Le co-président du parti pro-kurde turc fait l’objet de poursuites pénales
DIYARBAKIR, Turquie – Des poursuites judiciaires ont été lancées mercredi contre le vice-président du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, afin que soit levée son immunité parlementaire pour avoir transgressé « les frontières de la liberté d’expression ».
Une plainte a été déposée contre Demirtas par Suleyman Soylu, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP), le parti au pouvoir, suite aux accusations portées à son encontre par Demirtas, selon lequel Soylu serait le chef d’une « bande de 3 500 fraudeurs » impliqués dans le redécoupage des circonscriptions électorales dans diverses provinces du pays lors des dernières élections générales.
Lors d’une session parlementaire mercredi, la totalité des 80 députés du HDP ont demandé, dans un acte de solidarité, à avoir leur propre immunité levée.
Ils ont été suivis de près par les élus du parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), qui ont eux aussi demandé la fin de leur immunité parlementaire.
« Nous nous adressons à l’ensemble du parlement : levons l’immunité de la totalité des 550 élus », a déclaré le député HDP Pervin Buldan lors d’une conférence de presse. « Faisons en sorte que chacun réponde de ses actes. Je m’adresse à l’AKP et au MHP [le Parti d’action nationaliste] : osez mettre fin à votre immunité. »
« Vous n’avez pas rendu de comptes pour vos politiques qui poussent la Turquie sur la voie de la confrontation. Pour les armes que vous avez envoyées à l’État islamique. Pour l’argent public que vous avez détourné, disant que ce n’était que des « clopinettes ». Pour la campagne électorale que vous avez menée au nom du président. Pour tout cela, nous attendons que vous rendiez des comptes. »
Le vice-président du HDP à Diyarbakir, Omer Onen, a affirmé à Middle East Eye que la perte de leur immunité parlementaire ne faisait pas peur aux députés de son parti, qui, selon lui, ont connu bien pire.
« Nous, les Kurdes, rien ne nous effraie, a-t-il soutenu. Nous subissons les arrestations, les assassinats, et nous disons que, de ce point de vue, il n’y a aucune différence entre les élus et le peuple. Donc nous affirmons que nous voulons la levée de notre immunité. »
« Nos parlementaires ont déjà été arrêtés par le passé », a ajouté Onen, qui a lui-même passé trois ans en prison pour des activités qu’il aurait menées en lien avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
« Cinq de nos députés ont été élus alors qu’ils étaient en prison. Cela ne changera pas. »
La menace d’une levée de l’immunité des députés du HDP intervient dans un contexte de tensions exacerbées au sud-est de la Turquie et alors que de nombreuses voix ont accusé le HDP d’avoir encouragé la violence de par sa rhétorique belliqueuse.
« Nous nous défendrons »
Los d’un déplacement en Chine ce mardi, le président turc Recep Tayyip Erdogan a prévenu que le HDP « paierait le prix » de ses liens avec le PKK.
« Ceux qui abusent de la tolérance et de la patience du peuple et de l’État recevront la réponse qu’il mérite, et ce dès que possible », a-t-il déclaré aux journalistes en référence au HDP. « Il est hors de question de faire marche arrière. C’est un processus et ce processus continuera avec la même détermination. »
Cependant, d’autres voix au sein de l’AKP ont exprimé leur inquiétude face à la perspective d’une tentative d’affaiblissement du HDP.
Mehmet Galip Ensarioglu, un ancien député AKP de Diyarbakir, a indiqué qu’il était non seulement opposé à la levée de l’immunité parlementaire, mais que celle-ci était impraticable à l’heure actuelle.
« Techniquement, c’est aujourd’hui impossible car les commissions parlementaires n’ont pas été créées et ne le seront pas avant octobre ; donc ça ne marchera pas », a-t-il expliqué à MEE. « En outre, l’atmosphère politique aura changé d’ici là. »
Ensarioglu a toutefois laissé entendre que la population avait véritablement eu peur d’une « montée de la violence dans la région » si le HDP n’avait pas réussi à dépasser le seuil électoral de 10 % requis pour entrer au parlement lors des dernières élections.
Selon lui, cela a entraîné une baisse du soutien pour l’AKP à Diyarbakir.
« Cela dit, il y a toujours un grand nombre de personnes qui ne voteront pas pour un parti qui soutient le PKK », a-t-il affirmé. « De nombreux Kurdes ne sont pas convaincus par l’approche marxiste-léniniste du PKK et par leurs liens avec la violence.
« Le PKK a annulé le cessez-le-feu et a repris la violence mais, cette fois-ci, il n’a pas fourni assez de justifications pour satisfaire sa base. À cause de cela, le soutien pour l’AKP a augmenté », a-t-il soutenu.
Le sud-est de la Turquie a connu un regain de violence antiétatique ces derniers jours. Mardi, des militants suspectés d’appartenir au PKK ont tiré au lance-roquettes sur un commissariat de police du district de Dicle, dans la province de Diyarbakir. Aucune victime n’est à déplorer.
L’assassinat de deux policiers près de Diyarbakir la semaine dernière a provoqué une campagne de répression sévère à l’encontre du PKK et d’autres groupes militants en Turquie, conduisant à ce que d’aucuns voient comme un regain de tension entre les Kurdes et l’État turc.
Omer Onen a déclaré à MEE que bien qu’il fût opposé à la violence armée, les provocations de l’État ne sauraient rester sans réponse.
« En tant que parti, nous avons le droit de prendre les mesures nécessaires pour nous défendre et protéger notre peuple », a-t-il annoncé.
« Nous adoptons certaines mesures en matière de sécurité, pas seulement au sein de l’organisation mais dans toutes les branches connectées au parti », a-t-il précisé. « Ces mesures sécuritaires ne sont pas uniquement prises contre les forces de sécurité étatiques, mais contre tous nos ennemis. »
« Nous défendre ne signifie pas que nous allons recourir aux armes – nous défendre, cela signifie que nous allons nous organiser, que nous allons organiser notre peuple et assurer notre défense. »
Traduction de l’anglais (original).
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