Ukraine : ces vidéos de l’invasion russe ont en réalité été tournées au Moyen-Orient
Depuis que la Russie a débuté son invasion de l’Ukraine jeudi, les réseaux sociaux sont inondés de vidéos prétendant montrer les derniers événements sur le terrain.
Escalade de violence parmi les plus graves de l’histoire récente, cette guerre se déroule presque en temps réel sur les plateformes numériques.
Mais si les réseaux sociaux peuvent être une précieuse source d’information et de mise à jour, c’est également, pour d’autres, un moyen de disséminer de fausses nouvelles.
Ainsi, des images devenues virales, prétendant illustrer les combats entre la Russie et l’Ukraine, s’avèrent avoir été prises par le passé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Middle East Eye revient sur quelques-uns de ces cas.
Syrie
Une vidéo en particulier est accusée d’être une source majeure de désinformation circulant sur internet.
Elle montre des images aériennes d’un drone visant avec précision et faisant exploser des pièces d’artillerie, notamment des chars. Des internautes ont affirmé que cela se passait à la frontière ukrainienne, près de la région de Kharkiv.
Cette vidéo a été très partagée, même par un journaliste dont le compte est certifié.
Traduction : « Des images de drones montrent des mouvements de troupes autour de la frontière ukrainienne. C’est la région proche de Kharkov où la première garde de l’armée de chars russe a été repérée tôt aujourd’hui. »
Plusieurs internautes ont répondu à son tweet pour expliquer que ces images dataient en fait d’il y a deux ans et montraient un convoi du gouvernement syrien détruit par des drones turcs à Maarat al-Numan, dans la province d’Idleb. Le tweet original a depuis été supprimé par Twitter.
Des informations, datant du mois de mars de l’année 2020, confirment que des drones de fabrication turque TB2 ont été utilisés par les forces d’opposition à Idleb contre les forces du président syrien Bachar al-Assad.
Il convient de noter que ces mêmes images ont été partagées sur Facebook par le compte officiel de l’armée de terre ukrainienne avec pour légende : « Les forces armées ukrainiennes partagent une vidéo montrant la destruction d’équipement militaire russe Bayraktar TB2 ».
Cette vidéo est toujours sur le compte certifié, et a été très partagée en Ukraine et ailleurs, mettant en valeur la résistance courageuse des forces de Kiev.
Contacté par MEE, Meta soutient avoir établi un centre d’opérations spéciales pour réagir à l’activité sur sa plateforme en temps réel.
« Il est constitué d’experts de l’entreprise, y compris des locuteurs natifs, pour nous permettre de suivre de près la situation afin de retirer plus vite le contenu qui viole les standards de la communauté », explique un porte-parole à MEE.
Meta dit avoir lancé une enquête sur la publication de l’armée de terre ukrainienne, qui est toujours en ligne au moment où nous publions ces lignes.
L’Ukraine a récemment approfondi ses liens en matière de défense avec Ankara, notamment par l’achat d'une vingtaine de drones TB2.
Jeudi, un compte Telegram appartenant à la « milice du peuple de l’autoproclamée République populaire de Lougansk » affirmait avoir abattu deux de ces drones de fabrication turque près du village de Chtchastia au nord de Lougansk.
Libye
Une autre vidéo incarnant la résistance ukrainienne, et qui a beaucoup circulé sur la toile, provient en réalité, elle aussi, de la région MENA, et plus précisément de Libye.
Ces images énormément partagées laissent penser qu’un avion de chasse russe a été abattu par la défense aérienne ukrainienne ; le clip vidéo montre un avion prenant feu avant de s’écraser rapidement au sol.
Traduction : « Un avion de chasse russe est abattu par la Défense aérienne ukrainienne. »
En réalité, il ne s’agit pas d’un avion de chasse russe en Ukraine, mais de rebelles libyens abattant un avion dans la ville de Benghazi, en mars 2011, lors de la guerre qui a abouti à la chute du dirigeant Mouammar Kadhafi.
Le tweet le plus repris a été depuis supprimé par Twitter, pour « violation des règles de la plateforme ».
Ces images ont été visionnées plus de 48 000 fois sur Facebook selon Associated Press.
« Comme c’est pratiquement toujours le cas en temps de guerre, le monde de l’information en ligne est très vite pollué », indique Layla Mashkoor, rédactrice adjointe au laboratoire de recherche en criminalistique numérique de l’Atlantic Council.
« D’anciennes vidéos et des vidéos recyclées commencent à circuler sur internet, parfois innocemment par des gens qui ne savent pas et parfois par des acteurs malveillants qui cherchent à semer la panique et le chaos », dit-elle, avant d’ajouter que ce même phénomène s’est produit en Palestine et en Afghanistan l’année dernière, et que la bataille pour tenter de contrôler la propagation de contenus trompeurs, vu l’ampleur, est de plus en plus féroce.
« Les internautes doivent être prudents et vigilants sur internet et toujours vérifier la source », tranche Layla Mashkoor.
Liban
Certains internautes ont également partagé des images issues de l’explosion qui a frappé le port de Beyrouth, au Liban, en 2020. Il s’agit là de l’une des tentatives les plus audacieuses dans la propagation de fausses informations.
Traduction: « La prophétie impérialiste américaine s’est finalement réalisée et Poutine le Grand (Russie) a attaqué l’Ukraine »
Ce clip de 30 secondes montre des panaches de fumée au-dessus de bâtiments de la capitale libanaise, avant qu’une énorme explosion ne crée une gigantesque boule de feu.
Les deux tweets les plus partagés contenant cette vidéo ont été depuis retirés par Twitter.
L’explosion de Beyrouth a été l’une des plus importantes explosions non nucléaires de l’histoire. Provoquée par la détonation de plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium, entreposées dans de mauvaises conditions dans un hangar du port, elle a fait 251 morts et au moins 6 500 blessés.
Ali Hajizade, analyste spécialisé dans la désinformation, confie par ailleurs à MEE que « la pandémie de covid-19 a exacerbé les fake news, en provoquant un flux de fausses informations et de désinformation. Des gens marginalisés, des théoriciens du complot, des pseudo-scientifiques autrefois peu connus même dans des petits cercles, ont monté tout un récit », déclare-t-il.
Avant d’ajouter : « Même si, par exemple, Facebook tente de lutter tant bien que mal contre la propagation de fake news concernant cette pandémie, Telegram, qui compte des centaines de millions d’utilisateurs, ne fait quasiment rien. »
Pour Ali Hajizade, le covid-19 a ainsi créé des divisions sociales et politiques qui se sont « répercutées sur les réseaux sociaux » et que les « grandes plateformes de la tech » n’arrivent pas à réduire la désinformation qui en résulte.
Palestine
La plupart des images fallacieuses attribuées au conflit russo-ukrainien proviennent de la bande de Gaza, et ont été prises lors de la récente escalade en mai dernier.
MinutoYa, un site d’information argentin dont le compte est certifié, a publié une vidéo (toujours en ligne) avec pour légende : « #URGENT – #Russie attaque l’Ukraine à l’aube. Des responsables dénoncent une invasion massive de #Poutine. Bombardements et coupures de courant à Kiev et Kharkiv. »
Ce tweet s’accompagnait d’une vidéo montrant des missiles déchirant le ciel.
Des images qui proviennent en réalité de Gaza, avec une salve de roquettes tirée par des groupes militants depuis l’enclave palestinienne en direction d’Israël. La plupart de ces roquettes ont été interceptées par le système de défense aérienne Dôme de fer.
Tous les signaux d’une fake news étaient pourtant là : en arrière-plan, des mosquées sont visibles et on entend distinctement l’appel à la prière ainsi que des personnes qui parlent arabe.
Plusieurs comptes sur Facebook ont également partagé une image de frappe aérienne, prétendant montrer Kiev sous les bombes russes.
Traduction: « Alors que la Russie de Poutine annonce une opération militaire en Ukraine, le ministère ukrainien de l’Intérieur confirme que sa capitale Kiev est attaquée par des missiles de croisière et balistiques russes. La guerre a commencé »
Il s’agissait en fait d’une frappe aérienne israélienne sur Gaza, photographiée par le photojournaliste de l’AFP Mahmoud Hams, le 10 mai 2021.
Sur Twitter, un internaute a publié la légende : « Vladimir Poutine a commencé à bombarder la capitale de l’Ukraine », avec la photo d'un bâtiment de Gaza rasé par les bombardements israéliens.
Traduction : « Vladimir Poutine a débuté le bombardement de la capitale ukrainienne »
Submergé par les critiques, l’internaute a tenté de se justifier en déclarant : « Photo sans rapport. Je l’ai utilisée comme exemple afin de montrer à quoi ressemble un bombardement, et des bots russes tentent de dire que ce n’est pas arrivé, à cause de cela. »
Alors que le conflit entre la Russie et l’Ukraine continue de gagner en intensité, un déluge de vidéos trompeuses et de désinformation continue à se propager sur internet.
Face à cette situation alarmante, les réseaux sociaux ont bien du mal à retirer les contenus contraires à leurs conditions d’utilisation.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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