Un combattant de Daech entre dans un bar… Les twitteurs utilisent l’humour pour lutter contre l’EI
ISTANBUL – Un partisan du groupe État islamique a utilisé Twitter pour prévenir que les combattants kurdes déployaient des chats dans les combats dans le nord de la Syrie et de l’Irak.
« Ils leur font approcher les moudjahidines », avait écrit le twitteur. « Le bruit des chats sert à les distraire. »
Ce message étrange n’a pas tardé à se propager sur Twitter, les comptes parodiant l’État islamique diffusant alors des images photoshoppées de chats en tenue de combat kurde, fusils d’assaut prêts.
« Eh oumma ! Faites attention aux chats espions des #YPG ! Perfides murtads », a tweeté un compte satirique attribué à Umma Jihad al-Kanadi. « Quelle est la prochaine étape, les éléphants espions ? »
Tandis que l’organisation État islamique, également appelée par son acronyme arabe Daech, répand son chaos sanglant, une profusion de comptes Twitter parodiques contre-attaquent, tournant en ridicule l’image soigneusement élaborée du groupe.
L’humour et la satire sont ainsi devenus des outils – appelés « EEI narratifs » – pour lutter contre la capacité du groupe terroriste à propager ses menaces. Mais la source d’inspiration est peu réjouissante.
« Pendant le Ramadan, Daech limite les décapitations à deux par jour et le nombre d’esclaves sexuelles à une par moudjahid », a tweeté Abu Bakr al-Rolexi, un compte parodique faisant référence au chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, et à sa préférence pour les montres suisses de luxe. « Ramadan Kareem ! Le calife vous souhaite un pieux Ramadan, bisous. »
Un grand nombre de ces comptes cherche à dépeindre les combattants de l’État islamique comme des bouffons et des clowns, sapant leurs prétendues références islamiques et leur aura d’invincibilité.
Des images de combattants – qualifiés de « Daechbags » ou encore « crétins » – priant dans la mauvaise direction sont diffusées sur Twitter, avec des images retouchées pour montrer des militants tenant, par exemple, de grands godemichés roses.
« Ce moudjahid a joué dans le Seigneur des Anneaux. Le principal orc de Saroumane », a tweeté le compte parodique Islamic State Media à ses 25 000 followers, accompagné d’une photographie d’un extrémiste mort – tué par des combattants kurdes des Unités de protection du peuple (ou YPG) – dont le visage était putréfié. « Les YPG sont les ennemis de la culture et de l’art. »
Ces tweets visent vraisemblablement à retirer au groupe État islamique le monopole de la peur tout en tournant en ridicule ses activités, notamment la destruction de sites du patrimoine culturel. Le message sous-entendu est que le groupe est hypocrite.
D’autres publications sont à la lisière du sérieux absolu. Une photographie dépeignait par exemple des Syriens affamés formant de longues files attendant l’aumône de militants, tandis que des combattants barbus et souriants étaient assis devant un repas somptueux.
Le tweet accompagnant cette image disait : « Ces putains d’enfants syriens affamés n’arriveront pas à nous priver de notre divertissement du Ramadan, al-Hamdoulillah ! Festin entre frères à Raqqa. »
Le ridicule et la parodie ont un long passé commun avec la guerre. Toutefois, leur efficacité est controversée.
« Tout comme une blague de mauvais goût peut offenser vos collègues ou dégrader une relation personnelle, l’humour peut être source de division et de motivation au détriment d’objectifs politiques plus grands », selon un article publié dans le journal en ligne de la Terrorism Research Initiativ (« Rhetorical Charms: The Promise and Pitfalls of Humour and Ridicule as Strategies to Counter Extremist Narratives »).
« La création et la diffusion d’une image qui ridiculise la masculinité d’un terroriste, c’est comme laisser tomber au milieu d’une bagarre de bar un ballon illustré avec le visage d’un clown taquin masquant un engin explosif... il y aura des dommages collatéraux. »
Il est difficile de savoir qui gère les comptes parodiant le groupe État islamique. Répondant à une demande d’entrevue, Abu Bakr al-Rolexi, s’en tenant à son rôle, a déclaré : « Vous flattez ce calife, Cheikh » et a qualifié le journaliste de « zindîq » (personne faisant semblant d’avoir des convictions musulmanes).
De nombreux satiristes parlent couramment l’arabe et le kurde et sont probablement des militants de la diaspora kurde. Ils semblent connaître les écritures islamiques et l’histoire de la région et être en mesure de lier l’évolution du Moyen-Orient à des sujets internationaux plus larges et aux nouvelles tendances de la culture populaire, maximisant la portée de leurs tweets.
Un tweet de @CaliphibrahimAR, au moment où l’Irlande a légalisé le mariage gay, disait alors : « Nous soutenons pleinement la décision d’autoriser le mariage gay #ISIS #dawla #lovewins. »
Alors que la dernière saison de la série Game of Thrones se terminait, quelqu’un d’autre tweetait : « Après avoir tué ce kâfir de Jon Snow #ISIS déclare wilayat nord-Westeros. »
Tant que la guerre civile en Syrie s’éternise, la bataille des mots – et le recours à un virulent humour noir – se poursuivra.
Comme l’indique la biographie Twitter d’Umma Jihad al-Kanadi : « Être redouté n’est rien. Être méprisé, on peut faire avec. Mais être moqué, c’est mortel. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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