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Le garçon à la fenêtre : l’adolescent de Sheikh Jarrah assigné à résidence indéfiniment

Depuis sept mois, Ali Qanibi, un jeune Palestinien de 14 ans assigné à résidence par Israël, reste assis à sa fenêtre, observant les autres vivre leur vie alors que lui ne le peut pas
Ali Qanibi, assis à la fenêtre de sa maison de Sheikh Jarrah, où il est assigné depuis l’année dernière (MEE/Aseel al-Jundi)
Par Aseel Jundi à JÉRUSALEM-EST OCCUPÉE

Ali Qanibi est accro à deux choses : son smartphone et observer les autres par la fenêtre. Cet adolescent palestinien de 14 ans ne peut pas faire grand-chose d’autre. 

Dans sa maison située à l’ouest du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, Ali s’assied devant une fenêtre du rez-de-chaussée, dotée de barreaux de fer, regardant l’allée qui longe la maison.

Un slogan recouvre le mur extérieur : « Non à la colonisation de Sheikh Jarrah. »

En juin dernier, Israël a tenté d’expulser des familles palestiniennes de Sheikh Jarrah pour faire place à des colons israéliens, ce qui a engendré des manifestations à travers la Cisjordanie occupée et au-delà. Peu après, Ali a été arrêté dans le quartier, accusé d’avoir lancé des cocktails Molotov. 

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Quatre jours plus tard, il a été libéré, à condition de rester assigné à résidence pendant une semaine. 

Le mois suivant, la police israélienne a de nouveau arrêté Ali, l’accusant d’avoir incendié la voiture d’un colon qui s’était emparé d’une maison voisine à Sheikh Jarrah il y a quelques années. C’est une accusation que nient farouchement Ali et sa famille. 

Ali a été relâché une fois de plus, mais de nouveau assigné à résidence, cette fois pour une durée indéterminée. Et si l’adolescent est maintenant autorisé à aller – accompagné de l’un de ses parents – au collège, il doit rentrer chez lui immédiatement.  

L’avocat d’Ali, Muhammed Mahmoud, rapporte à MEE que la prochaine audience se tiendra début mars et que l’adolescent palestinien sera probablement accusé d’avoir incendié la voiture et condamné à 50-60 heures de travaux d’intérêt général.

« Je rêve de vivre une vie normale »

Lors d’une récente visite de Middle East Eye à Ali et ses parents, la famille a confié que sa vie était bouleversée depuis l’été dernier. 

Pour Ali, il y a clairement un avant et un après : sa vie avant l’assignation à résidence et sa vie aujourd’hui. Il a beaucoup de mal à supporter d’être confiné chez lui, dans l’impossibilité d’aller jouer avec ses amis dans le quartier. 

L’adolescent palestinien considère la fenêtre à côté de laquelle il est assis jour et nuit comme une « bouée de sauvetage » parce que c’est le seul moyen pour lui de voir le soleil, de respirer de l’air frais et de parler à des amis et des voisins, qui viennent lui tenir compagnie. 

« Je suis assigné à résidence depuis sept mois maintenant », déclare Ali. « Les trois premiers mois ont été les plus difficiles. Maintenant, je me suis habitué à l’isolement et au calme, et la poursuite de mes études m’indiffère. »

Lorsqu’on lui demande s’il préférerait être en prison, le garçon est catégorique : « Bien sûr. Au moins en prison, vous savez que les portes sont verrouillées et que vous ne pouvez pas les ouvrir. À la maison, la porte est ouverte mais je ne peux pas la franchir, et c’est ça le pire. »

Rateb, le père d’Ali, à sa fenêtre (MEE/Asleel Jundi)
Rateb, le père d’Ali, à sa fenêtre (MEE/Asleel Jundi)

Bien que les autorités israéliennes l’aient autorisé à retourner en cours – dans un cadre strict –, Ali a des troubles de l’attention. La seule chose à laquelle il pense quand il y est, c’est qu’il rentrera bientôt dans sa prison.

Ce n’est pas la seule chose qui hante Ali. Les souvenirs de la violence physique et mentale dont il a été victime lors de son arrestation ne sont jamais loin. Il craint perpétuellement de revivre cette expérience.

« Je rêve de vivre une vie normale comme tous les autres enfants du monde », souhaite Ali. « Je veux jouer dans mon quartier comme avant mon arrestation. »

Un quartier qui ne connaît pas la paix

Même avant son assignation à résidence, l’enfance d’Ali était déjà teintée par la menace – constante et commune à toutes les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah – d’être expulsé de force de chez lui.

Le père d’Ali, Rateb, indique à MEE que les restrictions auxquelles sont soumis les habitants du quartier se sont considérablement accrues depuis le soulèvement populaire qui a éclaté à Jérusalem en mai dernier, pendant le Ramadan.

Les habitants du quartier ne connaissent plus la paix, constamment perturbés et assaillis par le bruit des perquisitions et des arrestations nocturnes.

« Au moins en prison, vous savez que les portes sont verrouillées et que vous ne pouvez pas les ouvrir. À la maison, la porte est ouverte mais je ne peux pas la franchir »

- Ali Qanibi, jeune Palestinien assigné à résidence

« Il y a trois ans, un autre colon radical est venu vivre dans l’avant-poste [colonie illégale y compris au regard du droit israélien] près de chez nous », raconte Rateb.

« Depuis qu’il est arrivé, nous avons subi d’importants préjudices. Il a prétendu qu’Ali avait incendié sa voiture, alors même qu’il agresse tout le temps les habitants, les asperge de gaz et les filme pour tenter de les provoquer. Mais les plaintes des habitants auprès de la police tombent dans l’oreille d’un sourd. »

Rateb pense que l’assignation à résidence est une forme de punition collective pour toute la famille parce qu’elle affecte les détails les plus infimes de leur vie quotidienne à tous.

Ni lui ni sa femme ne peuvent avoir une vie sociale digne de ce nom ensemble ou avec leurs autres enfants parce que l’un d’eux doit constamment rester à la maison avec Ali. De fait, cela signifie qu’au moins un parent doit rester assigné à résidence à tout moment. 

L’impact de l’assignation à résidence

Le psychologue social Mahmoud Abdul Nabi explique à MEE que la situation d’Ali a de graves conséquences sur son comportement et sa santé mentale. À ce stade crucial de son développement, on lui rappelle constamment qu’il n’est pas libre et qu’il est sous surveillance. 

L’assignation à résidence donne au foyer familial un aspect très négatif, transformant en prison un endroit censé être associé à la sécurité. 

Selon le psychologue, même les détails banals de l’assignation à résidence quotidienne ont des conséquences négatives sur l’humeur et l’état émotionnel de l’enfant, et entraînent une autocensure accrue. 

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Cela peut également conduire à des coups de colère, à un comportement agressif, à des sautes d’humeur et même à la rébellion. Les conclusions d’une étude de 2018 sur le sujet « ont souligné les dangers de l’assignation à résidence pour le développement au stade critique qu’est l’adolescence », tout en reconnaissant le potentiel d’une « période de changements positifs ».

Pour les parents, il peut se produire un changement de rôle. Le proche aidant devient geôlier. Ils commencent à surveiller leurs enfants jour et nuit, ce qui peut entraîner des tensions dans la relation entre les parents et l’enfant. 

Les enfants sont souvent incapables de comprendre pleinement la situation, et les parents sont incapables de l’expliquer et d’absorber leur colère. Tout cela conduit inévitablement à une sorte de vide et à un chaos émotionnel qui n’est que trop familier à Ali. 

Droits fondamentaux

« Je suis fatiguée de voir mon enfant emprisonné et incapable d’exercer ses droits les plus fondamentaux, son droit de jouer, de se déplacer librement », confie Oum Hamza, la maman d’Ali.

Elle dit en avoir assez de le voir assis à la fenêtre, regardant avec nostalgie les autres enfants jouer au football.

Oum Hamza estime que sa maison est devenue une prison pour elle et son enfant, alors que le service des poursuites judiciaires insiste pour reporter sans cesse la date du procès d’Ali, sans limite dans le temps à son assignation à résidence.

Ali et ses parents chez eux (MEE/Aseel Jundi)
Ali et ses parents chez eux (MEE/Aseel Jundi)

Oum Hamza raconte les difficultés quotidiennes auxquelles sa famille est confrontée. Si Ali tombe malade, sa mère doit d’abord appeler son avocat pour obtenir la permission de la police israélienne d’emmener son fils se faire soigner.

Elle doit ensuite apporter un certificat médical à l’avocat pour prouver qu’Ali est effectivement sorti pour traitement médical.

Cette mère ne doit pas seulement gérer le quotidien d’Ali. Ses filles, qui doivent toutes deux aller à l’école à pied, doivent être accompagnées de leur mère tous les jours de peur d’être attaquées par les colons armés qui patrouillent dans le quartier.

« Depuis que je suis assigné à résidence, les saisons passent », commente Ali. « Et moi je suis là, à la maison, à m’étioler. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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