Mohammed, Amir et Luay ont décidé de monter au sommet du bâtiment inachevé d’al-Katiba pour prendre des selfies avec leur ville en toile de fond.  

Ils ne savaient pas qu’à chaque marche gravie, ils scellaient leur destin. 

Selon des témoins, des avions de chasse israéliens F-16 ont tiré au moins quatre missiles sur le bâtiment de la place al-Katiba.

Luay et Amir étaient les seules personnes dans l’édifice. Comme au moins douze autres personnes sur la place, ils ont été blessés par des éclats d’obus tandis qu’une section du bâtiment s’est effondrée sur elle-même dans un panache de poussière et de fumée.

Luay, à gauche, et Amir (MEE/capture d’écran)

« Avant même que j’apprenne la nouvelle de la mort d’Amir, j’étais très nerveuse », explique Maysoun. « J’ai vu la fumée s’élever du bombardement – mais je ne savais pas que la fumée qui s’élevait était l’esprit de mon fils. »

Quelques minutes après la frappe aérienne, un ami de la famille est arrivé à la maison des Nimra en tenant son téléphone, l’écran affichant une photo de l’une des victimes de la frappe.

Maysoun a immédiatement reconnu la chemise verte d’Amir. Hébétée, elle s’est précipitée à pied vers l’hôpital al-Shifa, ouvrant les portes de chaque chambre une par une à la recherche de son fils.

Au moment où elle a atteint l’unité de soins intensifs, un médecin lui a annoncé qu’Amir était mort. Lorsque Maha, la mère de Luay, a appris la nouvelle de la mort d’Amir, elle s’est précipitée à l’hôpital dans un taxi.

« Nous annonçons les noms des martyrs », a indiqué le journaliste à la radio.

Mais Maha ne pouvait pas supporter l’idée qu’elle pourrait apprendre la mort de son fils de cette façon.

« S’il vous plaît », a-t-elle demandé au chauffeur de taxi, « s’il vous plaît, éteignez la radio. »

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].