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Les enfants sourds de Gaza veulent être entendus

Les enfants palestiniens dans l’enclave côtière assiégée sont privés du traitement nécessaire pour s’intégrer dans la société
À l’association caritative Palestine bien-aimée, à Gaza, des enfants sourds prennent part à des activités ludiques qui leur redonnent le moral et confiance en eux (MEE/Ezz Zanoun)

GAZA – Sans prononcer un seul mot, Lana Mohammed agite ses mains avec enthousiasme pour faire comprendre à sa mère Ameira tout qu’elle a à lui dire. Elle s’amuse dans une des pièces du siège d’une association caritative de Gaza.

Comme toutes les mères qui regardent grandir leurs enfants, Ameira attend impatiemment d’entendre sa fille l’appeler « maman », mais ce n’est pas pour tout de suite.

Lana, 3 ans aujourd’hui, n’avait que 9 mois quand sa mère a commencé à soupçonner des problèmes d’audition. Sa fille a été emmenée d’urgence dans un hôpital proche de chez elle, à Khan Younès, une ville au sud de la bande de Gaza.

Les médecins ont confirmé les pires craintes d’Ameira : Lana est née avec un affaiblissement génétique de l’audition, appelé perte non-syndromique de l’audition, et elle n’entend quasiment rien.

Cette maladie pèse lourdement sur la famille, mais on a donné à Ameira une faible lueur d’espoir : une opération pourrait lui permettre d’entendre. Mais il y a un mais. Cette procédure chirurgicale impliquerait d’insérer un implant cochléaire dans l’oreille de Lana. Mais il est indispensable de faire l’opération avant les 5 ans de Lana, explique Ameira.

Plus tard en effet, les os de l’oreille interne se soudent et deviennent plus résistants, rendant la chirurgie plus difficile et réduisant les chances de succès.

Ce n’est pas le seul défi que la famille doit relever. La sœur aînée de Lana, Lama, souffre, elle aussi, du même problème d’audition.

Il y a six ans, quand Lama avait 10 ans, un hôpital égyptien a effectué l’opération chirurgicale consistant à insérer à l’intérieur de son oreille l’implant cochléaire mais, malheureusement, il y a eu des complications.

Pendant l’opération, d’autres nerfs de l’oreille moyenne ont été touchés, provoquant d’abord une hémiplégie faciale et plus tard une paralysie. Deux mois après l’opération, Lama ne pouvait plus marcher.

« Malheureusement, notre chemin de croix ne faisait que commencer », raconte Ameira.

Hors de sa portée

Ameira veut que sa fille aînée soit diagnostiquée par les docteurs égyptiens qui l’ont opérée, parce qu’elle est convaincue qu’ils ont commis une faute professionnelle. Elle regrette d’avoir à reconnaître que pour l’instant, cette option est hors de sa portée car les « portes sont verrouillées » entre Gaza et l’Égypte – allusion à la frontière de Rafah.

« Ce que nous avons enduré avec ma fille aînée m’a vraiment découragée de recommencer avec Lana, mais ce n’est pas le seul problème : nous n’avons pas assez d’argent [pour payer l’opération] ».

Le prix de cette intervention dépasse largement les moyens de Mohamed el-Assar, le père des fillettes, ouvrier du bâtiment, qui gagne moins de 300 dollars (254 euros) par mois. L’opération coûte entre 25 000 et 30 000 dollars (entre 21 000 et 25 000 euros), auxquels il faut ajouter 10 000 dollars (8 500 euros) de frais de voyage et rééducation.

Depuis 2007, après l’élection du Hamas qui dirige le territoire, la bande de Gaza est soumise par Israël à un blocus militaire. Le poste-frontière de Rafah se trouve à environ 50 kilomètres à l’est de la principale ville égyptienne au nord du Sinaï, El-Arish, et c’est le seul point d’entrée terrestre de la bande de Gaza que les autorités israéliennes ne contrôlent pas directement.

Depuis que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est au pouvoir, la frontière de Rafah est restée presque tout le temps fermée. Les habitants de la bande de Gaza se débattent pour survivre malgré la paralysie de l’économie et une reconstruction au point mort, suite aux 50 jours d’assaut israélien en 2014, troisième attaque contre la bande de Gaza depuis 2008, aussi la plus ravageuse.

Le manque d’équipements médicaux et de chirurgiens qualifiés pousse les gens à se faire soigner ailleurs qu’à Gaza.

Zakaria Zakout, oto-rhino-laryngologiste qui traite des cas similaires dans sa clinique privée à Gaza, explique que de nombreux enfants ont dépassé l’étroite fenêtre d’opportunité où bénéficier d’un implant cochléaire.

« En Palestine, beaucoup d’enfants sourds ont manqué l’occasion de récupérer leur ouïe parce qu’ils n’ont pas pu faire le déplacement ou par manque d’argent », déplore Zakout. « C’est pourquoi nous opérons désormais en priorité les jeunes enfants car l’implantation cochléaire a plus de chance de réussir sur eux ».

En attente de traitement

Quelques associations caritatives à Gaza offrent de couvrir une partie du coût, mais la plupart des familles dans du territoire assiégé ne peuvent pas s’offrir les frais restant à leur charge.

Maha Mhana, directrice exécutive de l’association Palestine bien-aimée, explique à MEE que l’organisation a contacté à Gaza environ 50 familles ayant besoin d’une aide financière.

Elle leur a proposé de prendre en charge le coût total de l’opération et que la famille paie le reste des frais – déplacements et rééducation – équivalant à environ 10 000 dollars (8 500 euros).

« Malheureusement, la plupart de ces familles ne pouvaient pas se procurer cette somme », regrette-t-elle.

La mère de Lana et Lama se désole que ses deux filles n’aient pas la possibilité d’aller recevoir le traitement approprié en Arabie saoudite, où est basée l’association.

« J’implore tous les gens qui ont encore une conscience de sauver mes petites filles et les sortir de leurs inextricables problèmes de santé », conclut la mère d’une voix entrecoupée de larmes.

Pour faire vivre sa famille, Mohamed travaille dans le bâtiment seize heures par jour, mais ce n’est pas encore suffisant pour couvrir leurs besoins de base.

Mohamed voudrait offrir à ses enfants une vie meilleure, mais il estime que le gouvernement et la société n’en font pas assez pour ses deux filles qui se sentent toujours isolées et manquent de confiance en elles.

Gaza : une jeune fille reçoit l’aide de « Palestine bien-aimée » (MEE/Ezz Zanoun)

Les deux filles ne communiquent pas avec les autres enfants et ne vont pas à l’école ou à la maternelle, car elles passent le plus clair de leur temps en déplacements entre hôpital et domicile.

À Gaza, il n’existe qu’une seule école pour enfants malentendants. L’école Mostafa Sadic Rafie, qui fait de son mieux dans un contexte très difficile, est déjà surchargée par les 350 étudiants et de nombreuses familles, surtout celles issues de régions reculées, qui n’ont pas les moyens de faire la navette pour fréquenter cette école, implantée dans la ville de Gaza.

Comme leurs parents n’ont pas de gros moyens, Lama et Lana n’ont même pas pu apprendre la langue des signes. Leur famille estime que cette opération est leur seul espoir de recevoir une bonne éducation et de s’intégrer aux autres enfants.

Abdullah Abu Saad, 4 ans, risque aussi de perdre l’ouïe s’il ne reçoit pas à temps ce traitement médical.

Marwan, le père d’Abdullah, sait que les chances de son fils de bénéficier du traitement s’amenuisent rapidement, et qu’il est condamné à rester le témoin impuissant de ce qui va fatalement arriver.

« Il n’entend pas, il ne parle pas comme les autres enfants. J’espère l’entendre bientôt prononcer des mots devant moi et devenir autonome en grandissant. Je ne peux m’empêcher de penser à lui tout le temps », confie-t-il.

Il y a cinq ans, Marwan a été obligé de fermer son magasin de vêtements parce qu’il croulait sous les dettes. Depuis, il est sans emploi, ce qui l’empêche de trouver l’argent nécessaire à l’opération de son enfant.

Selon Marwan, si les enfants sourds de Gaza sont marginalisés au sein de la communauté, c’est parce que le gouvernement ne s’occupe pas d’eux.

Efforts locaux 

Safaa Abu Hamed travaille dans une institution à but non lucratif pour sourds à Gaza, appelée Atta – « donner » en arabe. C’est l’un de trois centres à offrir soutien et aide aux enfants malentendants. Environ 1 % des 1,6 million d’habitants à Gaza souffrent de surdité totale ou presque totale.

Atta s’efforce d’aider familles et enfants à s’intégrer dans la société, malgré le manque de ressources et de services de base dans l’enclave assiégée.

« Nous faisons vraiment tout notre possible pour leur enseigner la langue des signes et les encourager à communiquer par le langage du corps et les expressions du visage, pour faire tomber la barrière de la communication entre eux et les autres enfants entendants », affirme Abu Hamed à MEE.

Des enfants sourds prennent part aux activités d’une classe à Palestine bien-aimée, association caritative de Gaza (MEE/Ezz Zanoun)
           

« Nos activités, à travers une participation régulière, les aident à acquérir connaissances et confiance en eux », note Abu Hamed.

Atta offre aussi son aide aux enfants qui ont déjà bénéficié d’une implantation cochléaire, pour les soutenir et les rééduquer quand ils retrouvent leur capacité d’entendre.

« On donne aux enfants un nombre suffisant de séances d’orthophonie, de kinésithérapie et d’activités ludiques pour les aider à réciter l’alphabet correctement », ajoute Abu Hamed.

Elle ajoute que les maisons d’enfants et les écoles reçoivent des visites régulières pour s’assurer qu’elles offrent un environnement favorable qui contribue à la thérapie globale qui leur est offerte

Les chanceux

Manar Msader, 8 ans, a eu la chance de recevoir un implant cochléaire et a rejoint les autres enfants de son âge dans une classe normale.

Msader réussit très bien en classe et excelle lors des examens. Elle est l’une des rares enfants qui ont eu la chance d’avoir une famille suffisamment aisée pour payer une partie considérable de la chirurgie et des frais de voyage en Jordanie, où elle a été opérée – le reste étant pris en charge par Atta.

C’est une petite fille timide mais il est clair que Msader aime beaucoup son enseignant, au centre.

« J’aime cet endroit et mon école. Quand je serai grande, je serai avocate », espère Msader.

Abu Hamed souligne avec fierté que Msader est un exemple éloquent aux yeux des autres enfants du centre. Elle est maintenant en CE2 et se rend trois fois par semaine au centre après l’école pour prendre des cours supplémentaires qui l’aident à faire des progrès dans ses études.

Parmi les défis que doit relever le centre : le manque de ressources et d’équipements médicaux, qui entrave le développement des petits enfants.

Un garçon apprend la langue des signes à l’association Palestine bien-aimée à Gaza (MEE/Ezz Zanoun)

« Nous sollicitions les organisations humanitaires internationales pour soutenir financièrement le travail des ONG locales qui répondent aux besoins de cette partie vulnérable de la société », souligne Yousef Mohammed, l’un des directeurs d’Atta.

Mohammed explique combien il est important que la société accepte et entoure ces enfants et ajoute que davantage d’ateliers devraient être créés pour sensibiliser les familles, les aider à s’occuper de ces enfants et avoir un impact positif sur leur développement.

« C’est vraiment un privilège de contribuer à aider ces enfants à bien grandir au sein de leur communauté », conclut-il.

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.  

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