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Moon Knight : la dernière série Marvel est une leçon d’authenticité

Le réalisateur Mohamed Diab et son équipe de talents égyptiens ont créé une série qui s’éloigne clairement des clichés orientalistes
La production a misé sur des talents égyptiens ayant apporté leur expertise de leur propre culture. Parmi eux, le monteur Ahmed Hafez, le compositeur Hesham Nazih et l’actrice May Calamawy, en photo avec Oscar Isaac (Twitter/@moonknight)
La production a misé sur des talents égyptiens ayant apporté leur expertise de leur propre culture. Parmi eux, le monteur Ahmed Hafez, le compositeur Hesham Nazih et l’actrice May Calamawy, en photo avec Oscar Isaac (Twitter/@moonknight)

Au fil des décennies, Hollywood a gagné une notoriété justifiée concernant la façon dont il représente les personnages et les décors du Moyen-Orient.

Bandits armés aux sourcils froncés, palette sépia, marchés animés et appels à la prière beuglant en fond sonore quelle que soit l’heure du jour sont les incontournables des productions occidentales qui se passent au Moyen-Orient.

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Pendant des années, le Marvel Cinematic Universe (MCU) n’a pas fait exception la règle, hormis peut-être les terroristes vaguement moyen-orientaux présents dans le premier film Iron Man.

Mais à son crédit, les choses changent au sein de la franchise de super-héros la plus prospère du divertissement, et sa dernière série, Moon Knight, montre le chemin parcouru.

S’inspirant du Panthéon égyptien, la série (disponible en streaming sur Disney+ depuis le 30 mars) contient peu de clichés éculés mais une bonne narration, des personnages complets et des détails culturels précis.

Elle raconte l’histoire d’un homme avec un trouble dissociatif de l’identité qui souffre d’une série de mystérieuses pertes de connaissance et ne peut se rappeler de jours entiers de sa vie. Au bout du compte, il apprend qu’il est l’avatar choisi du Dieu égyptien Khonsou, qui l’a chargé d’empêcher une divinité rivale de revenir sur Terre.

Un reflet réaliste de la plus grande métropole du monde arabe

La vision du Caire dans Moon Knight est un reflet réaliste de la plus grande métropole du monde arabe : pas de changement de filtre, pas de costumes exagérés ou faux et tous les figurants ont l’air qu’ils auraient dans les rues de la ville aujourd’hui.

En ce qui concerne le casting, Layla El-Faouly (Scarlet Scarab), interprétée par l’actrice égypto-palestinienne May Calamawy, est l’un des personnages principaux de la série, l’épouse du protagoniste Marc Spector. Son rôle ne se limite pas à celui d’acolyte de Spector, interprété par Oscar Isaac : elle a sa propre histoire qui se dévoile lentement à mesure que la série progresse.

Traduction : « May Calamawy est Scarlet Scarab. Regardez tous les épisodes de #MoonKnight de Marvel Studios, en streaming sur @DisneyPlus. »

Et lorsqu’un épisode se termine, c’est au son du mahraganat égyptien, genre de musique de la classe ouvrière, développé dans certains des quartiers les plus pauvres du Caire et d’Alexandrie, actuellement aux prises, dans une lutte existentielle, avec la censure des autorités égyptiennes. C’est un petit détail auquel seul quelqu’un connaissant parfaitement la région aurait pensé.

Ces aspects de la production de Moon Knight sont à mettre au crédit du principal réalisateur de la série, Mohamed Diab, et de l’équipe qu’il a constituée autour de lui.

Le cinéaste égyptien, qui a précédemment réalisé Cairo 678 (Les Femmes du bus 678) – un film sur le harcèlement sexuel en Égypte – et Eshtebak (Clash)  à propos de sa révolution avortée, a déclaré qu’il était motivé par l’envie de corriger les erreurs passées d’Hollywood.

Le réalisateur égyptien Mohamed Diab photographié à la première de Moon Knight au El Capitan Theatre, à Hollywood (Reuters)
Le réalisateur égyptien Mohamed Diab photographié à la première de Moon Knight au El Capitan Theatre, à Hollywood (Reuters)

« Il était très important pour moi de nous dépeindre comme des humains normaux », explique-t-il dans une interview avec le site de jeux vidéo IGN ajoutant : « Cela fait vingt millions de personnes, et on a des gratte-ciels, et c’est un endroit normal comme ici. En tant qu’Égyptien, nous voir toujours mal représentés, toujours dépeints ainsi… Nous appelons cela de l’orientalisme. »

Un des outils utilisés pour corriger ce problème : compter sur des talents égyptiens ayant apporté leur expertise de leur propre culture. Parmi eux, le monteur Ahmed Hafez, le compositeur Hesham Nazih et l’actrice May Calamawy. 

Dans la musique classique égyptienne

Cette équipe a permis d’assurer que la réalité égyptienne et sa culture se reflètent dans chaque strate de la série. C’est la bande originale, composée par Nazih, qu’elle est le plus présente.

La musique de Nazih puise dans la musique classique égyptienne, comme celle d’Abel Halim Hafiz et Nagat al-Saghir, et incorpore un style plus jeune (et plus controversé), le mahraganat. Le syndicat des musiciens égyptiens a réclamé l’interdiction du genre en février 2020, cimentant ainsi ironiquement son statut de son du mécontentement égyptien.

Diab, ainsi que son équipe, parviennent à évoquer davantage le son de la résistance égyptienne, avec un remix du classique « Batwanes Beek » (Tu es toujours avec moi) de la chanteuse algéro-libanaise Warda al-Jazairia au début, avec les images d’autres héros de Marvel, notamment Black Panther, Thor et L’Incroyable Hulk.

« Je voulais que [les spectateurs] entendent quelque chose qui a l’air égyptien et pas quelqu’un qui essaie de singer la musique égyptienne », déclarait Nazih dans une interview récente.

Il ajoutait : « J’ai essayé de faire en sorte que les éléments égyptiens authentiques soient en harmonie avec l’orchestre – contrebasses, double pavillon, grand ensemble. Je voulais que tout cela s’assemble aisément et naturellement avec les instruments égyptiens. »

Les réussites de Diab sont encore plus impressionnantes étant donné les origines de Moon Knight dans le whitewashing des aspects les moins reluisants de la politique étrangère américaine. 

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Introduit par Marvel Comics pour la première fois en 1975, le personnage de Marc Spector a rejoint d’abord les Marines américains avant d’aller travailler pour la CIA où il a été chargé de renverser des gouvernements étrangers.

Il dérape, mais seulement quand il travaille comme mercenaire et pas pendant sa carrière à la CIA, participant à un travail bâclé près de la frontière sud de l’Égypte. Se retrouvant à deux doigts de mourir, Spector est ramené à la vie par la divinité Khonsou en contrepartie de ses services.

Moon Knight n’est pas unique à cet égard et son histoire suit la règle des super-héros Marvel, plutôt que d’en être l’exception.

Alors que le MCU est devenu la franchise de films et séries la plus populaire et prospère au monde, certains critiques font valoir que ses prémisses consistent à préserver la projection de la puissance américaine dans le reste du monde, allant jusqu’à l’accuser de promouvoir la propagande pour l’armée américaine.

Tony Stark dans Iron Man, par exemple, dirige une entreprise de la défense américaine et a été dépeint comme vendant des armes à l’armée américaine qui combat au Moyen-Orient.

Collaboration avec l’armée

Autre incontournable de Marvel, Captain America est un super soldat américain tandis que Captain Marvel est capitaine dans l’US Air Force. Un certain nombre de films Marvel ont été achevé en collaboration avec l’armée.

L’aspect CIA de l’origine de Moon Knight a été effacé de la version de Diab, du moins pour l’instant.

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Au contraire, on se concentre sur sa période comme mercenaire puis en tant que Moon Knight, ainsi que sur sa carrière en tant qu’employé dans un magasin de souvenirs dans un musée sous son identité alternative, Steven Grant.

Il est peu probable que les productions Marvel ou celles d’autres grands noms d’Hollywood cesseront d’être les outils de la projection de la puissance américaine à l’international dans un futur proche.

Moon Knight montre qu’il y a une marge de manœuvre pour raconter des histoires englobant des perspectives autres que celles des producteurs américains.

Et étant donné l’accueil enthousiaste des fans et de la critique, notamment 87 % sur le site de critiques Rotten Tomatoes, le désir de perspectives alternatives existe également clairement chez le public.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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