Au Yémen, des combattants déposent les armes et cherchent la paix
Depuis 2015 et le début de la guerre au Yémen, nombreux sont les Yéménites qui ont rejoint les combats pour l’argent, en particulier les forces gouvernementales soutenues par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et rémunérées en riyals saoudiens.
Certains ont quitté leurs emplois mal payés et ont participé aux combats contre de meilleurs salaires.
Pour ceux qui n’avaient pas de travail, combattre était leur seul débouché en temps de guerre et de crise économique.
« J’ai compris qu’il n’y avait aucune raison qui valait la peine de mourir ou de laisser sa famille derrière »
- Ahmed, ancien combattant
Aujourd’hui, alors que tout engagement sérieux entre les rebelles houthis et la coalition soutenue par les Saoudiens et les Émiratis est suspendu depuis avril 2022, les soldats yéménites commencent à déposer les armes et à se construire une vie loin du champ de bataille.
« Rien ne vaut la peine de se faire tuer ou de tuer d’autres Yéménites. Combattre rapporte un bon salaire, mais lorsque vous pensez à l’impact négatif des combats, vous voyez que l’ensemble de la communauté a été détruite », témoigne Ahmed*, ex-soldat de 36 ans dans les zones tenues par le gouvernement, auprès de Middle East Eye.
Ahmed a rejoint l’armée yéménite en 2011. En juillet 2022, après avoir rendu visite aux enfants de camarades décédés au combat, il a démissionné.
« Lors de l’Aïd l’année dernière, j’ai rendu visite aux orphelins de deux collègues. Je considérais leurs enfants comme les miens, mais je me suis demandé pourquoi ils avaient été tués. J’ai compris qu’il n’y avait aucune raison qui valait la peine de mourir ou de laisser sa famille derrière », raconte-t-il.
Ahmed n’est pas novice et il pense que les soldats doivent servir leur pays comme tous les autres fonctionnaires. Mais pour lui, combattre doit être le dernier recours, justifié par un motif impérieux.
« L’heure de la paix est venue. Au bout du compte, les Yéménites sont frères. J’espère que les belligérants parviendront à un accord pacifique. Ces derniers temps, les combats ne sont plus aussi acharnés qu’avant, donc ce pourrait être le début de la fin de la guerre », estime Ahmed.
Aujourd’hui, l’ancien soldat travaille dans le bâtiment, transportant des briques, du ciment et d’autres matériaux de construction. Il n’a pas de travail fixe et parfois reste sans emploi pendant des semaines, mais il trouve que c’est mieux que de combattre.
« Je travaille plus dur aujourd’hui ; ce que je gagne ne couvre que l’essentiel et parfois même pas. Mais nos voisins nous aident », confie Ahmed à MEE. « Je suis satisfait de ma vie parce que je ne me sens plus coupable de participer à la destruction de mon pays. »
Réconciliation familiale
Aujourd’hui âgé de 41 ans, Adnan a passé des années à combattre au sein des forces gouvernementales tandis que son cousin s’est engagé dans les combats dans l’autre camp, pour les Houthis.
Ils avaient été proches mais la politique les a séparés.
« J’ai perdu la bonne relation que j’avais avec mon cousin et d’autres membres de ma famille parce qu’ils avaient des affiliations différentes. J’ai même failli perdre ma femme, qui était contre moi », indique Adnan à MEE.
« Je combattais sur les champs de bataille et lorsque je rentrais, je me disputais avec ma famille qui tentait de me convaincre de ne pas me battre. Je n’avais aucun répit. »
« La guerre n’a fait qu’apporter la destruction et la misère et j’ai honte d’y avoir participé »
- Abdullah, ancien combattant
Adnan a rejoint les combats en 2016, mais il a arrêté en début d’année, convaincu qu’il valait mieux profiter de la vie avec sa famille que continuer à se battre et perdre ses proches.
« Les politiques décident de la guerre », commente-t-il. « J’ai vu l’Arabie saoudite être contre les Houthis puis commencer à ne plus être contre eux. J’ai vu des combattants des rangs houthis rejoindre le gouvernement et inversement. On se bat en suivant des dirigeants, ne sachant pas ce qui va se produire », témoigne Adnan.
« J’ai décidé d’abandonner la guerre et son cauchemar et de profiter de la vie avec mes deux filles et le reste de ma famille. »
Maintenant qu’il a déposé les armes, Adnan dit profiter de la vie de famille. Finies les disputes et la discorde, la famille s’est mise d’accord pour ne pas parler des combats et se concentrer au contraire sur les aspects positifs de la vie.
« Je suis commerçant et ce que je tire de ce magasin suffit à fournir l’essentiel à ma famille. Arrêter de combattre a été la meilleure décision de ma vie, je profite vraiment de chaque moment désormais. »
Honte
Mais ceux qui ont cessé les combats peuvent aussi être assaillis par des idées inconfortables.
Abdullah, ancien combattant de 39 ans, est persuadé que tous ceux qui ont pris les armes portent une part de responsabilité dans les répercussions de la guerre, le bon comme le mauvais.
« J’ai rejoint les combats en 2015, pensant que la guerre serait terminée en quelques semaines et que le Yémen s’en porterait mieux. Mais la guerre s’est embourbée pendant des années et le Yémen ne va que plus mal », dit-il à MEE.
« Depuis 2015, je n’ai vu que le négatif de la guerre. Je vois des gens qui ont faim tous les jours, je vois les destructions, je vois des personnes déplacées qui vivent dans des camps sordides. La guerre n’a fait qu’apporter la destruction et la misère et j’ai honte d’y avoir participé. »
Abdullah rapporte que l’impact de la guerre l’a contraint à cesser de se battre. Il pense que si personne ne combat, la guerre cessera.
« Les combattants sont le carburant de la guerre et de nouveaux l’alimentent chaque jour. Mais s’il n’y a pas ou moins de combattants, les belligérants seront contraints de trouver une solution pacifique », pense-t-il.
Abdullah espère que Dieu lui pardonnera sa participation à la guerre.
Il espère également que les pays voisins aideront le Yémen à se rétablir des dommages du conflit.
« Ces pays voisins ont participé à la guerre et ont aidé les Yéménites à se battre les uns contre les autres. Aujourd’hui, ils devraient aider le Yémen à se reconstruire et à guérir », juge-t-il.
L’ONU estime que 60 % des 377 000 décès supposés au Yémen entre 2015 et le début de l’année 2022 résultent de causes indirectes telles que l’insécurité alimentaire et le manque de services de santé accessibles.
En 2023, deux tiers des Yéménites (soit 21,6 millions de personnes) nécessitent une aide humanitaire.
* Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].