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Yeux de perdrix et étoiles : les tatouages traditionnels des femmes amazighes, bédouines et kurdes

Inspiré des coutumes et du spiritualisme préislamiques, le tatouage est une pratique reproduite depuis des siècles par certaines communautés d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
En Algérie, les tatouages faciaux peuvent symboliser les événements de la vie et sont censés éloigner les mauvais esprits (Reuters)
En Algérie, les tatouages faciaux peuvent symboliser les événements de la vie et sont censés éloigner les mauvais esprits (Reuters)

Tout au long de l’histoire, les tatouages ont été utilisés pour embellir le corps, inscrire des symboles sur la peau, marquer une identité ethnique ou exprimer une spiritualité.

Malgré les tabous religieux largement respectés contre les tatouages chez les musulmans, cette pratique millénaire est toujours en vogue dans certaines communautés.

EN IMAGES : La vie cachée des Amazighs algériens
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Dès l’Égypte antique, les habitants de la région se teintaient le corps en utilisant des mixtures exotiques telles que de la suie mélangée à du lait maternel ou même le liquide que l’on trouve dans les vessies de mouton ou de chèvre.

Aujourd’hui, le tatouage facial est une coutume pratiquée par les tribus amazighes d’Algérie, les communautés kurdes de Mésopotamie et les bédouins de la péninsule Arabique.

D’une teinte anthracite ou vert foncé, ces tatouages sont généralement réalisés chez soi, dessinés par d’autres femmes qui font une incision dans la peau et y frottent ensuite un mélange de noir de fumée ou d’indigo. 

Symbolisant les étapes personnelles et l’histoire de la communauté, ces tatouages peuvent en dire long sur la vie d’une femme.

Middle East Eye explore ci-dessous les différents motifs de tatouages féminins à travers la région et leur signification.

La tradition amazighe

En Afrique du Nord, le tatouage est une pratique ancienne, antérieure à l’islam et encore relativement courante chez les femmes amazighes au Maroc, en Tunisie, en Algérie et en Libye.

Pour ces femmes, les tatouages marquent différentes phases de la vie et commencent donc relativement tôt.

Les tatouages sont considérés comme un signe de beauté et de féminité chez les Amazighes (Reuters)
Les tatouages sont considérés comme un signe de beauté et de féminité chez les Amazighes (Reuters)

L’emplacement des tatouages est porteur de sens ; par exemple, une ligne verticale sur le menton indique des fiançailles, tandis qu’une marque sur le bout du nez peut symboliser un mariage ou la mort d’un enfant. 

Certains tatouages signifient également la transition d’une fille vers l’âge adulte. Généralement, un groupe de filles d’un âge similaire se fait tatouer en même temps.

Au-delà du fait qu’ils relatent symboliquement des événements majeurs, ces motifs servent également à se protéger contre les mauvais esprits tout en étant des signes de beauté.

Les tatouages sur les mains et le corps sont principalement associés à la santé et à la guérison, tandis que certains motifs se prolongent sur le cou et l’abdomen pour symboliser la fertilité.  

Un certain nombre de motifs récurrents se retrouvent dans les tatouages des femmes amazighes, notamment des symboles tels que le soleil, un œil de perdrix, une chaîne ou encore des mouches. Dans la culture berbère, la perdrix est associée à la grâce et à la beauté et ses yeux symbolisent l’omniprésence du danger. 

Le tatouage étant une tradition réservée aux femmes, les peuples amazighs y voient également un symbole de féminité. 

Les tatouages de Fatma Haddad, 80 ans, d'origine chaouie, s’effacent avec le temps (Reuters)
Les tatouages de Fatma Haddad, 80 ans, d'origine chaouie, s’effacent avec le temps (Reuters)

Selon la légende, les femmes amazighes se couvraient de tatouages en présence de soldats français afin de ne pas éveiller leur désir sexuel.

Malgré cette histoire profondément enracinée, cette pratique est en train de disparaître sous l’influence d’une religiosité croissante et de la mode occidentale.

De nombreuses femmes préfèrent aujourd’hui se marquer au henné, une teinture naturelle qui s’estompe au bout d’une semaine ou deux.

La tradition bédouine

Le tatouage, tant chez les hommes que chez les femmes, fait partie intégrante de la culture bédouine, en particulier dans les déserts de la péninsule Arabique.

Malgré l’interdiction religieuse des tatouages, de nombreux Arabes tribaux choisissent de se faire tatouer le visage, les chevilles, les poignets et d’autres parties du corps afin de conjurer les forces du mal, de se donner de la force et de se protéger au combat.

Les marques sur le poignet étaient par exemple censées renforcer la main de la personne tatouée et lui permettre ainsi de traire son bétail plus facilement. 

Une femme bédouine de Syrie montre ses tatouages aux diverses significations (AFP)
Une femme bédouine de Syrie montre ses tatouages aux diverses significations (AFP)

Certaines tribus bédouines attribuent également à ces marques le pouvoir de les guérir de maladies. Ainsi, des symboles tels que des points sur le côté de la tête ou au-dessus des yeux guériraient les maux d’une personne. 

Bien que les traditions varient selon les tribus, dans certaines communautés, les tatouages d’une fille bédouine sont choisis par sa mère et sont sélectionnés sur la base d’un trait que le parent aimerait voir chez son enfant. Par exemple, un point sur le nez signifie l’espoir d’une longue vie pour l’enfant.

Les marques servent également de système d’identification tribale et les bédouins les plus instruits sont capables de déterminer la tribu d’une personne en fonction de ses tatouages.

Dans certains cas, des animaux étaient également représentés sur les tatouages. Par exemple, une gazelle serait synonyme de grâce et de beauté.

Le deq kurde

Les tatouages faciaux, ou deq, sont populaires parmi les Kurdes d’Irak, de Turquie, de Syrie et d’Iran.

Principalement concentrés sur le menton et formant une sorte de barbe, les tatouages en pointillés étaient considérés comme un signe de beauté et sont particulièrement fréquents chez les femmes d’âge mûr, âgées de 60 ans et plus. 

Pour les femmes de moins de 60 ans, les motifs de tatouage sont minimalistes, avec un simple point sur la joue ou sur le menton. 

Une Kurde de Syrie, portant des marques sur le visage (AFP)
Une Kurde de Syrie, portant des marques sur le visage (AFP)

Ces tatouages sont généralement dessinés chez soi, à l’aide d’une aiguille à coudre qui perfore la peau. De la suie est ensuite utilisée pour remplir l’incision, ce qui laisse une couleur noire après une période de cicatrisation. 

La plupart des symboles représentés dans les deq sont inspirés de la nature, avec des motifs récurrents tels que des plantes, des étoiles et des animaux. Ils peuvent notamment être synonymes de force, de productivité ou encore de fertilité. 

Les tatouages dessinés entre les yeux visent à éloigner le « mauvais œil » et le mal qui peut en résulter. Certaines femmes qui ont renoncé au yézidisme pour se convertir à l’islam se font tatouer un symbole de lune sur le visage. 

L’emplacement d’un tatouage comporte une signification particulière pour les femmes de la région (AFP)
L’emplacement d’un tatouage comporte une signification particulière pour les femmes de la région (AFP)

Un symbole en forme de « V » sur le menton était traditionnellement un marqueur d’identité tribale, dont la taille correspondait à l’importance de la famille. 

Aujourd’hui, il est rare de voir une femme avec un deq sur le visage, car les jeunes générations le considèrent généralement comme démodé.

La pratique souvent douloureuse des tatouages féminins réalisés chez soi a quasiment disparu. Aujourd’hui, ces marques légères se retrouvent presque exclusivement sur des visages de femmes d’un certain âge.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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