Sept ans après une décision de justice, une grand-mère palestinienne toujours empêchée d’accéder à sa terre
« Je veux retourner sur ma terre avant de mourir ! ». Ce cri de désespoir, Mariam Hassan Hammad, 80 ans, l’a lancé à un groupe de soldats israéliens, armés de pied en cap, qui empêchaient des propriétaires palestiniens d’accéder à leurs terres dans la région de Thahr al-Mazare, au nord-est de Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Les propriétaires palestiniens, dont Mariam, devaient enfin pénétrer sur leurs terres ce samedi, 30 ans après leur confiscation pour construire la colonie illégale d’Ofra.
« Aujourd’hui, je retourne sur ma terre après de nombreuses années de privation. Je me sens vivante »
- Mariam Hassan Hammad
La colonie a été étendue en 1996 avec l’avant-poste notoirement célèbre d’Amona, lequel a été évacué après une décision de justice israélienne en 2014.
Samedi après-midi, les propriétaires se dirigeaient vers leurs champs, apportant avec eux la décision de la cour suprême israélienne leur rendant leur terre en 2020, trois ans après l’évacuation de la colonie d’Amona. Les Palestiniens ont remporté cette longue bataille juridique après avoir réussi à prouver que l’avant-poste avait été construit sur leurs propriétés privées.
Mariam était anxieuse lors du trajet vers sa ville natale de Silwad, en chemin pour voir les 25 dounams (2,5 hectares) de terre dont elle a hérité de son père.
Portant l’une de ses plus belles thobes brodées et un foulard blanc immaculé, elle égrenait son chapelet de prière pour tenter de calmer sa nervosité.
À côté d’elle, il y avait une boîte de bonbons et une Thermos de café qu’elle avait amenées pour la journée.
« J’ai l’impression que c’est une fête. Aujourd’hui, je retourne sur ma terre après de nombreuses années de privation. Je me sens vivante », a confié Mariam, qui a 10 enfants et 25 petits enfants, à Middle East Eye.
« Nous ne désespérerons pas »
La région de Thahr al-Mazare se situe entre les villages palestiniens de Silwad, Ein Yabroud et Taybeh. Malgré sa proximité, les infrastructures de la colonie et de l’armée israélienne l’ont coupée de son environnement géographique naturel et ont rendu l’accès à la zone difficile.
Toutes les routes qui y mènent ont été fermées, alors Mariam et deux de ses petits-enfants, ainsi que les autres propriétaires du terrain, ont dû faire la route à pied après avoir garé leurs voitures.
Excitée comme une enfant, Mariam avançait rapidement à l’aide de sa canne, aidée par son petit-fils.
En approchant de leurs terres, une mauvaise surprise les attendait. Un groupe de soldats israéliens empêchait les propriétaires d’atteindre leur terrain.
Lorsque les familles ont présenté aux soldats les documents prouvant la décision de justice et leur ont demandé de pouvoir accéder à leurs terres, ils n’ont rencontré que du sarcasme et ces derniers leur ont ordonné de faire demi-tour.
« L’armée nous a bloqués sous prétexte de fête juive, un argument illogique », a rapporté à MEE le maire de Silwad, Osama Hamed, qui accompagnait les habitants.
Il pense qu’il ne s’agit là que de la première des nombreuses tentatives de l’armée pour continuer à les empêcher d’atteindre leurs terres.
« Nous ne désespérerons pas et ne cesserons pas d’essayer », a-t-il ajouté, assurant que s’il le fallait, les familles « retourneraient devant les tribunaux israéliens une fois de plus » pour arracher leur droit à revenir sur leurs terres.
Selon Hamed, la zone s’étend sur 300 dounams (30 hectares), appartenant entièrement à des Palestiniens. Après la décision de justice de 2014, les groupes de colons ont cherché à acheter les terres aux Palestiniens qui la possédaient – en particulier ceux qui vivent en Jordanie – et ont réussi à acheter 20 à 25 dounams au total.
Souvenirs d’enfance
Dans la voiture, après avoir été refoulée, Mariam a expliqué la signification que revêtait cette terre pour elle.
« J’ai grandi sur cette terre – année après année. Tous mes souvenirs d’enfance sont sur cette terre que mon père a achetée. »
Sa mère lui a donné naissance à Thahr al-Mazare pendant la saison de la récolte du blé.
« Cette terre était notre seule source de revenus. Nous mangions ses récoltes toute l’année »
- Mariam Hassan Hammad
« Cette terre était en ruines – nous avons planté, nous l’avons rénovée, nous l’avons réparée », a expliqué Mariam. Sa famille cultivait la terre, semant du blé, de l’orge, des lentilles une année et la suivante des tomates, des haricots verts et des lubya (un type de haricots).
« Cette terre était notre seule source de revenus. Nous mangions ses récoltes toute l’année. »
Mariam se souvient en détail de son dernier jour dans les champs.
« On moissonnait le blé lorsqu’un groupe de soldats israéliens est arrivé et nous a demandé de partir. J’ai senti que nous ne pourrions pas revenir alors je me suis précipitée dans le champ et j’ai ramassé une gerbe de blé à laquelle je me suis accrochée jusqu’à aujourd’hui. »
Mariam conserve encore un jeu de vieux outils agricoles qui appartenaient à sa famille.
Sa famille a tenté de retourner sur ses terres à plusieurs occasions, mais lorsque deux Palestiniennes – l’une de Silwad et l’autre de Ein Yabroud – ont été tuées par l’armée israélienne alors qu’elles tentaient d’accéder à leur terre, les habitants ont pris peur et ont cessé leurs tentatives.
« Pour la première fois, je me suis rapprochée de ma terre », a conclu Mariam, décrivant les événements de ce jour comme une victoire malgré le refoulement.
« Je vais continuer à essayer de récupérer ma terre et d’y retourner avec mes enfants et petits-enfants, qu’importe ce que cela demandera. Cette terre nous est chère, nous ne la céderons pas et n’abandonnerons pas. »
Middle East Eye a sollicité une réaction de l’armée israélienne mais n’avait pas obtenu de réponse au moment de la publication de cet article.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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