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Élections iraniennes : tout ce qu’il faut savoir sur le scrutin présidentiel

Comment les candidats sont-ils sélectionnés ? Qui est en lice en 2021 ? Et que sont devenus les anciens présidents de la République islamique ?
Un homme passe devant des affiches du candidat présidentiel Ebrahim Raïssi lors d’un meeting électoral à Téhéran, le 10 juin 2021 (AFP)
Un homme passe devant des affiches du candidat présidentiel Ebrahim Raïssi lors d’un meeting électoral à Téhéran, le 10 juin 2021 (AFP)
Par Correspondant de MEE à Téhéran, IRAN

Ce vendredi 18 juin, les Iraniens se rendent aux urnes pour élire le successeur du président sortant Hassan Rohani, un réformateur modéré en poste depuis 2013.

Alors que des négociations sont en cours avec la communauté internationale autour du programme nucléaire de Téhéran et des sanctions qui ont paralysé son économie, les enjeux de ce scrutin sont importants.

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Les prochaines années seront également cruciales pour l’avenir de la plus haute fonction politique et religieuse du pays, l’actuel guide suprême Ali Khamenei étant désormais âgé de 82 ans.

Qu’il s’agisse d’un partisan de la ligne dure ou d’un réformiste, le président – qui reste subordonné au guide suprême – pourrait déterminer la direction que prendra la République islamique.

Dans cet article explicatif, Middle East Eye clarifie le processus de sélection des candidats à la présidence avant le vote populaire, présente ceux qui se présentent en 2021 et revient sur les destins souvent malheureux des anciens chefs de gouvernement au cours des 42 années d’existence de la République islamique.

Le conseil des gardiens de la Constitution, sentinelle électorale

Depuis la révolution islamique de 1979, l’Iran a organisé douze scrutins présidentiels. À l’exception de la première élection qui s’est tenue en janvier 1980, tous les autres scrutins se sont déroulés sous l’égide du Conseil des gardiens de la Constitution, qui examine les candidats avant qu’ils ne puissent se présenter officiellement aux élections organisées en deux tours de scrutin populaire.

Pour bien comprendre le rôle joué par le Conseil des gardiens de la Constitution, il convient tout d’abord d’observer comment il est formé. Cet organe gouvernemental est composé de douze membres, tous nommés pour six ans : six religieux – également appelés faghis – et six juristes.

Les faghis sont directement nommés par le guide suprême, tandis que le chef du système judiciaire iranien présente une liste de juristes au Parlement, qui en sélectionne six pour le conseil.

Mais qui nomme le chef du système judiciaire ? Le guide suprême. Et qui examine les candidats qui se présentent au Parlement ? Le Conseil des gardiens de la Constitution.

Même l’approbation des candidats n’est pas du ressort exclusif du Conseil des gardiens de la Constitution, puisque le guide suprême joue un rôle important en coulisses.

De nombreuses personnalités politiques connues demandent l’autorisation du guide suprême avant d’entrer dans l’arène. Cette année, Ali Khamenei a notamment déconseillé à Hassan Khomeini, petit-fils du premier guide suprême iranien, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, de se lancer dans la course.

Dans le même temps, le guide suprême peut également intervenir par un décret – appelé hokme hokumati – pour permettre à un candidat disqualifié par le Conseil des gardiens de la Constitution de se présenter.

Toutefois, à l’instar de la composition du conseil en lui-même, le processus d’approbation ou de rejet des candidats se révèle opaque. D’une élection à l’autre, la même personne peut tomber en disgrâce, comme l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad, élu en 2005 et 2009 mais disqualifié cette année.

Lors de la première élection présidentielle en 1980, avant la création du Conseil des gardiens de la Constitution, 106 des 124 candidats ont été autorisés à se présenter par le ministère de l’Intérieur, soit un taux d’approbation de 85 %.

En revanche, depuis la création du conseil, le nombre de candidats autorisés à se présenter à l’élection présidentielle a considérablement diminué. En moyenne, à peine plus d’1 % de ceux qui se sont inscrits comme candidats potentiels depuis 1981 ont été autorisés à figurer sur les bulletins de vote.

La plupart de ceux dont le nom n’est jamais apparu sur les bulletins de vote iraniens sont des citoyens ordinaires. Mais de nombreuses personnalités politiques de premier plan qui ont servi l’establishment de la République islamique pendant plusieurs décennies ont fait partie des personnes disqualifiées par le Conseil des gardiens, souvent en fonction des fluctuations de leur relation avec le guide suprême.

Parmi eux figure Ebrahim Yazdi, ancien plus proche conseiller de Rouhollah Khomeini, qui a contribué à l’élaboration du plan politique ayant entraîné la création de la République islamique. Après s’être brouillé avec le premier guide suprême, Ebrahim Yazdi a été disqualifié des présidentielles de 1985, 1997 et 2005, avant de mourir en 2017.

Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, fils d’un riche marchand de pistaches du centre de l’Iran, a été le quatrième président iranien de 1989 à 1997. Connu comme l’un des pères fondateurs de la République islamique, le partisan de la ligne dure a contribué à ouvrir la voie à l’accession d’Ali Khamenei au poste de deuxième guide suprême du pays en 1989 – avant d’être empêché de se représenter à la présidence en 2013 une fois perdues les faveurs d’Ali Khamenei.

Cette année, le rejet de la candidature d’Ali Larijani par le Conseil des gardiens de la Constitution a été une grande surprise. Officier militaire du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) pendant dix ans, président du Parlement pendant douze ans et actuellement conseiller d’Ali Khamenei, ce conservateur modéré a toujours fait preuve de loyauté envers le guide suprême.

Son absence à l’élection de 2021 a été interprétée par certains analystes comme une manœuvre délibérée visant à façonner la course en faveur des conservateurs.

Les candidats en 2021

Cette année, sept des 592 candidats ont été retenus pour la course à la présidence : cinq conservateurs et deux réformateurs. Mais aujourd’hui, il n’en reste plus que quatre, trois d’entre eux ayant annoncé mercredi 16 juin qu’ils se désistaient. Il s’agit de Mohsen Mehralizadeh, Alireza Zakani et Saïd Jalili.

Mohsen Mehralizadeh, est actuellement membre du conseil d’administration de l’Organisation de la zone franche de Kish – l’une des premières zones franches créées par Ali Akbar Hachemi Rafsandjani – et directeur de la fédération iranienne des zurkhaneh (lieu traditionnel où se pratique le sport national). Vice-président de Mohammad Khatami de 2001 à 2005, sa candidature présidentielle a été initialement rejetée par le Conseil des gardiens de la Constitution en 2005, mais il a été autorisé à entrer dans la course après l’intervention d’Ali Khamenei ; il a recueilli 4,40 % des suffrages.

Le député Alireza Zakani, conservateur, est également un ancien membre des GRI et possède deux médias d’information – Jahan News et l’hebdomadaire Panjereh. Il était également à la tête de la branche étudiante du Bassidj, un groupe paramilitaire iranien notoire, lors du soulèvement étudiant de 1999 au cours duquel des membres de la milice ont incendié des dortoirs universitaires et battu des étudiants.

Saïd Jalili, partisan de la ligne dure également et membre du Conseil suprême de sécurité nationale, poste auquel il a été nommé par le guide suprême, est Membre des GRI et du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, un organe consultatif du guide suprême. Saïd Jalili a également été le négociateur en chef du dossier nucléaire de 2007 à 2013.

Lorsque le Conseil des gardiens de la Constitution a disqualifié de nombreux candidats réformateurs et modérés lors des élections législatives de février 2020, donnant lieu à une victoire écrasante des conservateurs, certains analystes avaient prévu que le Conseil suivrait une voie similaire avant le scrutin présidentiel.

En revanche, personne ne s’attendait à ce que des personnalités conservatrices de premier plan comme Ali Larijani soient empêchées de se présenter – ce qui a suscité de nombreuses spéculations selon lesquelles l’absence de candidats de poids était spécifiquement destinée à ouvrir la voie au candidat préféré des GRI et d’Ali Khamenei, le chef du système judiciaire Ebrahim Raïssi.

Lorsque la liste finale de candidats a été annoncée, Ebrahim Raïssi a déclaré avoir entamé des négociations pour permettre à d’autres candidats d’entrer dans la course « afin de rendre l’élection plus compétitive ».

Les plaintes concernant la liste des candidats approuvés par le Conseil des gardiens de la Constitution ont toutefois été vite balayées, puisqu’à quelques jours du scrutin, Ali Khamenei n’a pas contesté la décision du conseil de ne qualifier que sept candidats.

Qui sont donc les sept hommes actuellement en lice pour la présidence ?

Il y a tout d’abord Ebrahim Raïssi, le partisan de la ligne dure à qui la victoire semble promise. Le chef du système judiciaire est connu pour son implication dans la répression de la dissidence en Iran. Il était l’un des quatre religieux de la « commission de la mort » qui a ordonné l’exécution massive de plus de 4 500 prisonniers politiques de gauche en 1988.

Plus de vingt ans plus tard, Ebrahim Raïssi a été le premier vice-chef du système judiciaire lors de la répression du Mouvement vert, le mouvement de protestation massive qui contestait les résultats de la course à la présidence de 2009 à l’issue de laquelle Mahmoud Ahmadinejad a été réélu.

Mohsen Rezaï, un conservateur plus modéré, est actuellement secrétaire du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, également nommé par le guide suprême. Commandant en chef des GRI de 1980 à 1997, il a fondé le site d’information conservateur Tabnak en 2007.

Le dernier conservateur en lice, Amir Hossein Ghazizadeh-Hashemi, qui occupe actuellement le poste de premier vice-président du Parlement, est également l’un des membres fondateurs du Front de la stabilité de la révolution islamique (Jebheye Paydari), la principale faction politique qui a soutenu Ahmadinejad pendant son mandat.

Les candidats lors d’un débat le 8 juin. De haut en bas et de gauche à droite : Raïssi, Jalili, Zakani, Rezaï, Ghazizadeh-Hashemi, Hemmati et Mehralizadeh (AFP/photos fournies)
Les candidats lors d’un débat le 8 juin. De haut en bas et de gauche à droite : Raïssi, Jalili, Zakani, Rezaï, Ghazizadeh-Hashemi, Hemmati et Mehralizadeh (AFP/photos fournies)

Le dernier candidat, Abdolnaser Hemmati, est présenté par certains comme l’outsider qui pourrait être la meilleure chance présidentielle des réformateurs cette année.

Professeur d’économie à l’université de Téhéran, il a également occupé le poste de gouverneur de la Banque centrale de 2018 à mai 2021, date à laquelle sa candidature à la présidence a été approuvée. Comme d’autres concurrents, il est également passé par les médias, en tant que responsable de l’information pour le réseau public iranien de télévision (IRIB) de 1981 à 1991.

Président de l’Iran, un métier à risque

Celui qui sera élu ce mois-ci deviendra le huitième président de la République islamique – et le neuvième chef de gouvernement, si l’on compte le premier Premier ministre avant l’instauration de la présidence.

Mais au cours des décennies qui ont suivi la révolution de 1979, aucun de ces dirigeants – sauf un – n’a connu un sort particulièrement favorable après avoir accédé à la présidence.

À l’exception d’Ali Khamenei, devenu guide suprême en 1989 juste après ses deux mandats présidentiels, tous les autres ont été tués, exilés, poursuivis, assignés à résidence ou évincés des sphères du pouvoir.

Un point commun semble lier tous ces hommes à qui le destin n’a pas souri : tous se sont attiré les foudres du guide suprême à un moment donné.

Mehdi Bazargan, le premier Premier ministre iranien, a démissionné après neuf mois de mandat en raison de son opposition à l’idéologie du Velayat-e faqih de Rouhollah Khomeini qui a établi la base du pouvoir politique du clergé en Iran.

Après sa démission, l’influence politique de Mehdi Bazargan a rapidement décliné, étant donné que lui et son parti, le Mouvement de libération de l’Iran, étaient accablés par les partisans de la ligne dure. Mehdi Bazargan a été poursuivi en justice, son parti a été interdit et l’ancien Premier ministre est mort en exil en Suisse en 1995.

Abolhassan Bani Sadr, le premier président de l’Iran, était également opposé au Velayat-e faqih. Après un peu plus d’un an au pouvoir, le Parlement – avec le soutien total de Rouhollah Khomeini – l’a destitué en raison de son opposition à la mainmise des ecclésiastiques sur le pouvoir et il a été contraint de fuir le pays. À ce jour, il vit en exil à Versailles, sous protection policière.

Le troisième président, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, a été le principal lobbyiste et faiseur de rois qui a ouvert la voie à l’accession d’Ali Khamenei au poste de deuxième guide suprême du pays après la mort de Rouhollah Khomeini.

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Mais il a ensuite été victime de la monopolisation du pouvoir par Ali Khamenei dans le pays : il a vu son influence décliner lentement, avant de se voir empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2013. En 2017, le diffuseur public iranien a annoncé la mort d’Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, victime d’une crise cardiaque dans une piscine. Sa fille a toutefois affirmé que son père avait été tué par des proches d’Ali Khamenei.

Lorsqu’il a été élu président en 1997, on attendait de Mohammad Khatami qu’il obéisse au guide suprême. Il est pourtant devenu le symbole de la réforme en Iran après avoir fait pression pour alléger les restrictions sociales le pays et inauguré une ère de libertés accrues pour la presse. Mais les efforts déployés par Mohammad Khatami pour changer le système ont échoué.

Lorsqu’il a quitté le pouvoir en 2005, il s’est vu interdire de participer à des cérémonies publiques et les médias iraniens n’ont toujours pas le droit de publier des images ou des informations concernant ses activités.

Mahmoud Ahmadinejad, qui est peut-être l’un des présidents iraniens les plus notoires de ces dernières décennies, était un inconnu lorsqu’il a été élu président. Il bénéficiait toutefois du soutien du guide suprême et des GRI, qui souhaitaient remplacer Mohammad Khatami. Sa réélection en 2009 a été fortement contestée à l’époque, ce qui a donné lieu aux manifestations populaires du Mouvement vert, violemment réprimées.

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Quatre ans plus tard, le président Mahmoud Ahmadinejad est lui aussi tombé en disgrâce auprès du guide suprême et s’est retrouvé écarté de la vie politique, tandis que nombre de ses collaborateurs et alliés ont été arrêtés et emprisonnés. Il n’a pas été autorisé à se représenter aux élections présidentielles de 2017 et 2021.

De son côté, Hassan Rohani ne s’est jamais opposé publiquement à Ali Khamenei au cours de ses deux mandats. Mais alors qu’il compte de nombreux rivaux parmi les GRI et dans le camp conservateur, la suite de sa carrière politique continue de s’inscrire en pointillés.

Aujourd’hui, le poste même de président semble menacé : certains députés soutenant la ligne dure réclament sa suppression et le rétablissement du poste de Premier ministre, aboli en 1989 – ce qui consoliderait le pouvoir entre les mains du leadership religieux à dominante conservatrice de la République islamique, au détriment d’élections populaires directes.

Le processus politique étroitement contrôlé suscite un mécontentement grandissant chez de nombreux Iraniens – seulement 37,7 % des personnes interrogées lors d’un récent sondage ont déclaré avoir l’intention de voter le 18 juin. Après plus de quatre décennies sous le même système politique, le citoyen ordinaire est désormais bien conscient que les décisions les plus importantes sont prises bien avant qu’il ne se rende au bureau de vote.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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