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Comment le monde arabe réagit au drame de Nahel

D’Alger à Beyrouth, les commentateurs s’accordent majoritairement à pointer le racisme comme étant l’une des principales causes de la crise française actuelle
Incendie bloquant une rue à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le juin 29, 2023, lors d’émeutes et d’incidents à l’échelle nationale (AFP/Philippe Lopez)
Incendie bloquant une rue à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 29 juin 2023, lors d’émeutes et d’incidents à l’échelle nationale (AFP/Philippe Lopez)
Par MEE

L’onde de choc de la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre en France par le tir d’un policier mardi après un refus d’obtempérer, et des émeutes qui ont secoué le pays dépasse de loin le seul cadre de l’Hexagone. Internautes, médias et mêmes officiels arabes ont commenté et réagi à ces événements.

À commencer par l’Algérie, qui, jeudi 29 juin, s’est exprimée sur ce drame via un communiqué des Affaires étrangères.

« Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger a appris avec choc et consternation la disparition brutale et tragique du jeune Nahel et les circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes dans lesquelles elle est intervenue », lit-on dans ce communiqué.

Alger a adressé « ses très sincères condoléances à la famille du défunt », l’assurant que « son deuil et sa peine [étaient] largement partagés [en Algérie] ».

Le ministère a affirmé « faire confiance au gouvernement français [pour] assumer pleinement son devoir de protection, soucieux de la quiétude et de la sécurité dont doivent bénéficier [ses] ressortissants sur leur terre d’accueil ».

Le gouvernement algérien continue à suivre avec « une très grande attention » les développements de cette « affaire tragique, avec le souci constant d’être aux côtés des membres de sa communauté nationale au moment de l’adversité et de l’épreuve ».

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Ces déclarations ont fait réagir les ténors de l’extrême droite française.

Marion Maréchal, vice-présidente de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, a twitté : « Que le gouvernement algérien s’occupe de ses affaires. »   

Pour sa part, Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN), a voulu « rappeler l’Algérie à son devoir de non-ingérence », ajoutant : « Si [l’Algérie] croit s’inquiéter pour ses ressortissants présents en France, qu’elle n’hésite pas à les récupérer, à commencer par ceux qui violent les lois de la République française. »

Dans les médias algériens ou sur les réseaux sociaux, les événements en France occupent une place importante, vu le poids de la communauté algérienne immigrée. L’écho de ce qui se déroule en France se voit donc décuplé en Algérie.

« Ma cousine vit à Colombes [banlieue nord-ouest de Paris, limitrophe de Nanterre] », témoigne pour Middle East Eye Ali, un Algérois de 40 ans. « Nous sommes constamment au téléphone. Elle est terrorisée par les émeutes, la répression… Ses deux enfants adolescents ne sortent plus de la maison. »

« Perpétrer les holocaustes historiques »

Les médias algériens s’accordent à analyser la situation de crise en France par le biais du racisme anti-maghrébin.

Pour le site d’information TSA, « l’extrême droite a assuré une omniprésence dans les grands médias français pour marteler que leurs propositions autour d’une sécurité plus intense en France est la meilleure voie. La mort de Nahel est devenue une opportunité politique en or, mais toujours pas le moyen de comprendre le ressenti des banlieues ».

« Le principe du respect de l’autre est toujours mis en avant pour une vie en communauté, pour donner un sens à la République. Mais en tirant à bout portant sur un adolescent de 17 ans, le policier a voulu sans conteste honorer sa propre République », écrit un éditorialiste du Quotidien d’Oran.

« Le meurtre du petit Nahel et l’embrasement du cœur de sa mère ont révélé la vilaine face de certains Français, qui ne se sont pas contentés de ce que leurs ancêtres ont fait pendant un siècle et un tiers de siècle, portant une torche ardente pour tenter de continuer à perpétrer ces holocaustes historiques », commente le journal algérien Echourrouk.  

Pour le commentateur algérien star de beIN Sports Hafid Derradji, « si le policier tueur n’avait pas confirmé que le jeune homme était d’origine algérienne, il ne lui aurait pas tiré dessus car leur racisme est au-dessus des lois ». Le journaliste qualifie la société française de « société qui arbore le slogan de la liberté, de la justice et de la fraternité, mais qui pratique toutes les formes d’injustice, de racisme et de discrimination ».

Traduction : « La France a essayé de paraître innocente et tente de défendre les policiers qui sont censés être les protecteurs du peuple, mais ils sont devenus des meurtriers qui tirent sur les gens sous des prétextes futiles. »

« Si cela s’était produit dans un autre pays, la France aurait prêché et argumenté, mais sur son territoire, elle tente de se déresponsabiliser par rapport à son crime odieux contre un adolescent français », poursuit-il.

Pour le journaliste palestinien Firas Taneineh, « les Algériens usent de leur droit naturel de se défendre à la suite de l’exécution du jeune Algérien Nahel par la police française ».

Mais la journaliste algérienne d’Al Jazeera Khadidja Bengenna s’oppose aux destructions de biens publics et pillages qui émaillent ces émeutes : « Quand vous brûlez une école, pillez un magasin, détruisez la voiture d’un citoyen ordinaire qu’il utilise probablement pour gagner sa vie en tant que chauffeur Uber, coupez un poteau électrique, mettez le feu à une bibliothèque, cassez, volez et pillez... vous offensez Nahel et vous faites du bien à Marine Le Pen car vous lui avez fait le cadeau de sa vie. »

Traduction : « Macron en 2020 aux Libanais : la révolution n’arrive pas à la demande de qui que ce soit, mais plutôt du peuple qui décide de la réaliser. Macron en 2023 aux Français : les manifestations ne sont pas légales, et personne n’a le droit de se révolter. »

Ces tensions ont aussi été commentées à travers le monde arabe. Le quotidien libanais L’Orient-Le-Jour, par exemple, a recueilli les impressions de jeunes Libanais vivant en France.

« La police n’a pas le droit de tuer, mais la violence des manifestants n’est pas la bonne manière pour s’exprimer non plus », réagit ainsi auprès du journal Nour Iskandarani, 24 ans, apprentie dans un centre social et culturel à Paris. « Ce qui se passe réveille nos traumas de Libanais. J’étais à Beyrouth en octobre 2019. C’est comme ça que la thawra [la révolution] a commencé. »

Pour le quotidien panarabe Al Araby, basé à Londres, « les émeutes en France sont le résultat cumulé de nombreuses politiques gouvernementales, qui remontent à 2005, lorsque des manifestations de banlieue ont éclaté et ont duré environ trois mois, pour protester contre les politiques discriminatoires du ministère français de l’Intérieur, qui était alors dirigé par Nicolas Sarkozy ».

L’analyse de ce journal pointe la montée de l’extrême droite en France, qui « s’est traduite par des pratiques racistes sur tout le territoire français contre tout ce qui est étranger, et des discours incendiaires clairs ont été lancés, mettant en garde contre le danger des immigrés pour ‘’l’identité française’’ et ‘’l’avenir du pays’’ ».

« Tout cela s’est passé sous le regard du gouvernement français, qui n’a pas levé le petit doigt pour contrôler les mouvements racistes au nom de la ‘’liberté d’expression’’, ce qui a avivé l’état de tension entre Français et immigrés », poursuit Al Araby.

Un autre pays arabe a officiellement réagi à la crise française. Les Émirats arabes unis ont exprimé, via leur ministère des Affaires étrangères, « l’entière solidarité des Émirats avec la République française », soulignant « l’importance de restaurer le calme, la désescalade et le respect des règles et des principes du droit en France », et affirmant sa « confiance dans la capacité de la France à surmonter les événements actuels ».

Erdoğan fustige le « passé colonial » et le « racisme institutionnel »

Au-delà du monde arabe, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a estimé, lundi, que le « passé colonial » et le « racisme institutionnel » en France étaient à l’origine de la flambée de violences urbaines dans ce pays. Erdoğan a également exprimé « l’inquiétude » que ces récents événements en France « conduisent à davantage d’oppression des musulmans et des migrants ».

Comparant la mort de plusieurs centaines de migrants fin juin au large des côtes grecques, privés de secours, à la disparition médiatisée des « cinq riches partis voir le Titanic », il y a décelé « le signe de la mentalité coloniale, arrogante, inhumaine basée sur la suprématie de l’homme blanc ».

« Surtout dans les pays connus pour leur passé colonial, où le racisme culturel s’est transformé en racisme institutionnel [et se trouve] à l’origine des événements en France », a-t-il affirmé.

« Bien sûr », a poursuivi le président Erdogan, « nous ne tolérons pas le pillage des magasins et les troubles urbains ne peuvent servir à réclamer justice », mais « il est clair que les autorités doivent aussi tirer les leçons de cette explosion sociale ».

Le président Erdoğan, qui s’exprimait en direct à la télévision à l’issue d’une réunion de son gouvernement, dénonce régulièrement « l’islamophobie » qui, selon lui, prévaut en France.

« Malheureusement, la plupart des immigrés qui sont condamnés à vivre dans des ghettos, systématiquement opprimés, sont musulmans », a encore relevé le président turc.

Les médias du pays suivent de près les émeutes qui ont éclaté en France après la mort du jeune Naël, en particulier la chaîne de télévision publique TRT, qui ne manque jamais d’indiquer que le jeune homme, né en France, « était algérien ». Dans les faits, le jeune Nahel est Français à part entière, d’origine algérienne.

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