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Les dirigeants du Golfe sont-ils en train d’abandonner l’Égypte ?

Au moment même où l’Égypte connaît des troubles économiques sans précédent, les dirigeants du Golfe semblent perdre confiance en son président qu’ils ont financé pendant des années
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi rencontre le président émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane au Caire, en Égypte, le 27 octobre 2022 (AP Images/bureau de la présidence égyptienne)
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi rencontre le président émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane au Caire, en Égypte, le 27 octobre 2022 (AP Images/bureau de la présidence égyptienne)

L’Égypte est actuellement confrontée à une grave crise économique : la livre égyptienne a perdu la moitié de sa valeur depuis mars dernier et l’inflation a bondi à 24,4 % selon les chiffres officiels. 

Dans le même temps, la dette externe du pays s’élève à près de 170 milliards de dollars.

De nombreux observateurs et institutions financières internationales préviennent que l’Égypte pourrait connaître une crise économique sans précédent, voire un effondrement. Malgré cela, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ne semble pas inquiet. 

Il a récemment répondu aux plaintes d’Égyptiens concernant la situation socioéconomique par le mépris et la nonchalance, allant jusqu’à accuser les citoyens de ne rien savoir et insistant sur le fait qu’il serait le seul à disposer des vraies informations concernant la situation.

La question est la suivante : pourquoi Sissi est-il persuadé que son pays surmontera la crise économique actuelle ? Y a-t-il un lien entre ce qu’il dit savoir et le soutien fourni par les pays du Golfe ?

La fin d’un « âge d’or »

Depuis sa prise de pouvoir après le coup d’État de juillet 2013, les États arabes du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et le Koweït, ont fourni une aide financière substantielle au régime.

Ce soutien prend diverses formes, notamment des dépôts à la Banque centrale égyptienne, lesquelles constituent actuellement environ 82 % du total des réserves en devises étrangères du pays. En outre, de nombreux investissements et acquisitions de sociétés et institutions égyptiennes ont eu lieu dans le cadre de la politique économique du gouvernement.

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Les pays du Golfe ont également fourni des garanties aux institutions financières internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI) pour soutenir l’économie égyptienne.

Cependant, de récentes informations suggèrent que les pays du Golfe commencent à retirer leur soutien à Sissi en raison de la crise économique actuelle en Égypte. Son incapacité à gérer cette crise a déçu les pays du Golfe qui ont énormément investi en Égypte.

Certains observateurs ont été plus loin et suggèrent que les États arabes laissent tomber Sissi car il ne parvient pas à diriger le pays et il est devenu un fardeau financier pour eux. Par conséquent, ils ne lui fournissent plus suffisamment de soutien pour sortir de la crise financière et ils font pression sur l’establishment militaire pour trouver une alternative à Sissi.

Cette théorie est particulièrement pertinente au vu de la réticence des pays du Golfe à fournir à Sissi le genre d’aide financière qu’ils lui ont proposé après son coup d’État en 2013.

Sissi l’a ouvertement reconnu dans un discours avant la conférence économique qui se tenait fin octobre : « Des amis et alliés ont acquis la conviction que l’État égyptien n’est plus capable de se relever après avoir fourni une assistance pendant des années pour résoudre les crises et les problèmes. »

Des Égyptiennes passent devant un poster représentant le dollar américain et d’autres devises devant un bureau de change du Caire, le 12 janvier 2023 (AP)
Des Égyptiennes passent devant un poster représentant le dollar américain et d’autres devises devant un bureau de change du Caire, le 12 janvier 2023 (AP)

Il y a également une volonté croissante de s’opposer ouvertement au financement de l’Égypte parmi les responsables du Golfe. Par exemple, le député koweïtien Oussama al-Shaheen a mis en garde son gouvernement contre le financement du régime de Sissi dans le cadre du récent accord avec le FMI.

Des personnalités médiatiques proches de certains dirigeants arabes du Golfe, à l’instar du célèbre journaliste Amr Adib, ont critiqué les politiques économiques de Sissi et ses résultats. Son émission quotidienne, « Al-Hekaya », est diffusée sur la chaîne égyptienne MBC financée par l’Arabie saoudite.

Ennemis communs

Mais est-il vrai que le Golfe a abandonné Sissi ? Pour répondre à cette question, il est important de comprendre le contexte de la relation entre le président égyptien et les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats.

Ces pays ont soutenu Sissi ces dernières années pour trois principales raisons. Tout d’abord, les politiques répressives de Sissi sont considérées comme bénéfiques par l’Arabie saoudite et les EAU car elles ont contrecarré les demandes de changement démocratique en Égypte et empêché la possibilité de nouvelles révolutions ou soulèvements. 

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Les soulèvements du Printemps arabe ont été perçus comme une menace existentielle par ces pays et ils ont cherché à les empêcher par tous les moyens

Ensuite, la posture forte de Sissi contre l’islam politique et les Frères musulmans, considérés comme une organisation terroriste par l’Arabie saoudite et les EAU, est également un facteur clé de leur soutien. Cela s’aligne avec leurs propres politiques nationales et leurs efforts pour combattre l’islam politique dans la région. 

Enfin, Sissi est considéré comme un partenaire fiable pour maintenir la stabilité régionale et a montré sa volonté d’adopter un rôle de leader dans le monde arabe. C’est particulièrement important pour l’Arabie saoudite et les EAU, qui cherchent à contrer l’influence de l’Iran dans la région.

Évolution des priorités

Maintenant, la question est la suivante : est-ce que ces intérêts conjoints entre le régime de Sissi et les pays du Golfe existent encore ?

Il est crucial de déterminer si ces intérêts mutuels suffisent à justifier le soutien économique et financier que les pays du Golfe ont fourni à Sissi. On peut affirmer que les intérêts des pays du Golfe en Égypte ont évolué ces dernières années.

Plusieurs facteurs pourraient avoir contribué à ce changement. D’abord, les nations du Golfe peuvent ne plus percevoir de menaces significatives de révolution ou de soulèvement en Égypte en raison de l’affaiblissement de toute opposition politique et sa fragmentation au sein du paysage politique égyptien.

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Cela est dû, en partie, à la grave répression et la peur infligées par le régime de Sissi ces dix dernières années. Le désengagement politique et l’apathie de la population égyptienne qui résultent de ces politiques pourraient avoir également diminué la menace perçue d’une révolution.

Par ailleurs, la population égyptienne s’inquiète de satisfaire ses besoins essentiels et l’absence d’espoir de changement pourrait avoir contribué à ce changement de priorité.

Autre facteur susceptible d’avoir contribué à cette évolution des intérêts des pays du Golfe pour l’Égypte : le déclin de la menace constituée par les Frères musulmans. Cela est dû à une combinaison de facteurs, parmi lesquels la répression ciblée menée par le régime de Sissi au fil des ans et les divisions et la fragmentation connues par le groupe à la fois sur le plan interne et externe.

Étant donné ces développements, les Frères musulmans ont été significativement affaiblis et ne sont plus perçus comme une menace significative pour les régimes de la région arabe, contrairement à ce qui était le cas avant le Printemps arabe. 

Un Sissi affaibli

Enfin, il est possible que les pays du Golfe aient trouvé des alternatives pour faire contrepoids à l’Iran, ce qui peut avoir fait évoluer leurs intérêts en Égypte. Ces options pourraient inclure la formation d’alliance avec les États-Unis et leurs alliés, en particulier Israël, ou le recours à diverses organisations et milices agissant par procuration dans la région.

Les pays du Golfe peuvent considérer ces alternatives comme plus viables ou préférables au fait de compter sur l’Égypte pour remettre en question l’influence de l’Iran.

Malgré la frustration et la colère envers Sissi parmi ses soutiens du Golfe, il est peu vraisemblable qu’ils l’abandonneront car il représente toujours une ressource appréciable pour ce qui est de protéger leurs intérêts en Égypte et dans la région

Ce changement d’intérêt peut être attribué à l’évolution du paysage stratégique et politique de la région et la réévaluation par les pays du Golfe de leurs priorités nationales en matière de sécurité.

Cependant, si la théorie selon laquelle les pays du Golfe abandonneront le régime de Sissi peut paraître logique, au bout du compte elle reste purement spéculative. Malgré la frustration et la colère envers Sissi parmi ses soutiens du Golfe, il est peu vraisemblable qu’ils l’abandonneront car il représente toujours une ressource appréciable pour ce qui est de protéger leurs intérêts en Égypte et dans la région.

Remplacer Sissi pourrait engendrer de la confusion et du chaos, ce qui aurait des conséquences négatives pour la région et en fin de compte menacerait leurs propres intérêts. Un Sissi affaibli pourrait être considéré comme une option préférable, car elle permet plus de manipulation et d’exploitation pour servir au mieux les intérêts du Golfe.

Dès lors, si les relations entre les pays du Golfe et le régime de Sissi peuvent être tendues, il est peu susceptible qu’elles se rompent totalement.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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