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2020 commence avec une nouvelle poussée de fièvre entre les États-Unis et l’Iran

L’Irak, allié des deux capitales ennemies Washington et Téhéran, a été une nouvelle fois le théâtre de leur bras de fer, qui pourrait entraîner une escalade
Un membre de Hach al-Chaabi brandit un drapeau irakien alors qu’il sort d’une pièce en feu après avoir franchi le mur extérieur de l’ambassade américaine à Bagdad, le 31 décembre 2019 (AFP)
Par MEE

Les manifestants irakiens pro-Iran ont démonté les tentes de leur campement et commencé à se retirer mercredi des abords de l’ambassade des États-Unis à Bagdad, sur ordre des paramilitaires du Hachd al-Chaabi, au lendemain d’une attaque inédite contre la chancellerie.

Si la violence a cessé à Bagdad, l’escalade entre l’Iran et les États-Unis, pays ennemis mais tous deux puissances agissantes en Irak, se poursuit : après la menace du président Donald Trump de faire payer le « prix fort » à l’Iran accusé d’avoir « orchestré » l’attaque de son ambassade mardi, Téhéran a convoqué le représentant de la Suisse chargée des intérêts américains en République islamique.

Traduction : « L’Iran sera tenu pleinement responsable des vies perdues ou des dégâts occasionnés dans nos installations. Ils paieront LE PRIX FORT ! Ceci n’est pas une mise en garde, c’est une menace »

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré que l’attaque lancée mardi contre l’ambassade des États-Unis était l’œuvre de « terroristes ».

L’attaque « a été orchestrée par des terroristes, Abu Mahdi al-Muhandis et Qaïs al-Khazali, et soutenue par des alliés de l’Iran, Hadi al-Amari et Faleh al-Fayyad », a tweeté M. Pompeo. « Tous ont été pris en photo devant notre ambassade », a-t-il écrit en joignant trois photographies.

Qaïs al-Khazali est chef d’une autre milice chiite irakienne, Assaïb Ahl al-Haq, accusée par les Américains d’être responsable de plusieurs tirs de roquettes contre leurs intérêts en Irak.

Bête noire de Washington depuis leur invasion du pays en 2003, Qaïs al-Khazali a été plusieurs fois la cible de sanctions américaines.

Hadi al-Amari quant à lui a été le ministre irakien des Transports entre 2010 et 2014. C’est le chef de la très puissante organisation Badr, une autre faction irakienne pro-iranienne. 

Pour sa part, Téhéran a dénoncé « la surprenante audace » de Washington.

Estimant que le « message » des manifestants avait été « entendu », le puissant Hachd al-Chaabi a appelé ses combattants et partisans à relocaliser leur sit-in hors de l’ultrasécurisée zone verte à Bagdad, où siège l’ambassade américaine.

Aussitôt, a constaté un photographe de l’AFP, les manifestants ont démonté toutes les tentes montées la veille pour un sit-in qu’ils promettaient alors illimité, à la suite de leur attaque contre la chancellerie. Mais ils ont finalement levé le camp.

Barres de fer et cocktails Molotov

Tout avait commencé vendredi soir, quand un sous-traitant américain avait été tué par des tirs de roquettes en Irak. 

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Les États-Unis avaient répliqué dimanche en bombardant les bases des Brigades du Hezbollah, faction du Hachd qu’ils accusent d’être derrière ces tirs de roquettes, tuant 25 combattants et laissant craindre une nouvelle escalade des tensions dans la région.

Mardi, le cortège funéraire, dans lequel se trouvaient les plus hauts dirigeants du Hachd (des officiels de l’État irakien qui interagissent avec les officiels américains) étaient présents dans le cortège funéraire, avait convergé vers l’ambassade américaine à Bagdad, avant que des milliers de ses participants ne s’en prennent au bâtiment avec des béliers de fortune, des barres de fer et des cocktails Molotov.

Les jets de pierres et de cocktails Molotov sur l’ambassade ont cessé dans l’après-midi après l’interposition entre la chancellerie et les manifestants de la très redoutée sécurité du Hachd. 

Car le déploiement des unités d’élite du contre-terrorisme irakien n’avait pas fait plier les protestataires. 

Une femme prend une photo de l’entrée en flammes de l’ambassade des États-Unis à Bagdad, le 1er janvier 2020 (AFP)

Dans la matinée, les forces de sécurité américaines de l’ambassade avaient brièvement tiré des grenades lacrymogènes avant d’utiliser des grenades lacrymogènes et assourdissantes pour disperser des protestataires.

Mais Washington avait prévenu n’avoir « aucun plan visant à évacuer » la chancellerie, dont le personnel non essentiel a déjà été rappelé en mai. L’ambassadeur américain, en voyage privé hors d’Irak était en train de regagner son poste.

À aucun moment, les forces irakiennes gardant les entrées de la zone verte ne se sont interposés. Aux portes de l’ambassade, elles ont tenté d’arrêter les violences mais en vain.

« Nous n’avons aucun ordre, on a perdu toute autorité » face au Hachd, a regretté un membre des forces spéciales irakiennes chargées de protéger la zone verte, bouclée après les violences.

Les pro-Iran sont parvenus à hisser au-dessus de l’entrée principale de l’ambassade une immense pancarte verte proclamant « Direction du Hachd al-Chaabi ». Et les entrées de la chancellerie sont désormais couvertes de drapeaux blancs du Hachd et jaunes des brigades du Hezbollah.

Traumatismes

« Nous avons enregistré un gros succès : nous sommes arrivés jusqu’à l’ambassade américaine alors que personne ne l’avait fait avant » et maintenant, « la balle est dans le camp du Parlement », a affirmé à l’AFP, son porte-parole Ahmed Mohieddine.

Après la démonstration de force du Hachd qui a fait ressurgir pour les États-Unis le spectre de deux traumatismes dans leurs ambassades, à Téhéran en 1979 et à Benghazi en Libye en 2012, les responsables pro-Iran travaillent au Parlement pour rassembler des signatures visant à dénoncer l’accord de coopération irako-américain qui autorise la présence de 5 200 soldats américains sur le sol irakien.

Intégré aux forces régulières après son combat au côté du pouvoir contre les islamistes armés, le Hachd al-Chaabi a gagné en influence, poussé par son parrain iranien qui a pris l’avantage en Irak face au rival américain.

L’attaque de l’ambassade, les raids américains et les attaques à la roquette les ayant précédés contre des installations abritant des Américains, font redouter que l’animosité irano-américaine ne se transforme en conflit ouvert en Irak pays allié à la fois des États-Unis et de l’Iran.

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Téhéran a convoqué le chargé d’affaires suisse pour protester contre le « bellicisme » américain, et le guide suprême Ali Khamenei a condamné la « malveillance » des États-Unis. 

Si Donald Trump a assuré ne pas s’attendre à une guerre avec l’Iran, Washington a déployé 750 soldats supplémentaires au Moyen-Orient, « très probablement » pour être envoyés ensuite en Irak, selon un responsable américain.

Depuis leur retrait d’Irak en 2011 après huit années d’occupation, les États-Unis ont largement perdu de leur influence dans ce pays. Le système politique qu’ils avaient installé est désormais noyauté par Téhéran.

« L’Amérique, grand Satan »

Les graffitis laissés sur les murs de l’ambassade américaine en témoignent : « Non à l’Amérique » et « Soleimani est mon chef », en référence au puissant général iranien Qasem Soleimani, qui déjà préside aux négociations pour former le futur gouvernement en Irak.

Les pro-Iran en sit-in ont tenté de s’approcher de nouveau de l’ambassade des Etats-Unis, brûlant des drapeaux américains et conspuant « l’Amérique, grand Satan », selon les termes utilisés par l’Iran depuis sa révolution islamique de 1979.

Ce pays est secoué depuis le 1er octobre par une révolte populaire qui conspue le pouvoir, accusé de corruption, mais aussi l’influence du voisin iranien.

La France a fermement condamné l’attaque de l’ambassade américaine mardi à Bagdad par des milliers de manifestants pro-Iran et exprimé « toute sa solidarité » avec les États-Unis, a déclaré la ministre française des Armées Florence Parly.

« La France condamne fermement les attaques perpétrées contre les emprises de la Coalition internationale en Irak et les tentatives d’intrusion dans l’enceinte de l’ambassade américaine à Bagdad », a dit la ministre depuis le Golfe d’Ormuz, où elle réveillonnait mardi soir avec l’équipage de la frégate Courbet, selon le texte de son intervention rendu public mercredi.

La France est l’un des principaux partenaires des États-Unis au sein de la coalition internationale contre lex extrémistes armés dans la région. Elle est aussi présente militairement en Irak pour la formation notamment de soldats irakiens.

Dans cette région, « une étincelle peut provoquer un brasier, comme nous l’avons craint à la suite des attaques d’Abqaik et de Khurais », deux installations pétrolières saoudiennes, a rappelé la ministre française des Armées. L’Iran est accusé d’avoir perpétré ces attaques, ce qu’il dément.

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« Une étincelle, un faux pas ou une erreur d’interprétation, vous savez comme moi à quel point la situation est volatile dans la région », a-t-elle dit aux 180 marins du Courbet.

« La situation risque une nouvelle fois de se tendre » avec les prochaines annonces de désengagement de l’Iran de l’accord encadrant son programme nucléaire, a souligné Florence Parly.

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