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« Personne ne nous exilera » : les derniers messages des victimes de Gaza

Alors que des milliers de Palestiniens ont été tués dans les bombardements israéliens à Gaza depuis le début de la guerre, leurs dernières pensées sont immortalisées en ligne dans des vidéos et des messages
Photographie de Palestiniens après une frappe aérienne israélienne à Khan Younès, le 7 novembre 2023 (Reuters)

Les bombardements incessants d’Israël sur Gaza depuis le 7 octobre ont rasé des quartiers entiers et transformé l’enclave assiégée en une sorte de cauchemar apocalyptique. 

Plus d’un mois plus tard, le bilan dépasse les 11 000 morts, dont plus de 4 600 enfants. Des lieux considérés comme sûrs tels que des mosquées, des églises, des bureaux de médias, des hôpitaux et des supermarchés sont bombardés.  

Sur le terrain, les habitants de Gaza décrivent les frappes aériennes, les explosions incessantes et leurs expériences aux portes de la mort.

Le côté surréaliste de la situation se reflète sur les réseaux sociaux, où des Palestiniens empruntent des canaux tels que X (anciennement Twitter) et Instagram pour se faire entendre, avant que ces mêmes voix ne disparaissent à jamais lorsque les auteurs de ces messages périssent dans des frappes aériennes.

« Nous ne partirons pas […] Si nous devons migrer, ce sera vers nos terres occupées ou directement vers Dieu »

– Haytham Harrara, journaliste

Nombreux sont ceux qui publient des stories en précisant qu’il pourrait s’agir de leur dernier message.

Haytham Harrara, journaliste au sein du bureau de presse du gouvernement gazaoui, a été tué le 3 novembre. Il a publié un de ses derniers messages sur X le 13 octobre.

Il y affirme : « Nous ne partirons pas, personne ne nous exilera et vous ne verrez rien d’autre que notre détermination, notre conviction et notre résistance. Si nous devons migrer, ce sera vers nos terres occupées ou directement vers Dieu, le Seigneur des mondes. »

Haytham Harrara a été déclaré mort à l’hôpital al-Shifa de Gaza, l’un des plus grands hôpitaux du territoire, où des milliers de personnes se sont réfugiées et se sont retrouvées prises au piège des combats

Une autre habitante de Gaza, Asmaa al-Ashqar, médecin à l’hôpital al-Quds de Gaza, a enregistré un message 24 heures seulement avant de trouver la mort au cours d’une frappe aérienne israélienne. 

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Dans cet enregistrement émouvant, elle affirme que Gaza est en train d’être « anéantie » devant le monde entier et que personne n’agit. 

« [Aux États arabes :] nous n’avons besoin de rien de votre part. […] Les Israéliens nous traitent d’animaux humains, Biden parle d’humanité et défend Israël, mais ne voit pas ce qui nous arrive. […] Nous sommes tués les uns après les autres et le monde entier nous regarde, des familles entières sont rayées des registres d’état civil », déplore-t-elle. 

« Les gens sont pris au piège par milliers sous les décombres […] Où sont les nations ? Qui vient en aide à Gaza ? Nous n’avons que Dieu. J’atteste qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mohammed est son messager. Dieu demandera des comptes à tous ceux qui nous ont trahis. […] Nous ne pardonnerons pas à tous ceux qui ont normalisé [leurs relations] avec Israël et qui ont dansé sur nos plaies », ajoute-t-elle. 

Ahmed al-Shehab a posté une vidéo au cours d’un bombardement israélien intense, en commençant par « Ceci pourrait être ma dernière vidéo ». Il a été tué juste après l’avoir publiée. 

Dans cette vidéo, le jeune homme lance un appel à l’aide alors qu’un bombardement tonne en arrière-plan : « Ceci est mon message pour le monde entier, on nous prive de nourriture, d’eau, d’électricité, de tout.

« Dieu demandera des comptes à tous ceux qui nous ont trahis. […] Nous ne pardonnerons pas à tous ceux qui ont normalisé [leurs relations] avec Israël et qui ont dansé sur nos plaies »

– Asmaa al-Ashqar, médecin

« On ne peut pas sortir de chez nous parce qu’ils nous tuent dedans et dehors et, jusqu’à présent, personne n’a réagi. On ne veut pas que vous réagissiez uniquement parce que c’est nous ou la Palestine, on a besoin que vous réagissiez à cause de la violence qui vise la mosquée al-Aqsa. Il n’y a pas de différence entre la Kaaba [à La Mecque] et la mosquée al-Aqsa », ajoute-t-il.

« Qu’est-ce que vous attendez ? On ne veut pas que vous nous souteniez avec de la nourriture ou de l’argent […] ! S’il vous plaît, réagissez ! », insiste-t-il. À la fin de la vidéo, on le voit tomber et l’écran devient noir. 

Toute la famille élargie d’Ahmed al-Shehab, qui comptait 44 personnes, a péri sous les bombardements israéliens. Les hommages ont afflué en ligne et de nombreux internautes ont partagé sa vidéo pour montrer l’ampleur de la violence qui accable Gaza.

« Et c’est ainsi que s’est terminée la discussion familiale »

Des survivants ont également partagé des captures d’écran de derniers messages écrits dans des groupes de discussion familiaux, où l’horreur de la guerre se mêle au réconfort que seuls les proches peuvent s’offrir les uns aux autres.

Une capture d’écran d’un groupe WhatsApp familial a été publiée avec la légende : « Et c’est ainsi que s’est terminée la discussion familiale. »

Dans ce groupe, un membre de la famille s’enquiert de la situation dans différentes parties de Gaza et signale que des personnes ont été tuées sur la route d’al-Nakhl, tandis que d’autres habitations ont été bombardées. 

Personne ne répond aux messages envoyés le 20 octobre. 

Le dernier message envoyé dans le groupe, le 22 octobre, est le suivant : « Que Dieu vous accorde sa miséricorde, mes amours ».

Le dernier message posté par Hiba Abu Nada (32 ans) avant de trouver la mort chez elle le 20 octobre est un poème en arabe intitulé Je vous accorde le refuge.

Ce poème qu’elle a écrit le 10 octobre aborde les thèmes de la destruction et de l’humanité de la population de Gaza, ainsi que la mort, le deuil, la foi et l’espoir. 

Romancière primée et formatrice, on lui doit al-Uksujin laysa lil-mawta (« L’oxygène n’est pas pour les morts »), un roman pour lequel elle a remporté le prix Sharjah pour la culture arabe en 2017.

Son poème se termine ainsi :

Nos rues exaltent Dieu à chaque bombe.
Elles prient pour les mosquées et les maisons.
Et chaque fois que les bombardements commencent au nord,
nos supplications s’élèvent au sud.

Je vous accorde le refuge
contre le mal et la souffrance.

Avec les mots de l’écriture sacrée
Je protège les oranges de la piqûre du phosphore
et les nuages du smog.

Je vous accorde le refuge en sachant
que la poussière se dissipera,
et que ceux qui sont tombés amoureux et qui sont morts ensemble
riront un jour.

« Est-ce que je vais tenir jusqu’au bout ? »

Une autre tendance est également apparue chez certains habitants de Gaza qui s’enregistrent en ligne tous les jours pour faire savoir à leurs proches qu’ils vont bien, souvent en envoyant simplement un message ou une vidéo indiquant « Je suis en vie ».

Motaz Azaiza, photographe spécialisé dans la culture et le lifestyle devenu journaliste depuis le début de la guerre, publie de nombreux messages sur les réseaux sociaux, précisant qui il est et ce dont il a rendu compte, au cas où il serait tué.

« Est-ce que je vais tenir jusqu’au bout ? Je n’en sais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est que je transmets des images BRUTES au monde entier pour qu’il puisse voir ce qui arrive réellement aux innocents de la bande de Gaza », a-t-il publié le 5 novembre. 

« Je ne suis financé, encouragé ou soutenu par aucun média ni aucune organisation pour cela.

« Je répète que je suis un photographe-journaliste indépendant qui n’est lié à aucun groupe militant ni à aucun type d’organisation, je suis un Palestinien pur et indépendant », a-t-il ajouté. 

Dans le même ordre d’idées, une journaliste palestinienne nommée Bayan a publié un message sur les réseaux sociaux pour s’assurer de ne pas tomber dans l’oubli. 

« Si je reste inactive pendant longtemps, c’est que je n’ai pas de connexion internet, que ma batterie est déchargée ou que je suis morte. Mon nom complet est Bayan Abusultan. Je vis dans l’ouest de la ville de Gaza. Si vous me recherchez sur Google et que vous découvrez que j’ai été tuée, prenez soin de mes livres. »  

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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