À la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, des réfugiés évoquent une souffrance « inimaginable »
Dix-huit jours d’« inhumanité » : c’est ainsi qu’Hamza a décrit ce qu’il a vécu aux portes de l’Union européenne. Ce Syrien de 25 ans était encore sous le choc lorsqu’il a envoyé son témoignage à Middle East Eye via WhatsApp.
« C’était une souffrance horrible, inimaginable », a-t-il confié. « Mes amis et moi avons souhaité la mort. Nous avons erré dans cette forêt. Sans nourriture, sans eau. Nous avons été frappés, humiliés. Nous sommes traumatisés. »
Après avoir quitté la Syrie avec deux amis, Hamza pensait pouvoir arriver en Allemagne au bout de quelques jours. Le 15 octobre, ils ont pris un vol pour Minsk, la capitale biélorusse, depuis Damas, où ils craignaient d’être enrôlés dans l’armée du président Bachar al-Assad.
Hamza, Abdallah et Mazen avaient tous reçu un visa délivré par les autorités biélorusses dans la capitale syrienne. Chacun d’entre eux a versé 5 300 dollars à un passeur qui était censé organiser leur voyage entre Minsk et l’Allemagne.
Cependant, rien ne s’est passé comme prévu. Une fois arrivés à Minsk, les trois jeunes hommes se sont retrouvés bloqués à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne et sont devenus des pions au cœur d’une querelle diplomatique.
Un outil politique
Plus de 2 000 personnes, dont des Irakiens, des Syriens, des Afghans et des Iraniens, sont coincées entre les deux pays et subissent des températures glaciales depuis plusieurs semaines. Au moins dix personnes y ont trouvé la mort depuis août.
La crise est en partie le résultat de plusieurs mois de détérioration des relations entre Minsk et Bruxelles, capitale de facto de l’UE.
Début juillet, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a fait savoir qu’il autoriserait le passage des réfugiés par son pays.
« Nous ne retiendrons personne. Nous ne sommes pas leur destination finale après tout », avait-il déclaré à l’époque. « Ils se dirigent vers l’Europe des Lumières, chaleureuse et accueillante. »
Il nie avoir ouvert cette nouvelle route en représailles aux sanctions imposées par l’UE à la Biélorussie à la suite de la répression par son gouvernement des manifestations de l’opposition au printemps dernier.
Le 8 novembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé les États membres de l’UE à imposer de nouvelles sanctions à l’encontre de Minsk, que la Commission accuse d’utiliser les migrants comme un outil contre l’Europe.
Jeudi, Alexandre Loukachenko a déclaré qu’il riposterait face à toute nouvelle sanction européenne.
« Nous chauffons l’Europe et ils menacent de fermer la frontière. Et qu’est-ce qui se passerait si nous coupions le gaz naturel qui va là-bas ? Je conseillerais donc aux dirigeants polonais, aux Lituaniens et aux autres écervelés de réfléchir avant de parler », a-t-il déclaré.
« Les lumières de l’armée polonaise étaient braquées sur nous. Ils savaient où nous étions […], comme si les deux pays jouaient à un jeu et que nous étions le jouet »
– Mazen, réfugié
La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a demandé un accès humanitaire « immédiat » à la zone.
Après avoir été abandonnés par leur premier passeur le 17 octobre, Hamza et ses deux amis ont réussi à atteindre la frontière polonaise, guidés par des hommes établis en Biélorussie, en Grèce et en Turquie. Après trois jours d’errance dans la forêt au cœur de la Podlachie, ils ont été arrêtés par l’armée biélorusse. Les soldats les ont battus avant de les emmener dans un camp de détention.
« Il y avait beaucoup d’enfants dans ce camp », raconte Abdallah (32 ans). « Il y avait beaucoup de femmes, certaines étaient enceintes. Les gens venaient d’Égypte, d’Iran, de Turquie, d’Irak et même d’Inde. »
À la nuit tombée, les soldats biélorusses se sont transformés en passeurs, indique Mazen.
« Ils nous ont mis dans un camion. Nous étions 40 à 50 personnes. Nous ne pouvions pas bouger. Nous étions enfermés dans le noir, sans savoir où nous allions. »
Lorsque les portes du camion se sont ouvertes devant une rivière de quatre mètres de large, les soldats biélorusses leur ont ordonné de la traverser. Les trois amis syriens, comme beaucoup d’autres compagnons d’infortune, ne savaient pas nager ; cependant, après avoir été menacés, ils se sont avancés dans l’eau glacée.
« Les lumières de l’armée polonaise étaient braquées sur nous. Ils savaient où nous étions […], comme si les deux pays jouaient à un jeu et que nous étions le jouet », explique le jeune homme de 27 ans.
Mazen était convaincu qu’ils ne seraient pas rejetés en Pologne, de l’autre côté de la rivière. Mais les soldats polonais les ont arrêtés.
« Ils ont commencé à nous frapper. En anglais, ils nous disaient : “No Poland, go back to Bielorussia !” [“Pas la Pologne, retournez en Biélorussie !”] », se souvient Hamza, qui a été le plus malmené des trois.
« C’était très violent. Nous n’avons pas mangé ni bu pendant trois jours. Mon corps était épuisé, c’était insupportable. La Pologne comme la Biélorussie nous considèrent comme des animaux. »
« Nous buvions l’eau des marais »
Finalement, les soldats polonais ont poussé les réfugiés à retourner dans l’eau glacée. Ils y sont restés pendant une demi-heure.
« Le ton est monté entre les deux armées. Ils s’échangeaient des insultes », raconte Mazen. « Les soldats biélorusses tiraient des balles en l’air. Les Polonais faisaient de même, tandis que nous étions au milieu. Certains réfugiés se sont évanouis. Nous les avons aidés à tenir pour qu’ils ne se noient pas dans la rivière. »
Les soldats biélorusses ont fini par autoriser les réfugiés à revenir. Ils ont de nouveau employé la force pour faire monter les trois Syriens et les autres réfugiés dans un camion. Le camion s’est arrêté dans un autre camp en pleine forêt.
« Nous nous sommes sentis abandonnés, comme des marchandises mises en vente. Personne ne se soucie de savoir si des gens meurent là-bas »
- Abdallah, réfugié
« Nous buvions l’eau des marais », explique Abdallah. « Nous devions boire pour ne pas mourir de soif. Nous mangions de l’herbe. Il ne nous restait plus rien à manger. »
Hamza affirme avoir contacté une organisation humanitaire en Biélorussie pour obtenir de l’aide : celle-ci a tenté de leur porter secours mais n’est pas parvenue jusqu’au groupe.
Au bout d’une semaine, les soldats biélorusses ont essayé de ramener Hamza et ses amis à la rivière glacée pour les pousser à la traverser une nouvelle fois, mais ils ont réussi à s’échapper.
Ils ont supplié un chauffeur de les ramener à Minsk, où ils sont restés cachés pendant une semaine. Le mercredi 10 novembre, les trois Syriens ont réussi à quitter la Biélorussie.
L’un d’eux reste grièvement blessé à la suite de leur calvaire.
« C’est honteux »
Des milliers de personnes sont toujours coincées entre la Biélorussie et la Pologne. Sur les images diffusées ces derniers jours, on peut voir une foule de réfugiés, dont de jeunes enfants, derrière des clôtures barbelées, sous un froid glacial.
« Il y a beaucoup de gens dans cette forêt […] Nous devons les aider. Ce qui se passe est honteux. C’est honteux. »
Après dix-huit jours passés dans la forêt, Abdallah reste marqué.
« Nous nous sommes sentis abandonnés, comme des marchandises mises en vente. Personne ne se soucie de savoir si des gens meurent là-bas », déplore-t-il. « Je suis sûr que 30 à 40 personnes ont perdu la vie dans cette zone, peut-être même plus. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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