Incendies en Algérie : la diaspora en France toujours prête à aider
La docteure Nesrine Meharzi est sur tous les fronts. Depuis le début des incendies de forêt dans l’Est de l’Algérie à la mi-août, cette chercheuse en biotechnologie et oncologie d’origine algérienne et travaillant à Paris est mobilisée sur internet et au téléphone pour organiser l’envoi de l’aide aux sinistrés.
Sur le compte Facebook de son association, Algerian Medical Network (AMN), les statuts qui défilent les uns après les autres reflètent l’urgence de la situation et recensent les besoins, surtout en médicaments pour le traitement des grands brûlés.
AMN utilise les réseaux sociaux pour battre le rappel des troupes en demandant à des associations algériennes implantées à Paris et dans les autres régions de France de lui fournir une aide logistique pour la centralisation des dons avant leur transport en Algérie.
Certaines, comme ASFA, très active à Strasbourg depuis 25 ans, ou HelloMed Algeria, une association fondée par des étudiants en pharmacie expatriés, ont elles-mêmes l’habitude d’acheminer de l’aide en Algérie. Elles s’étaient notamment distinguées l’été dernier, lors de la flambée des cas de covid et les incendies qui avaient embrasé le Nord-Est du pays, la région de Kabylie en particulier.
Plus d’un demi-million d’euros récoltés en 2021
AMN s’est fait connaître du public à ce moment-là. Créée en 2020 lorsque la première vague de covid avait gagné l’Algérie, elle avait acquis une grande notoriété après avoir réussi, notamment, à récolter 640 000 d’euros pour l’achat de concentrateurs d’oxygène et de médicaments au profit des personnes touchées par le virus.
En plus des aides matérielles ponctuelles, le réseau dispose d’environ 300 praticiens travaillant des deux côtés de la Méditerranée, qui s’entraident pour mieux répondre à la demande de soins en période de crise.
« Des personnes nous contactent continuellement, nous harcèlent presque, pour savoir comment ils peuvent aider »
- Nesrine Meharzi, présidente d’Algerian Medical Network
C’est d’ailleurs grâce à un médecin coordonnateur du réseau de bénévoles à Annaba, ville affectée par les incendies, qu’Algerian Medical Network a pu savoir ce qui manquait pour soigner les victimes. « Nous sommes allés chercher l’information à la source, ce qui nous a permis de lister les besoins », indique Nesrine Meharzi à Middle East Eye.
Pour les dons, le réseau n’a pas à s’en faire. Il croule déjà sous les offres. « Des personnes nous contactent continuellement, nous harcèlent presque, pour savoir comment ils peuvent aider », se réjouit la présidente d’AMN.
Linda Djebari, une Algérienne de la région parisienne dont une partie de la famille vit à El Tarf, zone située près de la frontière avec la Tunisie où les derniers feux ont été particulièrement meurtriers, avec une trentaine de décès et des centaines de blessés, a mobilisé ses propres amis pour acheter des médicaments, des denrées alimentaires, et collecter des vêtements pour les sinistrés.
« Je me retrouve déjà avec des cartons pleins mais je ne sais pas comment les envoyer », confie-t-elle à MEE, perplexe.
« Tout doit faire l’objet de demandes officielles »
Selon Nesrine Meharzi, des premiers points de collecte ont été organisés et devraient ouvrir très prochainement. Elle demande toutefois aux donateurs de se conformer à la liste de médicaments qu’elle a publiée sur Facebook, dont le nécessaire en cas de brûlures, car certains produits sont interdits d’importation par l’État algérien, notamment pour soutenir la production nationale.
« L’année dernière, nous n’avions pas pu, comme beaucoup d’associations d’ailleurs, envoyer tout ce que nous avions collecté pour des raisons de formalités administratives. Le ministère algérien de l’Industrie pharmaceutique possède une liste bien déterminée de médicaments autorisés d’entrée dans le pays », souligne la praticienne, qui a aussi pris contact avec l’ambassade à Paris pour demander le transfert gratuit des dons à travers la compagnie aérienne nationale Air Algérie.
« Tout doit faire l’objet de demandes officielles », déplore Nesrine Meharzi, qui juge nécessaire d’abattre les barrières bureaucratiques dans des contextes exceptionnels et urgents.
Jugurta Ayad, président de l’Association des Algériens des deux rives et de leurs amis (ADDRA), plaide lui aussi en faveur d’un assouplissement de la réglementation. Pendant la crise du covid l’été dernier, son association a eu tout le mal du monde à envoyer de l’aide à cause du casse-tête administratif et du coût du transfert.
Des membres de l’ADDRA ont dû convoyer eux-mêmes des concentrateurs d’oxygène, qu’ils ont ensuite transférés d’un malade à l’autre.
Aide au reboisement des zones sinistrées
Après les incendies d’août 2019, Jugurta Ayad est reparti en Algérie pour participer, avec des associations locales, au reboisement des régions brulées. « Nous avons dépensé environ 6 000 euros pour l’achat des arbres au profit de neuf villages durement touchés », indique-t-il à MEE.
« Pourquoi les malades n’ont-ils pas été transférés rapidement en France par exemple ? Nous avons ici plein de médecins algériens qui auraient pu aider à l’organisation des soins »
- Nadia Maatouk, proche d’une victime des feux de 2021
Alors que les incendies viennent juste d’être maîtrisés dans l’Est algérien, le militant associatif pense déjà à d’autres plantations. « Avec l’aide de nos connaissances sur place, nous avons pris contact avec trois pépinières, à Boumerdès, Béjaïa et Annaba, pour nous approvisionner en arbres », précise-t-il, pressé de retourner la terre pour ressusciter la vie dans les massifs calcinés.
Linda Djebari, qui a passé toute sa jeunesse à El Tarf, est en proie à une nostalgie douloureuse depuis qu’elle a vu sur internet des vidéos du grand parc naturel, classé réserve de biosphère par l’UNESCO, en flammes. « J’ai de la peine pour ce beau site ou nous pique-niquions en famille autrefois », confie-t-elle.
Pour Nadia Maatouk, étudiante à Toulouse, dans le Sud de la France, les images ravivent surtout le souvenir de sa cousine, victime des incendies de Kabylie en 2021, après une atroce agonie qui avait duré presqu’un mois.
« Elle avait été évacuée avec d’autres brulés graves très tardivement en Turquie. C’est là-bas qu’elle a rendu l’âme », relate la jeune femme, qui dénonce une gestion irresponsable du sinistre par les autorités.
« Pourquoi les malades n’ont-ils pas été transférés rapidement en France par exemple ? Nous avons ici plein de médecins algériens qui auraient pu aider à l’organisation des soins », s’emporte-t-elle, car il avait fallu que des parents de victimes dénoncent le manque de moyens dans les hôpitaux algériens pour que des malades soient transférés, aux frais de l’État, dans un hôpital américain en Turquie.
Dans le réseau d’AMN, figurent justement des praticiens spécialisés dans le traitement des grands brûlés. « L’un d’eux est médecin référent au centre hospitalier universitaire de Montpellier », relève Nesrine Meharzi.
Elle souhaite la mise en place par les autorités de liens durables avec les médecins algériens à l’étranger afin de pouvoir les solliciter dans des situations d’urgence. « Le corps médical de la diaspora est vraiment concerné par ce qui se passe au pays. Il y a une véritable volonté de venir en aide », insiste-t-elle.
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