Guerre à Gaza : les quadricoptères israéliens, cette arme de haute technologie qui menace les civils palestiniens
Depuis des décennies, les Palestiniens sont habitués à ce que la mort vienne du ciel. L’arsenal aérien d’Israël comprend des avions de guerre, tels que le F16, des hélicoptères d’attaque Apache et des drones de combat.
L’utilisation de ces appareils dans l’environnement urbain de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza a eu des effets considérables.
La guerre en cours à Gaza a toutefois vu apparaître une innovation, qui permet de cibler des individus et des groupes de personnes à distance rapprochée.
Cette technologie remplace de plus en plus les soldats sur le terrain et permet d’identifier des cibles, de les viser – y compris à leur domicile – et de sécuriser les zones où sont stationnées les troupes israéliennes
Pour la première fois dans les territoires palestiniens, des quadricoptères télécommandés (engins volants à quatre hélices) ont été déployés à grande échelle contre des présumés combattants palestiniens et des civils.
Cette technologie remplace de plus en plus les soldats sur le terrain et permet d’identifier des cibles, de les viser – y compris à leur domicile – et de sécuriser les zones où sont stationnées les troupes israéliennes.
Les quadricoptères peuvent également être utilisés pour faire de la reconnaissance sur des positions avancées et disperser des foules dans des lieux publics.
Les Palestiniens de Gaza sont désormais plus que familiers avec cette arme et les ravages qu’elle peut causer.
Dans les mois qui ont suivi le début du conflit, le 7 octobre, des quadricoptères ont été utilisés pour attaquer des centaines de civils dans des lieux très fréquentés, tuant et blessant des dizaines de personnes à la fois.
Drone explosif hautement manœuvrable
L’une des attaques les plus marquantes impliquant l’utilisation de quadricoptères est survenue lors du massacre du 11 janvier à Gaza, dans la rue al-Rasheed, le long de la côte.
Middle East Eye s’est entretenu avec plusieurs témoins, qui ont affirmé que des quadricoptères avaient ouvert le feu sur des centaines de personnes qui s’étaient rassemblées à cet endroit pour attendre l’arrivée de camions d’aide humanitaire.
« Nous avons entendu dire que des camions chargés de nourriture et d’aide allaient passer par la rue al-Rasheed », raconte Qassem Ahmed, 42 ans, un habitant du nord de Gaza.
« Comme cela fait environ trois mois que nous sommes sans aide ni nourriture, nous courons après les camions d’aide pour essayer d’obtenir autant de nourriture que possible », explique-t-il dans un échange avec MEE.
« J’ai quitté la maison avec mon fils de 18 ans vers 8 h du matin. Nous nous sommes rendus rue al-Rasheed à pied parce qu’il n’y avait pas de voitures et que les routes sont trop endommagées pour les charrettes tirées par des animaux. »
Ahmed et son fils sont arrivés dans le quartier où l’aide était attendue vers 9 h du matin. Il y avait déjà une foule de plusieurs centaines de personnes.
Environ une heure plus tard, et avant que les camions n’arrivent, Ahmed et les autres Palestiniens présents dans le quartier ont été pris d’assaut par l’armée israélienne.
« Nous avons été pris par surprise par les tirs nourris qui venaient du ciel, il y avait des quadricoptères qui tiraient directement sur la foule », poursuit-il.
« Nous nous sommes mis à courir dans tous les sens. En quelques secondes, des dizaines de personnes sont tombées et nous ne pouvions pas nous arrêter pour les aider ou les relever parce que les tirs continuaient. »
D’après des témoins oculaires, plus de 40 personnes sont mortes sur le coup et des dizaines d’autres ont été blessées dans l’incident.
On ignore encore les modèles exacts des quadricoptères utilisés lors de l’attaque de la rue al-Rasheed, mais on sait que l’armée israélienne utilise plusieurs variantes de ces appareils.
Mis à part la bande de Gaza, Israël aurait eu recours à des quadricoptères au Liban et en Iran pour cibler des sites qui seraient normalement hors de portée de son armée
L’un d’entre eux, appelé Lanius, est produit par le fabricant d’armes israélien Elbit Systems.
Sur son site internet, Elbit décrit les fonctionnalités de son appareil : « Lanius est un drone explosif hautement manœuvrable et polyvalent conçu pour des opérations à courte portée en milieu urbain. »
« Le système peut, de manière autonome, repérer et cartographier les bâtiments et les points d’intérêt pour y déceler d’éventuelles menaces. »
« Lanius peut transporter des charges utiles mortelles ou non mortelles, capables d’exécuter un large éventail de types de missions pour les forces spéciales, l’armée, les forces de l’ordre et les sites d’atterrissage d’hélicoptères [HLS]. »
Certains quadricoptères sont connus pour leur fonctionnalité « suicide », qui leur permet de s’approcher d’une cible à assassiner et de déclencher des explosifs embarqués.
Cette fonctionnalité aurait été utilisée par Israël pour tuer le chef du Jihad islamique palestinien Bahaa Abou al-Ata dans la ville de Gaza en novembre 2019.
Mis à part la bande de Gaza, Israël aurait eu recours à des quadricoptères au Liban et en Iran pour cibler des sites qui seraient normalement hors de portée de son armée.
Civils ciblés
La discrétion et la signature radar des quadricoptères leur permettent de contourner les dispositifs antiaériens qui surveillent normalement les avions de guerre et les drones de plus grande taille.
Télécommandés, les quadricoptères nécessitent un opérateur posté à proximité (dans un rayon de 50 km). En général, la personne qui contrôle la machine est un soldat à bord d’un véhicule blindé ou un tireur d’élite caché dans un bâtiment à proximité.
À Gaza, les quadricoptères auraient principalement servi à menacer les Palestiniens, qui seraient des civils dans la plupart des cas.
Les personnes interrogées par MEE affirment avoir vu les engins viser des civils qui tentaient d’évacuer les zones bombardées par l’armée israélienne.
Ibrahim al-Madhoud habitait le quartier de Cheikh Radwan à Gaza, mais il est aujourd’hui déplacé et vit dans le centre de la bande de Gaza.
Alors qu’il évacuait sa maison le 16 octobre, il raconte qu’un quadricoptère israélien a pris pour cible le taxi à bord duquel il fuyait.
« J’ai quitté ma maison avec ma femme et mes enfants et j’ai pris un taxi en direction du centre de Gaza », explique-t-il. « Sur notre route, dans la rue 10, un quadricoptère a tiré une quinzaine de balles sur l’avant de la voiture et l’a perforée à plusieurs reprises. »
Malheureusement, pour Ibrahim al-Madhoud, il ne s’agit pas de son unique expérience avec ces machines.
Après s’être installé avec sa famille dans une tente dans le quartier d’al-Zawaida à Gaza, ce père de cinq enfants, âgé de 45 ans, affirme qu’un quadricoptère israélien les a de nouveau attaqués.
Le 3 janvier, il a remarqué un quadricoptère qui planait au-dessus de la tente de sa famille pendant environ une demi-heure.
« Il s’est éloigné, est revenu et a soudainement tiré deux balles sur notre tente alors que nous étions dedans avec ma femme et mes enfants », ajoute-t-il. « Heureusement, les tirs ne nous ont pas touchés mais ont fait deux trous dans la tente. »
Akram al-Othmani, un chauffeur de bus qui vit également dans le quartier d’al-Zawaida, a indiqué qu’un quadricoptère l’avait également attaqué alors qu’il se rendait dans le quartier.
« J’ai levé les yeux et j’ai vu un quadricoptère à une centaine de mètres de moi. Ce n’était pas une balle ordinaire. Elle a fait un trou dans le sol »
- Akram al-Othmani, chauffeur de bus
L’homme de 35 ans était sur le point de quitter sa maison dans le nord de la bande de Gaza après que l’armée israélienne a largué des tracts avertissant la population d’évacuer les lieux.
« Il y avait une flaque d’eau au sol et j’étais sur le point de sauter par-dessus lorsqu’une balle a été tirée juste au-dessus de ma tête », raconte-t-il, décrivant l’incident à MEE.
« Une femme âgée qui se trouvait devant moi a crié ‘’Qu’est-ce qui se passe, mon fils’’ et je lui ai répondu que je ne savais pas. J’ai levé les yeux et j’ai vu un quadricoptère à une centaine de mètres de moi. Ce n’était pas une balle ordinaire. Elle a fait un trou dans le sol. J’aurais été tué sur le coup. »
MEE a contacté l’armée israélienne pour qu’elle commente les allégations de ciblage de civils à l’aide de quadricoptères.
Le correspondant de MEE, Mohammed al-Hajjar, a également été témoin de tirs de quadricoptères sur des cibles civiles.
Il a décrit les balles tirées par ces drones en les comparant à des clous, ajoutant qu’elles n’étaient pas tout à fait précises mais qu’elles étaient néanmoins « très puissantes et dangereuses ».
Chats et chiens abattus
« Pendant les 22 jours de siège sur notre quartier, des quadricoptères ont plané au-dessus du bâtiment le plus haut du quartier. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait et même à travers les fenêtres aux rideaux tirés », raconte-t-il.
« Les chats et les chiens qui passaient dans la rue ont été abattus par des quadricoptères et les fenêtres de notre maison, qui avaient les rideaux fermées, ont reçu plus de 200 balles », ajoute-t-il.
« Les forces israéliennes craignent que [les combattants de la résistance] ne se cachent derrière les rideaux et tentent donc de sécuriser la zone en tirant dessus. »
Mohammed al-Hajjar décrit les rues de Gaza comme étant jonchées de corps de Palestiniens tués par des quadricoptères.
Dans certains cas, les corps restent sur place pendant des jours, car quiconque tente de les récupérer risque d’être lui-même abattu.
« J’ai vu quatre personnes se faire tuer par des quadricoptères et l’une d’entre elles est restée au sol pendant cinq ou six jours », témoigne Mohammed al-Hajjar. « Les quadricoptères planent partout et il est dangereux pour nous de sortir de chez nous. »
Ces machines sont si omniprésentes que les Palestiniens ont même pu calculer la capacité en munitions d’un quadricoptère ordinaire.
« Un quadricoptère est généralement chargé d’environ 64 cartouches et ces 64 cartouches peuvent être tirées [rapidement] dès qu’il y a une cible », précise Mohammed al-Hajjar.
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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