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L’ONU avertit qu’un organe de sécurité de la Ligue arabe ne protège pas des extraditions politiques

Des experts onusiens appellent le Conseil des ministres arabes de l’Intérieur à opérer avec davantage de transparence et à se conformer au droit international
Les drapeaux des États membres de la Ligue arabe flottent devant le siège du Conseil des ministres arabes de l’Intérieur à Tunis avant un sommet en 2019 (AFP)

Des experts de l’ONU ont averti la Ligue arabe qu’un organe de sécurité dirigé par ses membres, le Conseil des ministres arabes de l’Intérieur (CMAI), ne protégeait pas les personnes recherchées pour des activités politiques des dangers de l’extradition.

Dans une lettre envoyée le 23 juin, les experts se sont dits également préoccupés par le fait que cet organe n’évaluait pas les risques de torture ou de mauvais traitements auxquels des individus pourraient être soumis s’ils étaient renvoyés dans leur pays.

Le Conseil des ministres arabes de l’Intérieur, créé en 1982, a pour objectif de développer et de renforcer la coopération et la coordination entre les États arabes dans le domaine de la sécurité intérieure et de lutter contre la criminalité, notamment en faisant circuler des mandats au nom des États membres.

« Les États ne semblent pas faire preuve de la diligence requise dans l’évaluation de la nature politique des accusations portées contre des individus », écrivent les experts onusiens. « Aucune évaluation individuelle des risques ne semble être envisagée ou entreprise. »

Ils demandent au CMAI de permettre aux personnes recherchées d’accéder à leur dossier pénal et de demander la révision ou la suppression d’un mandat d’arrêt.

Les inquiétudes des experts surviennent après que trois mandats diffusés par le CMAI au cours des sept derniers mois auraient été utilisés dans le cadre d’extraditions réelles ou tentées de personnes recherchées pour des raisons politiques.

En novembre dernier, Sherif Osman, un Américano-Égyptien qui a servi dans l’armée égyptienne avant de déménager aux États-Unis, a été détenu à Dubaï lors d’une visite. Le mois d’avant, il avait appelé sur les réseaux sociaux à manifester lors de la Cop27, la conférence sur le climat qui a eu lieu en Égypte.

« [Le CMAI] fonctionne comme un club répressif transnational de dictateurs, permettant aux États arabes de coordonner et de collaborer pour cibler les dissidents politiques et même les personnes qui ne sont pas impliquées mais sont l’objet de vendettas de la part des différents régimes »

- Sarah Leah Whitson, directrice de Democracy for the Arab World Now

Un mois après l’arrestation de Sherif Osman, des responsables émiratis ont déclaré aux médias que l’Égypte avait fait circuler un mandat d’arrêt contre lui par l’intermédiaire du CMAI. Après l’intervention de responsables américains, Osman a été libéré le 29 décembre.

En janvier, Hassan al-Rabea, un ressortissant saoudien, a été arrêté à l’aéroport de Marrakech, au Maroc, sur la base d’un mandat du CMAI émis par l’Arabie saoudite.

Selon le mandat, les autorités saoudiennes cherchaient à le juger pour avoir quitté le royaume « irrégulièrement » avec l’aide de « terroristes », mais selon sa famille, il était puni pour des manifestations anti-gouvernementales à Qatif dans lesquelles des proches – et non Hassan al-Rabea lui-même – avaient été impliqués des années plus tôt.

Après plusieurs semaines d’audiences, Rabea a été extradé vers le royaume en février. Il est actuellement détenu à la prison de Dammam, dans la province d’Ach-Charqiya, en Arabie saoudite.

Un troisième mandat du CMAI a vu l’arrestation en mai de Khalaf al-Romaithi, un Émirati-Turc condamné par contumace lors d’un procès de masse aux Émirats arabes unis critiqué par les organisations de défense des droits de l’homme comme étant extrêmement injuste et politiquement motivé.

Romaithi s’était rendu en Jordanie depuis la Turquie, où il vivait en exil, et a été arrêté dans le royaume hachémite sur la base d’un mandat d’arrêt diffusé par le CMAI et émis par les Émirats. Il devait comparaître devant un tribunal d’Amman le 16 mai, mais il a disparu. On soupçonne qu’il ait été emmené aux Émirats arabes unis, mais on ne sait pas où il se trouve exactement.

« Manque de précision »

Alors que les accords régissant le CMAI stipulent expressément que les individus ne doivent pas être extradés pour des crimes politiques, les experts onusiens estiment qu’il existe plusieurs lacunes problématiques.

Par exemple, les agressions contre les rois, les présidents, leurs épouses ou leurs descendants, ainsi que celles contre les héritiers apparents ou les vice-présidents sont spécifiquement indiquées comme des crimes passibles d’extradition.

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« Il y a un manque de précision dans la définition de ce qui constitue une « agression » contre les dirigeants politique », peut-on lire dans la lettre.

Ce flou, associé aux lois sur la sécurité nationale et le terrorisme de certains États membres, « semble considérer des activités telles que l’expression de la dissidence politique, les reportages indépendants dans les médias ou l’activisme des droits de l’homme comme des infractions pénales.

« Ces crimes passibles d’extradition peuvent impliquer des activités protégées par le droit international, notamment les droits à la participation aux affaires politiques et à la liberté d’opinion et d’expression. »

La lettre des experts a été motivée par une analyse du CMAI effectuée par le MENA Rights Group, une ONG basée à Genève, qui a été partagée avec l’un des rapporteurs spéciaux des Nations unies.

Inès Osman, directrice du MENA Rights Group, explique à Middle East Eye que le plus gros problème avec le CMAI est qu’il n’a pas d’organe de surveillance pour éliminer les abus de son système.

Interpol, l’organisation intergouvernementale basée à Lyon, permet par exemple aux citoyens de vérifier s’ils font l’objet de « notice rouge » et d’exiger leur retrait.

« Sans changements considérables, y compris l’introduction de normes relatives aux droits de l’homme dans la Loi fondamentale du CMAI et la réalisation de contrôles de conformité sur les demandes de mandats d’arrêt de chaque pays membre du CMAI, [ce dernier] ne peut être utilisé que comme un outil de répression transnationale », prévient Inès Osman.

« Sans changements considérables, [… le Conseil des ministres arabes de l’Intérieur] ne peut être utilisé que comme un outil de répression transnationale »

- Inès Osman, MENA Rights Group

Pour Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de Democracy for the Arab World Now, une ONG basée à Washington, le CMAI « fonctionne comme un club répressif transnational de dictateurs, permettant aux États arabes de coordonner et de collaborer pour cibler les dissidents politiques et même les personnes qui ne sont pas impliquées mais sont l’objet de vendettas de la part des différents régimes ».

Elle ajoute qu’Interpol, qui partage des mandats ainsi que l’accès aux données sur les crimes et les criminels avec le CMAI, en plus d’avoir un protocole d’accord avec l’organe de la Ligue arabe, « devrait traiter tout mandat de ces gouvernements comme étant politiquement motivé et refuser de coopérer avec eux. »

La Ligue arabe et le CMAI n’avaient pas répondu aux demandes de commentaires de MEE au moment de la publication de cet article en anglais.

Traduit de l’anglais (original).

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