Guerre en Ukraine : les Moldaves se préparent à une éventuelle invasion russe
Alex Sirbu dormait chez lui dans une banlieue de Chișinău lorsque la Russie a lancé son invasion militaire totale de l’Ukraine voisine aux premières heures du matin.
Le bruit des bombes a retenti jusque dans la capitale moldave et a réveillé ce trentenaire. Il ne savait pas si les bruits venaient de son propre pays ou pas, il a donc pris son téléphone et a vérifié l’application Telegram.
« C’est comme ça que j’ai découvert ce qui se passait », raconte Sirbu à Middle East Eye.
« J’ai eu l’impression d’être poignardée au cœur, j’ai pensé immédiatement à tous mes amis en Ukraine et à ce qui nous attend en Moldavie »
- Maria Miron, Moldave de 24 ans
Maria Miron, gestionnaire de projets de 24 ans qui vit également à Chișinău, « a éclaté en sanglots » quand elle a appris pour la guerre.
« J’ai eu l’impression d’être poignardée au cœur, j’ai pensé immédiatement à tous mes amis en Ukraine et à ce qui nous attend en Moldavie », indique-t-elle à MEE.
Leur anxiété n’a fait que croître depuis le début de la guerre, le 24 février.
Alors que les renseignements ukrainiens suggèrent une attaque contre le port d’Odessa, à seulement 40 km de la Moldavie, dans les jours à venir, et que les troupes russes sont stationnées dans la région sécessionniste de Transnistrie, qui a demandé la reconnaissance de son indépendance au soir du 4 mars, la probabilité d’une invasion russe de la Moldavie grandit.
Ville clé
Si l’avance russe dans le nord de l’Ukraine est lente, la région côtière au sud a moins la capacité de repousser l’agression russe.
Avec la prise de Kherson, les renseignements ukrainiens semblent suggérer qu’Odessa, ville d’un million d’habitants, est la prochaine cible.
Les vidéos d’une importante flotte russe, comprenant huit navires de débarquement de chars, au large d’Odessa circulent sur les réseaux sociaux.
« Odessa est cruciale dans cette guerre pour que l’Ukraine résiste à cette invasion », indique Iulian Groza, directeur général de l’Institute for European Policies and Reform.
Si Odessa tombe, le Kremlin pourra établir un corridor jusqu’en Transnistrie, région de Moldavie occupée illégalement par la Russie depuis 1991.
Pendant ce temps, le président biélorusse Alexandre Loukachenko, proche allié du président russe Vladimir Poutine, a été photographié le 1er mars en train de commenter une carte de campagne militaire. Sur celle-ci, les troupes qui pénètrent à Odessa semblent avancer vers la Transnistrie, dans l’est de la Moldavie.
Si Loukachenko affirme qu’il ne participera pas à l’invasion de l’Ukraine, il soutient l’intervention militaire russe depuis le nord.
La présence de l’armée russe en Transnistrie ajoute à l’insécurité, estime Groza, même si les dirigeants de la région séparatiste ont publiquement assuré à la communauté internationale qu’ils ne projetaient pas de s’impliquer.
« Tout le monde ne peut pas les croire sur parole », poursuit le spécialiste, ajoutant que les autorités moldaves surveillent la région, très importante non seulement pour la sécurité de la Moldavie mais pour l’ensemble de la communauté internationale.
Neutre par Constitution
La République de Moldavie, située entre la Roumanie et l’Ukraine, dispose d’une minuscule armée, qui ne compte en moyenne que 7 000 membres actifs et environ 70 000 réservistes.
Sa population s’élève à 2,6 millions d’habitants et le pays est dirigé par la présidente progressiste et pro-Union européenne Maia Sandu.
Elle a demandé à intégrer l’Union européenne le 3 mars, conjointement avec l’Ukraine et la Géorgie, elle-même envahie par la Russie en 2008.
Cette décision de la présidente devrait déclencher quelques réactions négatives en Moldavie, en particulier de la part de la population pro-russe, mais éventuellement de la Russie elle-même.
En vertu de sa Constitution, la Moldavie est neutre et a décidé de ne pas se joindre au barrage de sanctions imposées à la Russie par l’Union européenne et les États-Unis et de ne pas fournir de matériel militaire à l’Ukraine.
Mais ce pays d’Europe de l’Est, au plus faible PIB par habitant dans la région, collabore avec ses alliés proches, en particulier la Roumanie.
« Si nous choisissons de nous défendre ou de riposter, je pense que l’économie du pays s’effondrera et que nous pourrions être annexés, comme la Crimée, une fois que les Russes auront atteint la Transnistrie », prévoit Alex Sirbu.
« Mais de l’autre côté, nous avons la Roumanie, une bonne amie, qui pourrait nous défendre. »
Roman Andriiv, trentenaire moldave, ne pense pas que l’invasion de la Moldavie se produira de sitôt.
« L’Ukraine mobilise trop de ressources de la Fédération russe », estime-t-il.
« Même s’ils arrivent à conquérir l’Ukraine, le processus d’intégration du territoire ukrainien et de sa population prendra un certain temps, donc je pense que nous n’avons pas à nous inquiéter de cette perspective pour les dix prochaines années. »
Se préparer au pire
Les Moldaves sont unis dans leur objectif commun d’accueil des réfugiés ukrainiens, ils en ont accueilli plus de 120 000 jusqu’à présent.
Mais s’il désire aider, le pays pourrait ne pas être capable de gérer la crise économique et humanitaire croissante déclenchée par la guerre en Ukraine.
La Moldavie dépend fortement de ses importations d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie, sans compter que sa population active est très présente en Russie, d’où les Moldaves envoient de l’argent au pays.
Sa capacité à gérer la crise et une invasion potentielle dépend de sa politique étrangère, selon Iulian Groza.
Le 4 mars, de hauts représentants de l’ONU et de l’UE étaient présents à Chișinău, montrant que la communauté internationale aide la Moldavie à traverser cette crise.
« La République de Moldavie doit promouvoir une politique étrangère bien réfléchie », estime le spécialiste en politique étrangère. « Nous ne pouvons fournir un soutien militaire ou nous impliquer dans ce conflit. »
Pour Alex Sirbu, l’invasion de l’Ukraine a poussé de nombreuses personnes à préparer leurs passeports biométriques et des devises et à établir un plan de fuite « au cas où le pire se produirait ».
Des informations selon lesquelles des Moldaves font la queue pour obtenir leurs documents d’identité et passeports ont émergé ces derniers jours.
Et les Moldaves comme Maria Miron qui ont la double nationalité roumaine ont tous déclaré qu’ils s’en serviraient.
« J’essaie de ne pas penser à un scénario d’invasion de la Moldavie par la Russie », témoigne la jeune femme. Mais si cela arrive, j’irai en Europe. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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