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Alors que la démission de Hamdok laisse le Soudan entre les mains de l’armée, des sanctions pourraient suivre

Détracteurs et partisans savourent le départ du Premier ministre, alors que la pression internationale contre les dirigeants militaires soudanais devrait s’intensifier
Des manifestants contre le régime militaire montent sur le toit d’un véhicule militaire pour célébrer leur arrivée au palais présidentiel, le 19 décembre à Khartoum (Reuters)
Des manifestants contre le régime militaire montent sur le toit d’un véhicule militaire pour célébrer leur arrivée au palais présidentiel, le 19 décembre à Khartoum (Reuters)
Par Mohammed Amin à KHARTOUM, Soudan

La démission d’Abdallah Hamdok était annoncée depuis des jours.

Le Premier ministre, qui a été arrêté et démis de ses fonctions par l’armée à l’issue d’un coup d’État en octobre, avant de signer un accord avec les putschistes quelques semaines plus tard, s’était vu supplier par les puissances nationales, régionales et internationales de rester à son poste afin de maintenir la période de transition et la transformation démocratique du Soudan sur les rails.

Néanmoins, la réintégration de Hamdok n’a guère semblé modifier la trajectoire empruntée par l’armée. Les protestations contre le coup d’État militaire se sont poursuivies, tout comme la répression meurtrière.

Finalement, dimanche soir, le Premier ministre a démissionné, après deux ans de mandat. La nouvelle a provoqué la liesse des manifestants pro-démocratie, tandis que les comités de résistance à l’origine de la révolution de 2019 qui a porté Hamdok au pouvoir ont promis de poursuivre la lutte contre la prise de pouvoir militaire.

D’autres craignent en revanche que le Soudan ne soit désormais entièrement entre les mains de l’armée.

Joie et fureur

Dans son discours de démission, Hamdok a reconnu l’échec de la transition démocratique entamée après la chute de l’autocrate Omar el-Béchir. Il a attribué la rupture du partenariat à des facteurs militaires, mais aussi civils au sein du système transitoire de partage du pouvoir.

« [La transition] n’a pas pu se poursuivre dans la même harmonie qu’à ses débuts », a déclaré Hamdok dans une allocution télévisée. 

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Il a par ailleurs averti que le pays pourrait sombrer dans le chaos. « J’ai tenté de mon mieux d’empêcher le pays de glisser vers la catastrophe, alors qu’aujourd’hui il traverse un tournant dangereux qui menace sa survie », a-t-il affirmé.

« J’ai dit à notre armée, notamment à l’armée nationale, aux [paramilitaires des] Forces de soutien rapide, à la police et aux services de renseignement, que la nation est l’autorité souveraine suprême et que l’armée lui appartient, qu’elle travaille sous le commandement de la nation pour assurer son existence, son unité et son intégrité territoriale. »

Les réactions suite à cette démission ont été pour le moins mitigées. Certains qui le considéraient désormais comme le visage civil du coup d’État et comme un collaborateur des dirigeants militaires Abdel-Fattah al-Burhan et Mohammed « Hemetti » Dagalo ont savouré son départ ; d’autres y ont vu une perte pour les espoirs de démocratie du Soudan.

Selon Ali Nasser, membre d’un des comités de résistance, sa démission ne change rien sur le terrain.

« Nous n’avons rien à voir avec cette démission, car Hamdok a déjà légitimé le coup d’État par son accord passé avec l’armée le 21 novembre. Nous sommes donc opposés à l’ensemble du régime issu du coup d’État et nous continuerons d’y résister », affirme-t-il.

« Je vois que nos efforts pour vaincre le coup d’État portent leurs fruits ; cela commence avec Hamdok et nous arriverons bientôt au bout de ce chemin en évinçant Burhan et Hemetti. »

Hamdok était considéré par certains Soudanais comme une source d’espoir pour la démocratie. Pour d’autres, il était devenu le visage civil d’un coup d’État militaire (AFP)
Hamdok était considéré par certains Soudanais comme une source d’espoir pour la démocratie. Pour d’autres, il était devenu le visage civil d’un coup d’État militaire (AFP)

En fin de compte, ni les responsables politiques civils dirigés par Hamdok, ni l’armée n’ont su représenter correctement le peuple soudanais, ce qui explique l’échec de leur accord, selon Samahir el-Mubarak, membre de haut rang de l’Association des professionnels soudanais (APS), un groupe révolutionnaire.

« La révolution soudanaise touche aux concepts de la révolution, il n’est pas question d’une personne en tant que telle, d’un sauveur ou d’un symbole. En revanche, il est question des valeurs de liberté, de paix et de justice, ainsi que de l’ensemble de la transition démocratique », indique-t-elle à Middle East Eye.

« Cet accord a définitivement légitimé le coup d’État militaire. Mettre un visage civil devant le coup d’État militaire ne change rien au fait que c’est un coup d’État militaire. »

    Une prise de pouvoir militaire

    Dans le cadre de la transition post-Béchir élaborée en août 2019, un « Conseil de souveraineté » militaire et civil a pris les commandes aux côtés d’un gouvernement dirigé par Hamdok. Ensemble, ils devaient préparer le Soudan à des élections libres en novembre 2022.

    Burhan a promis que les futures élections étaient toujours à l’ordre du jour. Cependant, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), un groupe révolutionnaire civil qui a pris la tête des manifestations anti-Béchir et faisait partie de la coalition gouvernementale qui a suivi, affirment que le pays se dirige vers un régime militaire total. Le groupe a réclamé le départ de Burhan et Hamdok.

    Ibrahim al-Amin, membre de haut rang des FLC, soutient que le Soudan se trouve à la croisée des chemins et estime que le destin du pays est davantage entre les mains de l’armée que des civils.

    « La révolution soudanaise touche aux concepts de la révolution, il n’est pas question d’une personne en tant que telle, d’un sauveur ou d’un symbole »

    – Samahir el-Mubarak, membre de l’Association des professionnels soudanais

    « Cette démission est due aux intérêts de l’armée et à une prise de pouvoir cupide, mais nous ne pouvons pas dire que les civils n’ont pas commis d’erreurs eux aussi. Je pense que l’armée doit prendre cette démission au sérieux, elle est le signe de l’échec du partenariat et de la déclaration constitutionnelle », ajoute-t-il.

    « Cependant, cela ne signifie pas que cette démission doit être considérée par l’armée comme une occasion de s’emparer du pouvoir. »

    Amjed Farid, ancien chef d’état-major adjoint de Hamdok, estime que cette démission a fait monter la pression sur l’armée, au même titre que la mort de 56 personnes sous la répression depuis octobre.

    « Le régime militaire est en train de s’effondrer. Mais nous devons bloquer toutes les voies menant à tout compromis avec l’armée sous n’importe quel prétexte », soutient-il.

    Les Soudanais manifestent par milliers depuis l’arrestation de Hamdok et d’autres responsables en octobre et sont toujours la cible d’une répression violente. Pourtant, la pression internationale n’est pas aussi intense que le souhaiteraient les détracteurs soudanais de l’armée.

    Le représentant de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, a déclaré dans un communiqué qu’il regrettait la décision de Hamdok et s’est dit « profondément préoccupé par le nombre de civils tués et blessés dans le contexte des manifestations actuelles ».

    Des sanctions internationales

    Le spectre d'une pression internationale plus intense se fait de plus en plus mençant.

    D’après Cameron Hudson, ancien diplomate américain et spécialiste du Soudan, le coup d’État opéré par l’armée et l’échec de son pacte conclu en novembre avec Hamdok ouvrent la voie à la dictature ainsi qu’à de probables sanctions internationales.

    « Le départ de Hamdok a porté l’estocade à la transition. Le premier coup a été le coup d’État militaire. On ne peut désormais plus prétendre qu’il s’agit d’autre chose que d’une dictature militaire », indique-t-il.

    « Rien ne s’oppose à des sanctions occidentales contre l’armée à la suite du coup d’État et du massacre de plus d’une cinquantaine de manifestants non armés », précise-t-il.

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    « Par respect, je pense, pour Hamdok et l’accord politique qu’il a conclu avec l’armée le 21 novembre, Washington s’est abstenu de prendre des mesures punitives afin de laisser cet accord politique se concrétiser. Maintenant qu’il a échoué, l’Occident peut utiliser de nouveaux outils politiques pour faire pression sur l’armée. »

    Au niveau national, la déclaration constitutionnelle régissant le Soudan depuis Béchir est désormais totalement inadaptée, selon un expert juridique international.

    « Étant donné que l’armée a exclu l’autre partenaire [civil] du système de partage du pouvoir et que le Premier ministre a lui-même démissionné, il devient impossible d’empêcher l’effondrement de la déclaration constitutionnelle », explique l’expert sous couvert d’anonymat, ce dernier n’étant pas autorisé à parler aux médias.

    « L’armée peut également appeler au dialogue afin d’obtenir une sorte de consensus qui puisse l’aider à former un autre gouvernement avec des civils, pour contribuer à alléger les sanctions internationales. Cependant, le cadre juridique sera également important après l’effondrement de la déclaration constitutionnelle. »

    Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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