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Pourquoi la Turquie est devenue un haut lieu du tourisme esthétique mondial

Connue pour ses plages immaculées et ses merveilles architecturales, la Turquie attire également les touristes en quête de traitements de chirurgie esthétique
Les patients sont attirés par la Turquie pour des soins de chirurgie esthétique tels que les greffes de cheveux en raison des prix bon marché et de la rapidité des interventions (illustration de MEE)
Les patients sont attirés par la Turquie pour des soins de chirurgie esthétique tels que les greffes de cheveux en raison des prix bon marché et de la rapidité des interventions (illustration de MEE)
Par Nadda Osman à ISTANBUL, Turquie

La vue d’hommes au cuir chevelu rougi et enflé et de personnes au nez bandé n’est guère une curiosité dans les rues d’Istanbul.

Pour des dizaines de milliers d’hommes à travers le monde, « aller en Turquie » est devenu synonyme de traitement de la calvitie.

Les vols depuis la ville turque vers l’Europe occidentale ou les États-Unis sont souvent remplis de personnes bandées qui cherchent à éviter le contact visuel avec les autres voyageurs.

L’injection d’acide hyaluronique, les traitements au botox et les rhinoplasties sont également des interventions populaires pour les touristes désireux de changer leur apparence.

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Des prix abordables, une entrée sans visa et des vols courts depuis une grande partie de l’Asie occidentale, de l’Afrique du Nord et de l’Europe ajoutent à l’attrait de la Turquie en tant que destination de tourisme médical et esthétique.

Cependant, certains experts observent la tendance avec inquiétude, dénonçant des tactiques de marketing contraires à l’éthique, des résultats qui ne correspondent pas toujours aux promesses et un manque de protection juridique.

Malgré cela, la Turquie est l’une des dix premières destinations mondiales en ce qui concerne le tourisme médical. La ville d’Istanbul compte à elle seule 600 cliniques enregistrées selon Patients Beyond Borders (PBB), une organisation spécialisée dans le tourisme médical.

Selon les médias locaux, plus de 100 000 personnes visitent le pays chaque année rien que pour des greffes de cheveux, la grande majorité provenant de pays arabes.

L’importance du coût

« Les gens peuvent trouver un service de qualité à des prix abordables et être suivis par des chirurgiens et techniciens qui connaissent bien leur travail », explique Erkam Caymaz à Middle East Eye.

Clinicien dans le domaine de la greffe de cheveux à la clinique Hair Upload d’Istanbul, le docteur Caymaz affirme que les patients sont attirés par la Turquie pour son approche globale du service client.

Par exemple, la plupart des cliniques du pays n’offriront pas uniquement un traitement de chirurgie esthétique, mais proposeront des forfaits globaux qui peuvent inclure les vols, les transferts depuis/vers l’aéroport, des solutions d’hébergement de luxe, des soins de suivi médical réguliers et même des visites de la ville.

Des hommes ayant subi une greffe de cheveux en Turquie (Reuters/Domine Jerome)
Des hommes ayant subi une greffe de cheveux en Turquie (Reuters/Domine Jerome)

« L’industrie de la greffe de cheveux ne concerne pas seulement la chirurgie, mais aussi la rencontre du client à l’aéroport, l’hébergement, la réservation de l’hôtel et le suivi professionnel jusqu’au premier examen », détaille Caymaz.

Pour le client, cela signifie que chaque aspect de l’intervention est pris en charge – il lui suffit de se présenter le jour venu.

« Subir une intervention dentaire à l’étranger signifie que vous risquez de ne bénéficier d’aucune protection juridique, ce qui peut entraîner des difficultés ultérieures pour les patients »

 - Sam Jethwa, dentiste esthétique 

Les prix représentent un autre atout : le docteur Caymaz, par exemple, facture entre 4 000 et 6 000 dollars la greffe de cheveux, ce qui est considéré comme bon marché. D’autres pratiquent des prix aussi bas qu’un peu plus de 1 000 dollars, bien qu’inévitablement, la qualité du service varie beaucoup.

En comparaison, en France, les greffes de cheveux, qui ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, peuvent coûter dans les 5 000 euros dans le privé.

De même, les rhinoplasties esthétiques peuvent coûter jusqu’à 8 000 euros en France, sans compter le coût des consultations et du suivi, alors qu’en Turquie, un tel acte est à moitié prix.

Les principaux frais généraux, comme les salaires du personnel, sont beaucoup plus bas en Turquie qu’en Europe occidentale ou aux États-Unis, tandis que les normes turques en matière de formation médicale sont relativement élevées par rapport à d’autres pays du Moyen-Orient ou d’Asie.

La crise économique que connaît actuellement la Turquie a également contribué à faire baisser les prix à un niveau qui soit abordable pour les Européens.

Rapidité de traitement

Mais le prix n’est pas la seule raison de la popularité des interventions de chirurgie esthétique en Turquie.

La rapidité de la procédure est un autre facteur, même s’il s’agit en quelque sorte d’une épée à double tranchant.

Les chirurgies de perte de poids, par exemple, ne sont prises en charge par le NHS que dans des cas extrêmes, pour les personnes dont l’indice de masse corporelle dépasse le seuil des 40, ce qui signifie qu’elles sont gravement obèses.

Et avant l’opération, les patients doivent accepter un suivi rigoureux à long terme après la chirurgie, qui inclut notamment l’adoption de modes de vie sains et des contrôles médicaux réguliers. Même pour les personnes éligibles, l’attente de traitement peut durer des années.

Istanbul est devenue un haut lieu du tourisme médical, attirant principalement des patients d’Europe et du Moyen-Orient (AFP)
Istanbul est devenue un haut lieu du tourisme médical, attirant principalement des patients d’Europe et du Moyen-Orient (AFP)

D’après Emre Atceken, co-fondateur et PDG de WeCure, une agence de tourisme médical basée au Royaume-Uni et spécialisée dans la chirurgie esthétique, les patients ont souvent hâte que leur intervention soit effectuée et sont donc tentés de prendre rendez-vous à l’étranger.

« Ici au Royaume-Uni, près de six millions de personnes sont sur liste d’attente pour des traitements et interventions hospitaliers non urgents, selon les dernières statistiques du NHS », indique-t-il à Middle East Eye.

Un spécialiste examine un patient avant une intervention à Istanbul (AFP)
Un spécialiste examine un patient avant une intervention à Istanbul (AFP)

« Il nous est très courant d’entendre parler de personnes de notre connaissance devant attendre plus de six mois pour une opération cruciale, alors que si vous allez en Turquie, le délai moyen sera de deux à quatre semaines. »

La plupart des cliniques turques proposent des consultations par téléphone ou vidéo, ce qui signifie que les patients peuvent être vus et prendre leur décision sans même avoir à se déplacer à l’étranger.

Sécurité et marché noir

Certains experts, cependant, préviennent que les patients à la recherche de solutions rapides et abordables pourraient faire face à des complications.

Le dentiste esthétique Sam Jethwa, des Perfect Smile Studios au Royaume -Uni, explique à Middle East Eye qu’en matière de chirurgie esthétique, les patients peuvent facilement être induits en erreur.

« Subir une intervention dentaire à l’étranger signifie que vous risquez de ne bénéficier d’aucune protection juridique, ce qui peut entraîner des difficultés ultérieures pour les patients », souligne-t-il.

Les patients peuvent également être mal informés, ce qui nécessite un traitement supplémentaire ou de procéder à d’autres opérations. « La nécessité de faire effectuer des travaux correctifs au Royaume-Uni en raison de procédures de dentisterie esthétique bâclées [à l’étranger] est en augmentation », affirme-t-il.

« Nous voyons ces patients fréquenter notre clinique par la suite régulièrement, malheureusement après avoir déjà choisi des traitements dont ils n’appréciaient pas pleinement les risques. »

Un technicien nettoie les racines prélevées sur un patient lors d’une opération de greffe de cheveux à Istanbul (Reuters/Murad Sezer)
Un technicien nettoie les racines prélevées sur un patient lors d’une opération de greffe de cheveux à Istanbul (Reuters/Murad Sezer)

Bien que rien ne suggère qu’une intervention classique effectuée en Turquie entraînera des complications, certains cherchent à surfer sur la vague et exploiter les patients vulnérables.

L’International Society for Hair Restoration Surgery (ISHRS), une association médicale mondiale à but non lucratif active dans plus de 70 pays, a lancé une campagne intitulée « Fight the Fight » dans le but justement de faire la lumière sur les dangers du « marché noir médical » et des forfaits de tourisme médical.

Lancée en 2019 en réponse au nombre croissant de personnes se rendant chez des techniciens non agréés pour subir des chirurgies capillaires, l’organisation offre un soutien aux victimes de traitements qui ont mal tourné et dispense une éducation et une formation sur le sujet.

« Bien que les cliniques et les hôpitaux soient inspectés, il existe des endroits dits ‘’sous les escaliers’’ qui sont beaucoup moins chers »

- Erkam Caymaz, clinicien

Selon l’ONG, des médecins ou des personnes prétendant avoir une formation médicale ont trompé des patients et pratiqué des interventions illégales, lesquelles ont entraîné des blessures, des cicatrices et une chevelure moindre ou inégale.

Le docteur Caymaz réitère qu’il incombe au patient de prendre une décision éclairée.

« Bien que les cliniques et les hôpitaux soient inspectés, il existe des endroits dits ‘’sous les escaliers’’ qui sont beaucoup moins chers », dit-il.

« Il est très important d’examiner leurs réseaux sociaux et leurs vidéos, ce qu’ils disent et ce qui est écrit doivent correspondre. »

Selon le médecin, l’un des principaux problèmes de l’industrie est le manque de suivi post-opératoire pour s’assurer qu’il n’y a pas de complications.

« C’est un détail très important, et la plupart des cliniques d’Istanbul ne font pas de suivi après l’opération. Même les clients qui ont subi des opérations dans d’autres cliniques nous posent des questions à ce sujet », indique-t-il.

Selon un récent rapport du Times, des prix moins chers et une réglementation trop souple à l’étranger ont entraîné des dérapages.

Christopher D’Souza, président de la British Association of Hair Restoration Surgery (BAHRS), attribue une partie de la responsabilité de ces interventions ratées aux tactiques de marketing contraires à l’éthique de certaines cliniques basées en Turquie.

« Les forfaits sont souvent annoncés avec des quantités illimitées de greffes et sont limités dans le temps, ce qui pousse les patients à prendre une décision. Cela va à l’encontre de l’avis des médecins au Royaume-Uni », souligne-t-il.

« J’ai dû faire de nombreuses opérations de retouche chez des patients qui rapportaient que même s’ils avaient senti que quelque chose n’allait pas quand ils étaient en Turquie, ayant déjà investi leur temps, leur personne et leur argent, ils finissaient par se dire : je suis sûr que tout ira bien. Et ceci n’est pas acceptable », déplore Christopher D’Souza.

Réseaux sociaux et tourisme médical

Quiconque a mentionné sur internet qu’il perdait ses cheveux, avait pris du poids ou n’aimait pas tel ou tel aspect de son physique a probablement été bombardé de publicités Instagram ou Google promettant des solutions abordables et parfois miraculeuses à ces problèmes.

La popularité du tourisme médical et esthétique s’explique en partie par la publicité sur les réseaux sociaux.

Cette tendance est aggravée par la couverture médiatique de célébrités rendant publiques leurs propres opérations.

Les rhinoplasties sont l’une des chirurgies les plus courantes à Istanbul (Reuters)
Les rhinoplasties sont l’une des chirurgies les plus courantes à Istanbul (Reuters)

Les greffes de cheveux sont par exemple très populaires parmi les footballeurs, comme l’attaquant anglais Wayne Rooney, qui a confirmé qu’il y avait eu recours en 2011. Le chanteur émirati Hussain Al Jassmi a pour sa part expliqué sa perte de poids spectaculaire par un pontage gastrique en 2010.

Selena Marianova, créatrice de contenus sur les réseaux sociaux et propriétaire d’une clinique basée au Royaume-Uni, affirme que les réseaux sociaux ont une « influence indéniable » sur les personnes qui envisagent des améliorations chirurgicales.

Dans une vidéo YouTube visionnée plus de 300 000 fois, elle raconte son expérience à ses followers. La jeune femme de 22 ans dit vouloir aider les autres en partageant des informations et avoir choisi la Turquie pour son opération en raison des technologies médicales avancées du pays et de ses médecins expérimentés.

Elle s’est rendue à Istanbul pour une rhinoplastie en 2019, avertissant cependant que les jeunes doivent gagner confiance en eux avant de procéder à des améliorations chirurgicales.

« La chirurgie plastique ne doit pas être prise à la légère », dit-elle. « En tant que créatrice de contenus, il est extrêmement difficile de ne pas identifier les parties de moi-même qui auraient besoin d’être ‘’améliorées’’, car je me regarde constamment dans des vidéos, des photos et dans le miroir, ce qui peut être très épuisant mentalement pour les personnes qui n’ont pas un concept de soi fort. »

Selena Marianova, 22 ans, a subi une rhinoplastie à Istanbul en 2019 et a partagé son expérience en ligne (avec son aimable autorisation)
Selena Marianova, 22 ans, a subi une rhinoplastie à Istanbul en 2019 et a partagé son expérience en ligne (avec son aimable autorisation)

Le lien entre la fréquentation des réseaux sociaux et une image négative de soi est bien établi par la recherche, mais au-delà des questions éthiques, force est de constater que la chirurgie esthétique est un commerce florissant en Turquie.

En 2018, l’industrie turque de l’amélioration esthétique valait 2 milliards de dollars et les greffes de cheveux représentent désormais à elles seules une industrie d’un milliard de dollars.

Ces chiffres ont probablement augmenté au lendemain de la pandémie de covid-19, alors qu’un regain d’intérêt pour la chirurgie esthétique s’est manifesté à travers le monde.

Malgré les inquiétudes, les industries turques de la santé et de la chirurgie esthétique tirent leur épingle du jeu dans un pays qui autrement souffre sur le plan économique. Il est donc peu probable que les foules d’hommes au cuir chevelu rougi sur les places publiques d’Istanbul et les nez bandés dans les stations de métro disparaissent de sitôt.

Traduit de l’anglais (original).

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