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À Bagdad, deux sit-in, des appels au changement mais aucune illusion

Les partisans d’une influente coalition de factions chiites pro-Iran ont entamé vendredi un sit-in à Bagdad où leurs adversaires du Courant sadriste campent déjà depuis près de deux semaines, durcissant un peu plus le bras de fer qui déchire l’Irak
Le 12 aout, des partisans du religieux chiite Moqtada al-Sadr protestent à Nasiriyah contre la nomination d’un faction chiite rivale pour le poste de Premier ministre (AFP/Asad Niazi)
Le 12 aout, des partisans du religieux chiite Moqtada al-Sadr protestent à Nasiriyah contre la nomination d’une faction chiite rivale pour le poste de Premier ministre (AFP/Asad Niazi)

Par AFP à BAGDAD, Irak

Certains campent près du Parlement, d’autres sur une avenue de Bagdad. Mais dans sa boutique de vêtements, Moustapha n’a que faire de l’issue de cet énième bras de fer politique : ce qui l’inquiète, c’est son gagne-pain.

Des deux côtés, « ils défendent leurs intérêts personnels », soupire le quadragénaire quand on l’interroge sur la lutte qui oppose l’incontournable leader chiite Moqtada al-Sadr à ses adversaires du Cadre de coordination, puissante coalition de factions chiites pro-Iran.

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Le premier veut des législatives anticipées. Il a envoyé ses partisans envahir l’ultra-sécurisée Zone verte où ils campent depuis deux semaines dans les jardins du Parlement. 

Ses rivaux du Cadre de coordination ont répliqué vendredi en campant sur une avenue menant à la Zone verte avec un objectif affiché : un nouveau gouvernement qui, cette fois-ci, sera au service du peuple, disent-ils.

Dans la pénombre de sa boutique où un unique ventilateur brasse l’air chaud d’un été caniculaire, Moustapha sait surtout que les clients ne viennent pas.

« On ne travaille pas », déplore l’homme, son fils de huit ans à ses côtés, les yeux rivés sur un portable. « Les uns et les autres ont lancé des manifestations et l’activité économique en a pris un coup ».

Participerait-il à des législatives anticipées ? « J’ai voté deux fois dans ma vie, à chaque fois j’ai regretté. »

Un monde à part

Et pourtant, les slogans brandis par les deux camps ne peuvent que séduire dans un des pays les plus riches en pétrole du monde mais où 35 % des jeunes sont au chômage, selon l’ONU

Un pays où les infrastructures déliquescentes signifient de longues heures de délestage électrique pour les 42 millions d’Irakiens. Où sécheresse et bouleversement climatique ont déjà changé le quotidien, entre pénuries d’eau et tempêtes de sable.

Les sadristes conspuent la corruption, disent vouloir changer le système. Le Cadre de coordination veut un gouvernement qui ramènera l’eau et l’électricité pour tous. 

Les partisans du Cadre de coordination brandissent une pancarte représentant, de gauche à droite, le grand ayatollah Ali al-Sistani, l’ancien commandant irakien al-Muhandis, et le défunt clerc chiite irakien Mohammed Baqer al-Sadr, lors d’un rassemblement à l’extérieur de la la Zone verte à Bagdad, le 12 août 2022 (Ahmad Al-rubaye / AFP)
Les partisans du Cadre de coordination brandissent une pancarte représentant, de gauche à droite, le grand ayatollah Ali al-Sistani, l’ancien commandant irakien al-Muhandis, et le défunt clerc chiite irakien Mohammed Baqer al-Sadr, lors d’un rassemblement à l’extérieur de la la Zone verte à Bagdad, le 12 août 2022 (Ahmad Al-rubaye / AFP)

Mais Moustafa n’y croit pas : « Depuis 2003 [date de l’invasion américaine qui a renversé le régime de Saddam Hussein], on n’a pas vu un seul politicien gouverner le pays correctement », martèle-t-il.

Il y aussi la surprenante facilité avec laquelle les partisans de Moqtada al-Sadr ont envahi la Zone verte. Malgré quelques tirs de grenades lacrymogènes, ils ont pris le Parlement au nez et à la barbe des officiers présents alentour. 

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Rien à voir avec la « révolution » des jeunes antipouvoir de l’automne 2019, quand, face à des dizaines de milliers de manifestants à Bagdad et dans le Sud, la répression s’abattait, faisant près de 600 morts et de 30 000 blessés.

« Nous, on n’a même pas réussi à franchir le pont qui mène à la Zone verte », ironise le militant communiste Ali Jaber, 50 ans. « Eux, il ne leur aura fallu que huit minutes », ajoute ce fonctionnaire, y voyant la preuve de la « complaisance » des forces de l’ordre.

Pour lui, les sadristes et leurs rivaux, comme tous les partis traditionnels, ont « construit de véritables empires » en s’emparant « des postes publics et de l’argent de l’État ».

« Ils ne se battent pas pour construire un État, c’est un conflit politique par excellence : uniquement mené pour leurs intérêts », assène-t-il. « Ils sont dans un monde à part ».

Combat interne à l’élite

La crise a débuté quand le Courant sadriste a refusé le candidat du Cadre de coordination au poste de Premier ministre, dans un pays qui dix mois après les législatives n’a toujours pas remplacé son chef de gouvernement ni son président.

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L’alliance pro-Iran englobe les anciens paramilitaires du Hachd al-Chaabi, intégrés aux forces régulières, et surtout l’ex-Premier ministre Nouri al-Maliki, ennemi historique de Moqtada al-Sadr.

« Les manifestations sont moins une révolution populaire qu’un combat interne à l’élite, opposant principalement Moqtada al-Sadr et ses soutiens à al-Maliki et les siens », écrit la politologue Lahib Higel pour l’International Crisis Group (ICG).

Et si l’arène est désormais la rue, c’est que « les élites ne semblent plus en mesure » de se réunir « pour se partager le gâteau » comme avant, affirme-t-elle.

Ahmed, 23 ans, qui jongle entre ses études de droit et la boutique de téléphonie mobile de son frère, dit être du côté de Moqtada al-Sadr.

Mais, avoue-t-il, « je ne suis pas trop la politique, ça vous met sur les nerfs ». 

Car le quotidien est déjà assez difficile : « Aujourd’hui sans électricité on doit dormir avec des blocs de glace. Au Parlement, l’électricité ne coupe pas », s’amuse-t-il.

Par Laure Al Khoury.

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