Égypte : huit hommes politiques de l’opposition condamnés à la peine de mort à l’issue d’un procès de masse
Un tribunal égyptien a condamné à mort des dirigeants de l’opposition lundi 4 mars, dans une affaire que les organisations de défense des droits de l’homme qualifient de « motivée par des considérations politiques ».
Le juge Mohamed El-Saeed El-Sharbini a rendu le verdict d’exécution de huit membres éminents de l’opposition à l’issue d’un procès de masse de trois ans impliquant 79 accusés.
Ahmed Attar, directeur de l’Egyptian Network for Human Rights, considère que ces verdicts sont « motivés par des considérations politiques ».
« Les accusés ont été victimes de graves violations de la loi, notamment de détention arbitraire, de torture et de refus de représentation juridique, en violation de la Constitution et des droits de la défense », explique-t-il à Middle East Eye.
« La Cour suprême de sûreté de l’État est une juridiction d’exception qui ne respecte pas les normes d’équité des procès. Elle se fonde sur des lois d’exception et ses jugements, une fois approuvés par le chef militaire, sont définitifs sans possibilité d’appel », poursuit-il.
Parmi les condamnés à mort figurent le chef des Frères musulmans, Mohamed Badie, le chef par intérim du groupe, Mahmoud Ezzat, les anciens députés Mohamed El-Beltagy et Amr Mohamed Zaki, l’ancien ministre Osama Yassin Abdel Wahab, les prédicateurs salafistes Safwat Hamouda Hegazy, Assem Abdel-Majid et Mohamed Abdel-Maqsoud Mohamed.
L’affaire est intitulée « Les événements de Manassa », en référence au « massacre » du mémorial de Manassa, au cours duquel 95 manifestants anti-Sissi ont été tués le 27 juillet 2013.
Aucun policier n’a été poursuivi pour ces meurtres, bien que de nombreux rapports établis par des groupes de défense des droits de l’homme suggèrent un usage disproportionné de la force.
Human Rights Watch a documenté les meurtres dans un rapport publié en 2017, dans lequel elle a déclaré que les meurtres massifs de manifestants ce jour-là et d’autres incidents similaires au cours de l’été 2013 étaient susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité.
Le procès de Manassa, également désigné « affaire no. 9/2021 », a vu 79 individus accusés d’une série de crimes, dont celui de diriger un groupe terroriste, d’empêcher les institutions de l’État et les autorités publiques d’exercer leurs fonctions, et de tenter de changer le régime par la force.
Les accusés sont également poursuivis pour « crimes de meurtre et de tentative de meurtre à des fins terroristes, possession d’armes à feu et de munitions sans permis, brutalité, blocage de routes, usage de la force pour intimider les citoyens, sabotage délibéré de biens publics et privés et incendie intentionnel d’installations publiques et gouvernementales ».
Outre les condamnations à mort, le tribunal a également condamné trente-sept autres individus à la réclusion à perpétuité, six accusés à quinze ans d’emprisonnement avec travaux forcés et sept accusés à dix ans d’emprisonnement avec travaux forcés. Une peine d’emprisonnement avec travaux forcés implique généralement des travaux pénibles.
Sur les 79 inculpés, le tribunal a acquitté 21 prévenus.
Mohamed Badie, le plus gradé des membres de la confrérie des Frères musulmans à être jugé, a entamé une grève de la faim l’année dernière pour protester contre les mauvais traitements et les négligences médicales qui lui seraient infligés en prison.
La persécution de l’opposition
Le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi, qui est arrivé au pouvoir après avoir évincé son prédécesseur Mohamed Morsi lors d’un coup d’État militaire en 2013, a supervisé une répression féroce contre les membres et les sympathisants des Frères musulmans au cours des dix dernières années.
Mohamed Morsi était un membre éminent de la confrérie. Des centaines de ses partisans ont été tués par les forces de sécurité lors des manifestations organisées en 2013 pour s’opposer au coup d’État de Sissi, et nombre de ceux qui ont survécu ont été arrêtés et poursuivis pour terrorisme.
La répression s’est traduite par des détentions arbitraires massives, suivies de procès de masse pour violences politiques présumées.
Les tribunaux ont prononcé des centaines de condamnations à mort depuis que Sissi a accédé à la présidence en 2014. Les groupes de défense des droits ont dénoncé ces procès comme étant entachés d’irrégularités et ont appelé les autorités à commuer les peines de mort.
Human Rights Watch a déjà demandé l’annulation d’autres condamnations à mort liées à plusieurs procès de masse de dirigeants de l’opposition, la plupart d’entre eux étant affiliés aux Frères musulmans.
Mohamed El-Beltagy, Osama Yassin Abdel Wahab et Safwat Hamouda Hegazy avaient été condamnés à mort lors d’un autre procès de masse, en 2021.
Selon Amnesty International, l’Égypte est le pays qui a le plus appliqué la peine de mort en 2021. Elle a également figuré au deuxième rang des pays qui ont exécuté le plus de prisonniers, derrière la Chine, cette même année, selon un rapport de l’ONG.
Les prisons égyptiennes comptent environ 65 000 prisonniers politiques, arrêtés pour leur opposition au gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi, selon un rapport de l’Arabic Network for Human Rights datant de mars 2021.
Depuis le coup d’État de Sissi, des centaines de personnes, dont Mohamed Morsi et l’ancien député Essam el-Erian, sont mortes en prison à la suite de négligences médicales.
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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