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Guerre en Ukraine : des Égyptiens « frappés » et abandonnés aux frontières

Middle East Eye a contacté des Égyptiens qui fuient la violence russe en Ukraine. Ceux-ci affirment avoir été refoulés dans les files d’attente à la frontière et oubliés par les autorités égyptiennes
Des réfugiés d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Inde, pour la plupart des étudiants d’universités ukrainiennes, fuient le conflit en Ukraine, dans l’est de la Pologne, le 27 février 2022 (AFP/Wojtek Radwanski)
Par Mostafa Darwish à Frontière polono-ukrainienne

« L’ambassade égyptienne en Ukraine nous avait dit de ne pas nous inquiéter et de rester chez nous. Je ne sais pas ce que je serais devenu si j’avais écouté leurs conseils... »

Adham Alaeldin, 20 ans, étudiait l’ingénierie dans la deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv. Il fait partie des ressortissants égyptiens qui ont tenté de fuir les bombardements russes en Ukraine en traversant les frontières avec la Pologne et la Roumanie.

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Contactés par Middle East Eye, ces Égyptiens rapportent comment ils se sont sentis abandonnés, ont été mal informés par les autorités égyptiennes, maltraités par les gardes-frontières qui « donnent la priorité aux blancs », laissés dans le froid sans abri et, dans certains cas, frappés.

Adham Alaeldin raconte que le bruit des bombardements russes à 4 h du matin l’a décidé à partir. Avec ses amis, ils ont emballé leurs effets personnels et ont fait en voiture les 1 060 km les séparant de Lviv, à l’ouest de l’Ukraine.

Kharkiv, ville de 1,5 million d’habitants près de la frontière russe, essuie des attaques depuis lundi 28 février.

Arrivés à Lviv, Adham Alaeldin et ses amis ont marché près de 50 km car la route jusqu’à la frontière polonaise était bloquée par de longues files de voitures qui attendaient de passer. « La seule option était de marcher jusqu’à la frontière, ce qui nous a pris onze heures », précise-t-il.

Mais le moment passé à la frontière fut le plus difficile de leur voyage. Pendant trois jours, Adham Alaeldin et ses amis se sont retrouvés coincés dans un espace restreint leur permettant à peine de remuer.

Une voiture avec chauffeur pour 250 dollars

« Nous avions allumé un feu pour nous réchauffer, la police ukrainienne nous a obligés à l’éteindre », poursuit-il. « Nous dormions dans le froid, sans couverture, et même après avoir traversé la frontière, nous ne savions pas quoi faire ni où aller. »

Sur Facebook, l’ambassade égyptienne en Pologne a appelé ses ressortissants ayant franchi la frontière polonaise à les contacter pour vérifier leur état de santé et prendre leurs coordonnées, ajoutant qu’elle communiquait avec les autorités polonaises pour faciliter leur transit.

« Les policiers ne nous laissaient jamais, nous ou nos amies, garder notre place dans la file d’attente. Ils nous repoussaient dès qu’on s’approchait du point de contrôle des passeports du côté polonais »

- Mahmoud Abu al-Soud, étudiant en médecine

Mahmoud Abu al-Soud, étudiant en médecine originaire de Haute-Égypte, et ses amis de l’université, ont payé 250 dollars une voiture avec chauffeur pour les conduire à Lviv, où ils ont marché 40 km jusqu’au poste-frontière de Korczowa-Krakovets. 

Ils ont fait la queue pendant quatre jours, attendant désespérément de passer en Pologne.

« Ceux qui vendaient de la nourriture ne nous en vendaient pas à nous, ils donnaient la priorité aux blancs », signale-t-il à MEE. Il évoque un racisme manifeste de la police ukrainienne dans la façon de les traiter, ajoutant qu’une policière a frappé et blessé l’un de ses compagnons. 

« Ils [les policiers] ne nous laissaient jamais, nous ou nos amies, garder notre place dans la file d’attente », indique Mahmoud Abu al-Soud. « Ils nous repoussaient dès qu’on s’approchait du point de contrôle des passeports du côté polonais. »

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Maltraités par la police ukrainienne, ils ont décidé de retourner à Lviv. « Il a fallu neuf à dix heures pour parcourir la distance en sens inverse, et on avait du mal, car on aidait nos amies à porter leurs bagages. »

Arrivés à Lviv, ils ont embauché un autre chauffeur pour les conduire à la frontière roumaine, moins animée que la frontière polonaise. « On a été mieux reçus là-bas, même par la police ukrainienne, et on se sent désormais en sécurité. »

À la frontière, des ONG roumaines leur ont fourni de la nourriture et des cartes SIM pour leur permettre d’appeler leurs familles.

« Nous n’avons reçu aucune assistance de l’ambassade égyptienne que ce soit en Pologne ou en Roumanie. Même le bus qui va nous emmener à Bucarest, d’où nous prendrons un vol pour l’Égypte, est affrété par les Roumains. »

« Ils n’ont pas de nourriture »

« Mon fils est marié à une Ukrainienne, mais ils n’ont laissé passer que sa femme en Pologne. Mon fils n’a pas encore été autorisé à passer », rapporte Umm Khaled, dont le fils est en sixième année de médecine en Ukraine.

MEE a contacté Umm Khaled via un groupe WhatsApp pour les familles égyptiennes qui tentent de contacter leurs proches bloqués aux frontières de l’Ukraine.

Umm Khaled dit avoir perdu contact avec son fils qui n’a plus de batterie sur son téléphone portable, précisant qu’il est coincé à la frontière depuis quatre jours dans un froid glacial. « Ils n’ont pas de nourriture, même leur eau est gelée », rapporte-t-elle.

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Umm Khaled indique que, quand elle a contacté l’ambassade égyptienne à Varsovie pour demander de fournir de la nourriture aux Égyptiens coincés, on lui a répondu que c’était impossible parce qu’ils étaient toujours en Ukraine.

Elle a également contacté le bureau du Premier ministre égyptien et l’ambassade égyptienne à Kiev mais n’a pas reçu de réponse satisfaisante. 

« [Les Ukrainiens] sont accueillis à la perfection ici, pendant qu’ils traitent nos ressortissants comme des esclaves », fulmine-t-elle faisant référence à une annonce du ministère égyptien du Tourisme autorisant les touristes ukrainiens présents en Égypte à rester gratuitement dans les hôtels jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer en toute sécurité chez eux.

Mardi, Filippo Grandi, Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, a admis dans une déclaration que certains réfugiés non européens avaient été confrontés au racisme aux frontières de l’Ukraine alors qu’ils tentaient de fuir.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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