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La grenade, fruit passion du Moyen-Orient

Considéré comme un superaliment pour ses propriétés antioxydantes, ce fruit remarquable aux graines rubis, consommé depuis des siècles, a une signification religieuse et culturelle particulière au Moyen-Orient
La grenade est prisée pour sa couleur et son goût depuis l’Antiquité (British Museum)
La grenade est prisée pour sa couleur et son goût depuis l’Antiquité (British Museum)

C’est une scène familière dans de nombreux foyers du Moyen-Orient : un jus rouge sang dégoulinant des mains qui viennent d’éplucher et d’ouvrir une grenade bien mûre ; des graines semblables à des pierres précieuses qui libèrentune saveur à la fois aigre et douce, amassées dans un bol et ensuite mangées par cuillerées – une seule graine ne suffit jamais.

Non seulement riche en saveur, la grenade occupe également une place particulière dans l’histoire culturelle. Certains spécialistes de l’histoire religieuse l’identifient comme le fruit défendu qui aurait tenté Adam et Eve dans le jardin d’Éden, en lieu et place de la pomme – son nom latin, Punica granatum, signifie « pomme à graines ».

Son histoire terrestre commence au tout début de nos livres d’histoire, puisqu’il fut l’un des premiers fruits cultivéspar l’être humain.

Il y a 5 000 ans, la grenade était déjà cultivée dans l’Iran et l’Irak actuels : sa culture s’étendait jusqu’en Inde à l’est, jusqu’en Égypte à l’ouest et jusque dans l’actuelle Turquie au nord.

On retrouve également une plante apparentée sur l’île de Socotra, au sud-est du Yémen, un lieu qui renferme unebiodiversité unique. 

Reconstitution en argent de vases en forme de grenade découverts dans les tombeaux anciens égyptiens (Creative Commons/Mary Harrsch)
Reconstitution en argent de vases en forme de grenade découverts dans les tombeaux anciens égyptiens (Creative Commons/Mary Harrsch)

Une symbolique et des rituels se sont développés autour de ce fruit et perdurent aujourd’hui : les Perses de l’Antiquité considéraient que ses graines représentaient la fertilité et le cycle de la renaissance, une croyance partagée par leurs contemporains grecs et égyptiens : des vases en forme de grenade ont été découverts dans le tombeau de Toutânkhamon.

Dans certaines régions de la Grèce et de la Turquie actuelles, la tradition veut encore que la jeune mariée jette une grenade pleine sur le seuil de son nouveau foyer – les graines éparpillées représentent alors le nombre d’enfants qu’auront les jeunes mariés.

En Mésopotamie, les Akkadiens identifiaient également ses arilles rouge cramoisi à des symboles de fécondité et offraient ce fruit aux statues d’Ishtar, la déesse de l’amour, de la reproduction et de la fertilité.

Les Babyloniens vénéraient eux aussi la grenade : on pense que l’arbre fruitier à fleurs figurait en bonne place dans les jardins suspendus de Babylone, l’une des Sept Merveilles du monde antique répertoriées par les Grecs.

La vie éternelle

La réputation moderne de la grenade en tant que superaliment anti-âge n’est peut-être pas tirée par les cheveux, puisque ce fruit représentait aussi la vie éternelle.

Le roi de Perse Xerxès Ier, qui régna au Ve siècle av. J.-C., aurait mené une armée de guerriers tenant des lances surmontées de grenades faites d’argent et d’or au lieu de lames aiguisées, en tant que symbole de force et d’immortalité contre les Grecs.

Les origines de la culture de la grenade remontent aux vergers de Yazd, dans le centre de l’Iran, berceau du zoroastrisme, qui fait amplement usage du fruit dans ses rites et rituels.

La grenade est utilisée encore aujourd’hui dans la région, lors du rite de passage appelé navjote, au cours duquel la personne prête serment, mâche une feuille de grenade pour profiter de ses propriétés médicinales et de ses bienfaits pour une longue vie, après avoir pris un bain de purification.

Une cliente inspecte des grenades dans un marché de Téhéran, en 2021 (AFP/Atta Kenare)
Une cliente inspecte des grenades dans un marché de Téhéran, en 2021 (AFP/Atta Kenare)

Traditionnellement, on donnait des gorgées de jus de grenade à ceux qui étaient aux portes de la mort dans l’espoir de les guérir. De la même manière, quelques graines étaient disposées dans la bouche d’un défunt.

Ce rituel particulier était également pratiqué par les Sumériens, qui vivaient en Mésopotamie voisine et attribuaient à ces graines un caractère sacré. En les offrant au défunt, ils pensaient lui offrir l’immortalité.

La grenade semble avoir été un thème récurrent dans le monde antique. Une boîte en bois en forme de grenade a été découverte lors d’une fouille archéologique dans un tombeau hyksôs à Jéricho, l’une des plus anciennes villes du monde. La boîte renfermait des graines de grenade carbonisées datant de 3000 av. J.-C., probablement destinées à transporter le défunt dans la vie d’après.

La Marchande de grenades (1875), tableau de l’artiste français William Bouguereau (domaine public)
La Marchande de grenades (1875), tableau de l’artiste français William Bouguereau (domaine public)

Dans l’épave d’Uluburun, datée du XIVe siècle avant J.-C. et située au large des côtes de la Turquie actuelle, les archéologues ont trouvé des graines et de la peau de grenade, ainsi que de l’ivoire, des œufs d’autruche et d’autres signes de richesse, ce qui invite à penser que cet aliment de base des tables moyen-orientales d’aujourd’hui pouvait être à l’époque un mets réservé à une poignée de privilégiés. 

Dans la mythologie grecque, la grenade était également qualifiée de « fruit des morts » : selon la croyance, elle était issue du sang d’Adonis. Elle semblait cependant transcender les mondes des vivants et des morts, comme l’illustre le mythe de la grenade offerte par Hadès à Perséphone.

Le dieu grec des morts tomba amoureux de Perséphone, la fille de Zeus, au premier regard. Il la captura et l’emmena dans les Enfers, dont il était le roi. Dévastée, la déesse des moissons Déméter, mère de Perséphone, parcourut la terre pour tenter de retrouver sa fille. Son chagrin fut tel qu’il empêcha les récoltes de pousser, ce qui créa l’hiver.

Déméter supplia Hadès de lui rendre sa fille, mais il n’accéda que partiellement à sa demande. En effet, Perséphone avait mangé six graines d’une grenade qu’il lui avait offerte, alors que selon la tradition, quiconque ingérait de la nourriture du royaume des morts ne pouvait le quitter. Un compromis lui permit de retourner sur terre pendant la moitié de l’année et de passer le reste de l’année auprès d’Hadès.

Un fruit présent dans différentes croyances

La Bible mentionne la grenade dans sa description des décorations des piliers du Premier Temple, construit par le roi et prophète Salomon au Xe siècle av. J.-C..

Les envahisseurs babyloniens détruisirent le temple au VIe siècle av. J.-C., et ses piliers auraient plus tard été pillés.

Le Deutéronome mentionne la grenade comme l’un des fruits de la « Terre promise », établissant ainsi son importance dans le judaïsme. Les fidèles la considèrent comme l’un des sept aliments spéciaux qui peuvent être offerts aux moments de prière dans les temples.

Appelée rimon en hébreu, la grenade est également consommée le jour de Roch Hachana, le nouvel an juif : en effet, les premiers juifs croyaient que chaque grenade contenait exactement 613 graines, soit autant que le nombre de commandements – mitzvot – de la Torah. Bien que cette croyance ait disparu, ce fruit symbolise toujours le savoir et la droiture dans le judaïsme.

On trouve également des représentations de grenades sur le dessus de certains couvercles en argent décoratifs, appelés rimonim, qui renferment des rouleaux sacrés de la Torah. De même, les ourlets de certaines robes rabbiniques comportent des fils formant des grenades.

L’Enfant Jésus tenant une grenade mûre est représenté sur La Vierge à la grenade de Sandro Botticelli, vers 1487 (Creative Commons)
L’Enfant Jésus tenant une grenade mûre est représenté sur La Vierge à la grenade de Sandro Botticelli, vers 1487 (Creative Commons)

Dans la foi chrétienne, les artistes de la Renaissance représentaient l’Enfant Jésus sur les genoux de sa mère, souvent avec une grenade dans les mains – symbolisant cette fois-ci la vie nouvelle et l’espoir pour l’humanité. Cette association apparaît dans un certain nombre d’œuvres d’art des XVe et XVIe siècles. 

Certains théoriciens supposent que la grenade était devenue un symbole de l’Église, car ses graines représentaient l’union de la congrégation. Sa couleur rouge sang est associée au sang de Jésus, tandis que sa peau rugueuse et modeste cachant un fruit débordant de vie et de couleurs vives est considérée comme un symbole d’humilité.

Dans la tradition islamique, le Coran mentionne la grenade – appelée rouman en arabe – comme l’un des fruits du Paradis, bien que les juristes islamiques débattent depuis longtemps pour savoir s’il s’agissait de descriptions symboliques ou littérales.

Selon certains récits d’érudits, des commerçants musulmans qui se rendirent en Espagne au VIIIe siècle découvrirent une communauté juive installée dans une région où poussait ce fruit de couleur rubis. Les marchands baptisèrent la région « Gharnata al-Yahud », nom signifiant « grenades des juifs » qui laissa place plus tard à son diminutif, Grenade.

Les grenades sont un élément récurrent de l’artisanat turc (MEE/Indlieb Farazi Saber)
Les grenades sont un élément récurrent de l’artisanat turc (MEE/Indlieb Farazi Saber)

D’après la tradition turque, le fondateur de la dynastie ottomane, Osman Ghazi, appréciait ce fruit robuste. L’artisanat local et les décorations d’intérieur représentent souvent la grenade en hommage à Osman Ier.

En Iran, berceau présumé de la grenade, il existe une croyance ancrée dans le mysticisme islamique selon laquelle sa consommation apporte des bénédictions spirituelles ainsi que des bienfaits pour la santé.

En novembre, lorsque les grenades sont parfaitement mûres, une fête annuelle appelée Jashn Anar est également organisée partout dans le pays en l’honneur du fruit.

Cette célébration est le reflet d’une fascination religieuse et culturelle millénaire pour la grenade.

Ainsi, selon un proverbe attribué au huitième imam chiite, l’imam Reza, manger des grenades rendrait « beau ».

Plus tard, le poète persan Ferdowsi, auteur de l’épopée iranienne du Shah Nameh, associa également la grenade à la beauté.

Il décrivit la princesse mythique Roudabeh en ces termes : « Sa bouche ressemble à une fleur de grenade. […] Ses cils tirent leur noirceur de l’aile du corbeau. […] Si vous cherchez une lune brillante, c’est son visage. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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