Irak : les fast food américains ont transformé la scène culinaire vingt ans après l’invasion
En 2003, les États-Unis ont envahi l’Irak dans le but de renverser Saddam Hussein. Vingt ans plus tard, l’ambassadrice américaine dans le pays, Alina Romanowski, a assisté à l’ouverture du dernier restaurant Burger King en date, à Erbil.
Dans le cadre de la « diplomatie du burger », elle a coupé le ruban rouge de la troisième succursale de la marque dans la ville, la douzième et plus grande du pays.
L’invasion américaine a causé la mort d’au moins 300 000 Irakiens, changé le pays et le reste du monde. Que l’on pense ou non que l’Irak se trouve dans un meilleur état depuis, la puissance militaire et la diplomatie américaines y ont dernièrement été freinées par une présence régionale plus musclée de ses adversaires, notamment la Russie et la Chine.
Néanmoins, il semble que les chaînes de restauration rapide et les « valeurs américaines », telles que l’excès et la commodité, laissent leur empreinte sur le marché irakien.
La restauration rapide est au centre des relations internationales et de la mondialisation depuis des décennies. En 1986, avant la chute de Saddam Hussein, le magazine The Economist avait lancé son indice Big Mac pour surveiller le pouvoir d’achat des devises étrangères.
Une décennie plus tard, le journaliste du New York Time Thomas Friedman publiait sa « Golden Arches Theory », en référence aux arches dorées de McDonald’s, dans laquelle il avançait que deux pays dotés chacun d’un restaurant de cette enseigne n’avaient jamais mené de guerre l’un contre l’autre.
Plusieurs contre-exemples sont venus contester cette idée, mais il n’y avait alors toujours pas de McDo en Irak.
En raison des sanctions économiques et d’un programme de 1996 ironiquement dénommé « pétrole contre nourriture », qui a en réalité affamé les Irakiens, aucune marque américaine de restauration rapide n’opérait dans le pays avant l’invasion.
Évolution du paysage gastronomique
Aujourd’hui, l’Irak a enfin sa propre mixture de chaînes de malbouffe américaines. Alors que beaucoup a été dit sur les bombardements, l’occupation et les projets américains bâclés en Irak, beaucoup moins d’attention a été accordée aux hamburgers et aux rondelles d’oignon ainsi qu’aux effets à long terme de la restauration rapide américaine sur le paysage gastronomique du pays.
L’essor actuel des fast-foods s’est fait attendre ; mais alors que les chaînes de marque sont nouvelles, la demande locale semble toujours avoir été là.
Plusieurs imitateurs, tels que les restaurants MaDonal’s et Matbax dans la ville de Souleimaniye, dans le nord du Kurdistan, ont vu le jour dans les années 1990 apparemment sans grande considération pour les questions de propriété intellectuelle.
Suleiman Qassab, le propriétaire de MaDonal’s, a travaillé comme cuisinier dans un vrai McDo à Vienne, en Autriche, où il était réfugié, avant de retourner dans son pays natal après la création de la région autonome kurde.
Lorsqu’il est revenu en Irak, dit-il, McDonald’s a refusé sa demande de franchise, alors il a ouvert son propre restaurant à la place, un hommage à l’original.
Instituteur à la fin des années 2000 en Irak, je me souviens qu’au déjeuner, certains de mes élèves exhibaient fièrement des sacs en papier tachés de ketchup contenant des hamburgers de la veille que leurs parents leur avaient achetés dans des fast-foods à Dubaï ou Istanbul alors qu’ils étaient en transit.
Ces voyages étaient beaucoup plus fluides que dans d’autres parties de la région : les Palestiniens de Gaza devaient faire passer leur dose de restauration-pas-si-rapide par des tunnels de contrebande depuis l’Égypte.
Après l’invasion de l’Irak, les bases militaires américaines mises en place lors de l’occupation qui s’est ensuivie ont été équipées de plusieurs chaînes de fast-food, qui ont en quelque sorte servi d’incubateur de goût pour les Irakiens qui y travaillaient.
La base américaine de Balad, dans le nord de Bagdad, disposait d’une offre capable de rivaliser avec n’importe quelle aire de restauration d’Amérique centrale, avec ses Burger King, Pizza Hut, Cinnabon, Subway et autres Popeyes.
Certaines chaînes ont réussi à sortir des murs de ces bases et à s’installer au plus près des Irakiens.
Les ouvertures de restaurants ont commencé à célébrer les changements sur le terrain. Après la libération de Mossoul des mains de l’État islamique en juillet 2017, le restaurant McMosul a ouvert ses portes scintillantes aux habitants de la ville, marquant le début d’un nouveau chapitre.
Plus populaire que la restauration rapide locale
Les Irakiens attendent toujours que les véritables arches dorées arrivent en ville. L’application locale de livraison de repas Lezzoo a même osé un poisson d’avril au début du mois en annonçant la possibilité de commander un « McDolands ».
Néanmoins, les habitants ont de nombreuses autres options, notamment Hardees, Papa Johns et Church’s Chicken, nommé Texas Chicken au Moyen-Orient.
Lorsque des succursales ouvrent, elles le font en fanfare, et parfois même en présence d’une représentation officielle des États-Unis. Par exemple, en 2022, l’ambassadeur américain de l’époque, Matthew Tueller, a honoré de sa présence l’ouverture d’un Cold Stone Creamery à Bagdad.
Ce phénomène est particulièrement évident dans la région kurde d’Irak. Quand on sort de l’aéroport international d’Erbil, la capitale de la région autonome, un pétillant Burger King à deux étages nous invite à son aire de jeux et son étang de carpes koï. Un Kentucky Fried Chicken (KFC) et son drive ne sont qu’à quelques encablures.
Yadgar Mirani, co-fondateur et PDG de Lezzoo, est fasciné par la rapidité avec laquelle la restauration rapide à l’américaine a conquis le marché irakien.
« Lorsque les chaînes de hamburgers et de poulets frits ont débarqué en Irak, je n’aurais jamais pensé qu’elles pourraient devenir les premières catégories [parmi] les plats locaux comme le shawarma, le riz, les ragoûts et la viande grillée », confie-t-il à Middle East Eye.
Les hamburgers et le poulet frit sont les options les plus populaires à travers le pays, selon lui, et « demeurent prédominantes tout au long de notre service de livraison ».
C’est peut-être le « Kentucky » que les Irakiens préfèrent, le terme est d’ailleurs entré dans le langage courant pour désigner n’importe quel plat de poulet frit et s’applique tant à la recette originale qu’à ses innombrables imitations.
« Tout le monde ici aime le Kentucky », s’enthousiasme Amir Mekhael, représentant de KFC en Irak par le biais du groupe Americana, une entreprise alimentaire koweïtienne dont le siège est à Sharjah. « Tout le monde vient à la source du poulet d’origine. »
Les chaînes de restauration rapide américaines procèdent néanmoins à une localisation des produits en vue de s’adapter aux goûts locaux.
Le bol Rizo, l’un des plats les plus populaires chez KFC Irak, contient du poulet croustillant et désossé que l’on trempe dans une sauce sucrée et épicée sur un lit de riz jaune safran.
Bien qu’il ne soit pas aussi audacieux que le « Chee-Zee Marmite Stuffed Crust » de Pizza Hut en Nouvelle-Zélande ou le « Chocodilla » de Taco Bell, qui remplace le fromage par du chocolat Baby Ruth, le bol Rizo aide KFC à devenir un incontournable en Irak.
Les services de drive, une caractéristique populaire des chaînes de restauration rapide aux États-Unis, sont aussi désormais présents en Irak, offrant un portail vers un style de vie américain obsédé par la rapidité et l’efficacité.
C’est peut-être ce qui a attiré un soir Netchirvan Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan, au guichet du drive du KFC. Ces services au volant offrent l’anonymat et se fondent dans des villes irakiennes de moins en moins conviviales pour les piétons.
« C’est très populaire, ils adorent le service de drive », assure Amir Mekhael.
« Tout le monde veut un Whopper »
Les franchises offrent également des emplois de début de carrière à des milliers de personnes à travers le pays. « Tout le monde veut un Whopper ! », me lance Zein, qui travaille dans un restaurant Burger King, après la ruée folle des clients venus rompre leur jeûne durant le Ramadan.
Il y travaille depuis un an et a rencontré des clients venus du monde entier. Il se dit reconnaissant pour cet emploi qui lui a beaucoup appris, de la direction d’une équipe aux relations interpersonnelles, en plus d’acquérir de « l’expérience dans la fabrication de hamburgers ».
Aux États-Unis, des livres et des documentaires populaires comme Fast Food Nation et Supersize Me ont entre-temps contribué à favoriser une prise de conscience sociétale du mode de production et des impacts sur la santé de la restauration rapide.
Selon une étude de la faculté de médecine de l’Université de New York, la proximité d’un fast-food augmente le risque de surpoids ou d’obésité.
Mais de telles considérations semblent absentes en Irak. « Je vois des gens manger ici tous les jours », témoigne Zein à la fin de sa journée de travail.
Si le coût à long terme de ces commodités recherchées en Irak n’a pas encore été évalué, la restauration rapide est le signe annonciateur d’une prise en compte plus large du capitalisme de consommation. Depuis l’invasion, les marques américaines sont arrivées, et elles ont transformé le pays.
Traduit de l’anglais (original).
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